«C’est à l’hôpital que l’on envoie les amnésiques. Il est heureux que l’hôpital lui-même refuse d’être amnésique, il y perdrait dans l’immédiat ses moyens d’action et dans le long terme, son identité», telle fut la citation de Jean Favier, directeur des Archives de France, pour décrire l’importance des archives hospitalières. Dotées d’une valeur administrative, légale et scientifique, les archives constituent une source d’informations primordiale pour le gestionnaire, le chercheur, le praticien.
Les décideurs sont confrontés à de nombreux problèmes, tels que l’accroissement des documents produits ou reçus dans le cadre de leurs activités. C’est pour une gestion optimale de cet important fonds qu’ils ont introduit, depuis longtemps dans leurs procédures de gestion de l’information, les pratiques managériales archivistiques, qui ont généré un gain de temps, d’espace et d’argent.
Quelle politique face au développement exponentiel des documents?
Au Sénégal, il y a quelques années seulement, les systèmes d’archivage et pratiques managériales archivistiques ne faisaient pas partie intégrante des préoccupations des autorités.
Alors que les établissements publics de santé constituent une véritable entreprise dotée de missions spécifiques et de fonctions bien déterminées. Comportant des services et centres de responsabilité multiples et variés, ils ne cessent de produire et recevoir des documents de toute sorte, qu’on peut scinder aisément en documents administratifs et documents médicaux. La distinction entre ces deux catégories de documents, est à la base de la segmentation des archives hospitalières en archives médicales et archives administratives.
Or en Afrique, les archives ont particulièrement besoin d’être protégées contre les ennemis naturels, que sont la lumière solaire, la chaleur combinée à l’humidité, les insectes, notamment les termites, les rongeurs, mais aussi le facteur humain par le biais de la manipulation. C’est donc bien souvent au sein des immeubles réservés à l’Administration ou dans des appartements peu fonctionnels que sont logées les archives.
Cette situation engendre de gros risques de déperdition et dégradation des archives.
En outre, quand bien même des dépôts existent, ils doivent tenir compte, dans leur architecture et emplacement, de l’existence de ces ennemis des archives. Les bâtiments doivent être surélevés. Si des ateliers de numérisation ont pu être montés çà et là, autant pour la préservation des documents que pour la duplication de l’information, il n’en reste pas moins vrai que bien souvent les conditions de conservation des documents physiques sont loin d’être satisfaisantes. Certains dépôts ont l’air conditionnés mais, dans la plupart du temps, le personnel lui-même et les collections souffrent énormément de l’effet conjugué de la chaleur et l’humidité, de la lumière, de la poussière.
Les locaux où sont entreposées les archives dans nos Eps, demeurent insuffisants et ne respectent pas les normes de la conservation en matière de luminosité, d’humidité, de propreté, de température et de sécurité, tel qu’il nous a été permis de le constater. En effet, ces locaux présentent un risque majeur de détérioration des documents.
Quel budget est consacré à la gestion des archives hospitalières?
Les équipements de rangement et de conditionnement mis à la disposition des archivistes, ne sont pas suffisants. En effet, nous avons constaté un dépassement de 169 mètres linéaires sur la capacité totale de stockage, qui sont déposés en vrac au-dessus des meubles, voire à même le sol. Cette situation touche surtout les archives médicales. Ceci s’explique par leur abondance et leur format qui ne se prêtent pas au rangement dans des meubles autres que les rayonnages. Enfin, notons que les équipements de rangement et de conditionnement ne remplissent pas les conditions de qualité exigées par la loi, pour une bonne protection et conservation des archives.
En passant en revue le budget dans les hôpitaux, on note l’absence d’une ligne budgétaire relative à la gestion des archives. L’approvisionnement de matériel pour la gestion des archives fait partie de la rubrique fourniture de bureau. A cet effet, il devient difficile de mesurer avec précision, les dépenses consacrées à la gestion des archives. Par conséquent, les besoins budgétaires nécessaires aux dépenses imprévisibles ou supplémentaires, ne peuvent pas être satisfaits. Ce qui peut constituer une vraie contradiction, un frein, en ce sens que sans moyens, il est difficile d’avoir des résultats satisfaisants.
Quelle est la place des professionnels dans cette politique de gestion des archives hospitalières?
Au-delà du traitement dédié aux archives, qui n’honore pas vraiment l’image d’une Admi­nistration qui se veut efficace et inspirée de la bonne gouvernance, il faut savoir que l’archiviste lui-même est un professionnel dont le travail est méconnu dans nos pays, dévalorisé et réduit à son expression la plus péjorative de “classeur de documents”.
Les archives sont en effet des outils d’aide à la décision et pourtant, il n’en demeure pas moins que les professionnels chargés de la prise en charge de cette question, ne sont impliqués d’aucune manière dans les instances de décision.
Ce facteur est assez parlant, si l’on constate l’état dans lequel se trouvent les archives hospitalières.
Le versement à la direction des Archives du Sénégal, n’est plus possible du fait de la promiscuité de leurs locaux, qui ne respectent aucune norme internationale de conservation.
En définitive, il est important de noter qu’il est temps pour l’Etat de reconsidérer la question des archives en général.
La mise en place d’une bibliothèque nationale aussi, qui assurerait le dépôt légal, est une demande urgente qui ne cesse de revenir.
L’érection d’une maison des archives forte, digne de ce nom, est une demande nationale pour répondre à la problématique posée par le versement des archives de l’Adminis­tration sénégalaise.
Il est crucial que les décideurs des Eps soient plus sensibilisés sur la question des archives hospitalières. Leur valorisation permettrait de mieux suivre l’activité du service et contribuerait à répondre efficacement aux besoins et attentes des administrateurs. Elle faciliterait également la préparation des audits des services concernés.
Moussa DIAW,
Professionnel de l’information documentaire, Consultant.
Bassirou DIAGNE, Conservateur à la Bibliothèque Centrale de l’Université Iba Der Thiam de Thiès, Fondateur de SN Archives Group (Cabinet de conseil et de placement en gestion de l’information documentaire).