Dans le monde, trois pays ont eu une prétention universaliste : la France qui a voulu propager dans le monde les valeurs de sa révolution de 1789, la Perse (Iran) dans l’histoire depuis plus 2 500 ans et dans l’actualité depuis sa révolution de 1979, et les Etats-Unis depuis leur déclaration d’indépendance de 1776 quand les 13 colonies en lutte contre la monarchie britannique s’adressent au-delà de Georges III, à tous les hommes, en leur proposant un idéal démocratique qu’ils vont proposer au monde et qu’ils auront l’ambition de propager en 1945, en se positionnant comme le chef de file du monde libre et démocratique. Ces trois pays, avec une prétention universaliste, s’entendront difficilement.
Les Perses qui ont eu le premier empire auront toujours du mal à accepter l’hégémonie d’un pays qui n’existe dans l’histoire que depuis 2 siècles, alors qu’ils sont présents dans l’histoire depuis plus de 2 500 ans. Ces Perses inventeurs du jeu d’échec ont commis une seule erreur : vouloir continuer le jeu d’échecs avec Donald Trump. Le jeu d’échecs est un jeu d’intelligence, de réflexion et de finesse intellectuelle. En farsi, le jeu d’échecs s’appelle Shah Mat. L’objectif ultime est de mettre en échec le Shah ou le roi (échec et mat). Mat dérive du farsi mout, arabisé en mata (mort). Le jeu d’échecs demande beaucoup de réflexion et surtout beaucoup de patience. L’erreur des Perses est de penser qu’un cow-boy ou businessman comme Trump, obsédé par le bon deal, va prendre goût au jeu et avoir cette patience stratégique de Obama.
Le drone qui a pulvérisé le général Ghassem Souleimani leur a rappelé que Trump n’est pas Obama qui adorait le jeu d’échecs avec les mollahs. Dans ce jeu d’échecs, Obama alla jusqu’à souhaiter un joyeux Norouz, le Nouvel an perse à l’Iran. Obama était une menace beaucoup plus grande pour l’Iran. Avec sa politique de normalisation (accord sur le nucléaire, levée de sanctions), il privait petit à petit les mollahs de l’ennemi permanent et donc de la tension permanente de l’Etat de guerre permanent dont ils avaient besoin pour assurer la survie du régime. A la fin de Obama II, les Iraniens avaient commencé à s’intéresser aux questions internes (économie, libertés publiques…). Avec l’arrivée de Trump, les prières des mollahs ont été exaucées parce que l’ennemi permanent, la tension permanente, l’état de belligérance permanente, condition de survie du régime, est assuré et la mort de Souleimani le montre. Tous les Iraniens sont unis derrière le régime face à la menace américaine.
Cette union sacrée des Perses derrière le régime est le rêve des mollahs, car aucune voix discordante n’osera se faire entendre et même les manifestations contre l’augmentation du prix des hydrocarbures, qui ont fait des centaines de mort, vont être enterrées avec le glorieux général. En Irak aussi, les manifestations contre la domination perse, qui avaient commencé un peu partout dans le pays, vont cesser, mais ce ne sera que momentanément, parce que l’antagonisme Perse/Arabe est plus fort que l’instrumentalisation de l’antagonisme sunnite/chiite. On oublie souvent que pendant la décennie de la guerre Iran/Irak, la population irakienne, dont plus de la moitié est chiite, avait choisi le primat du pays sur l’obédience religieuse. C’est pourquoi la volonté hégémonique de l’Iran sur l’Irak, par le biais de supplétifs chiites locaux, est un combat perdu d’avance, comme le fut la volonté d’arabiser la Perse après la conquête islamique, car les Perses n’oublieront jamais que Persépolis, Ispahan et Ctésiphon ont été les «phares du monde» bien avant l’arrivée des Arabes qui ne réussiront pas à faire table rase sur la civilisation persane malgré les incendies de bibliothèques. Après la conquête islamique, la Perse a donné à l’islam de grands penseurs dont les poètes Hafez et Ferdowsi et des savants Avicenne et l’incontournable Omar Khayam, immortalisé par ses Quatrains, mais aussi par Amin Maalouf dans Samarcande.