Au niveau des sites d’orpaillage, le sexe et l’or forment un vieux couple. Dans la région de Kédougou, le plus vieux métier au monde a l’avenir devant lui. Il se développe au même rythme que l’essor de l’activité minière en toute impunité. Le sexe est devenu un véritable fonds de commerce pour ne pas dire un business qui vaut de l’or dans cette partie du pays. Le trafic de femmes et le proxénétisme ont aussi explosé. Comme si de rien n’était !
Or et sexe. C’est un couple dans les sites d’orpaillage. La ruée vers Kédougou à la recherche effrénée de l’or n’est pas seulement l’affaire des investisseurs ou autres aventuriers. Les professionnels (Ps), les trafiquants d’individus et des proxénètes brillent aussi sur les sites d’exploitation de l’or. Car autour de l’activité d’orpaillage se développent des activités connexes telles que la prostitution avec son corollaire de trafic d’êtres humains notamment des femmes parfois mineures, qui proviennent pour la plupart du Nigéria. Le phénomène prend des proportions inquiétantes, qui méritent une attention particulière de la part des plus hautes autorités du pays. Les professionnelles de ce métier proviennent des quatre coins de la sous-région pour faire des affaires sur les sites d’orpaillage mais aussi au niveau des villes. Elles sont pour la plupart des Nigérianes. Aussi, on y compte des Sénégalaises, des Burkinabé, des Ghanéennes, des Maliennes, des Guinéennes, entre autres.
Village de Kharakhéna. En ce jour vendredi, c’est le calme. Le village est l’un des plus grands sites d’orpaillage de la région de Kédougou et du département de Saraya. Comme à l’accoutumée, les jours de lundi et vendredi sont des days off. Il n’y a pas d’activités d’orpaillage. Cependant, la communauté est massée en ce jour chez le défunt chef de village pour lequel une cérémonie de charité et des prières ont été organisées par son fils qui lui succède à la tête du village. Il souffle un vent sec. Certains ont les yeux rougeâtres à cause du vent qui soulève la latérite. Il fait relativement chaud. Les habitués du site d’orpaillage se prélassent autour d’une théière de thé et les discussions vont bon train. Un salamalec suffit pour attirer l’attention. Tel un message, ils changent de sujet de conversation certainement par mesure de prudence.
Après une brève présentation et la déclinaison de l’objet du reportage, certains affichent leur réticence à parler à la presse. D’autres par contre acceptent d’aborder la question à la seule condition de parler sous anonymat. A en croire un orpailleur, la prostitution est «un business qui marche comme sur des roulettes à Kharakhéna. Même s’il y a des risques. Cela nous encourage. Parce qu’on en a besoin dans notre travail.» En réalité, ils doivent se souiller avant de descendre dans les trous pour creuser les galeries et espérer trouver la pièce précieuse. Hésitant au départ, son camarade prend la parole : «Il nous arrive même de les louer pendant plusieurs jours.» Il suffit d’un tour pour confirmer les propos de ce dernier. Quelques mètres plus loin de ces jeunes pour la plupart de nationalité étrangère se dressent des huttes de fortune communément appelées «Niaffa». Abris de passage permettant à certaines d’exercer leur métier. Devant, Reicha s’active avec ses amies à rendre le lieu plus attrayant.
Moulée dans un short de couleur bleue, baskets bien chaussées, elle titille ses amies. Elles rient aux éclats. Reicha a l’air jeune. Elle avoisinerait les 18 ans. Son physique d’athlète qui fait son charme ne passe pas inaperçu. Cheveux courts teintés, elle a l’air provocateur. «On travaille comme tout le monde», lance-t-elle sans ciller. Elle poursuit : «On fait du business ici.» Très relaxe, elle demande : «tu veux faire du busines ?» Pour détendre l’atmosphère et la convaincre de discuter, la discussion se poursuit autour d’un verre. A l’aise, elle accepte de se confier dans la plus grande discrétion. «Pour dire vrai, dit-elle, je suis égarée. Je devais travailler dans une compagnie minière ici.» Au bout d’une longue discussion, elle crache le morceau : «Je suis là pour vendre mon corps pour rembourser de l’argent et espérer repartir chez moi un bon jour.»
Trafic de femmes
La plupart des femmes, qui s’adonnent à la prostitution sont des étrangères notamment des Nigérianes. Francis, responsable-résident de cette communauté à Kédougou, avance : «La communauté nigériane présente à Kédougou est d’environ 5000 personnes. La plupart des jeunes filles qui viennent ici et qui s’adonnent à la prostitution ont fait l’objet de kidnapping au Nigéria par des trafiquants de personnes. Avant d’être contraintes de se prostituer.» Revenant sur le processus, il explique : «Les filles sont prises au Nigéria et stockées à Lagos pendant 24 heures voire 72 heures. Ensuite, il y a un échange qui se fait à ce niveau avec une autre personne, qui se charge de les acheminer vers Kédougou par le biais des bus.»
Arrivées à Kédougou, elles sont ventilées sur les sites d’orpaillage et se prostituent pour rembourser leur «maître» pour racheter leur liberté. Le prix est fixé entre 1 million et 500 mille F Cfa. «Par conséquent, il y a un réseau intense de proxénétisme qui se développe de jour en jour et qui voit la participation des Sénégalais dans certains cas. Elles viennent plus de l’intérieur du pays», explique un interlocuteur. D’après des sources policières, une proxénète a été arrêtée récemment dans le cadre de ces activités délictuelles. Elle avait cornaqué de belles nymphes innocentes dans cette zone où le business du sexe marche fort. Elle avait pris un appartement où les filles étaient logées, les mettait ensuite en relation avec les orpailleurs avant de toucher sa commission. Nantie de ces informations, la Police a mené une longue filature pour procéder au démantèlement de son réseau. Suzi, une Nigériane, est prise au piège : «Si je savais que c’est ce que j’allais faire ici, je serais restée chez moi. C’est au Mali que j’ai commencé à comprendre que j’étais déjà dans de sales draps. D’un point de passage à un autre on n’avait pas la même personne. Les passeurs avaient des codes et il était difficile de comprendre. Une de ses amies a été violée par un homme costaud pour la préparer à faire le métier une fois sur le terrain. Parce qu’elle était jeune quand elle est arrivée sur le site.» Elle tourne désormais à plein régime.
Vivi, professionnelle du sexe : «Je me prostitue pour soutenir ma maman»
Contrairement à Reicha et Suzi, Vivi est une sénégalaise qui se prostitue pour joindre les deux bouts et aider sa famille. Visage ravagé par les produits de dépigmentation, perruque mal posée, elle n’a pas peur de reconnaître qu’elle est tombée dans le plus vieux métier du monde. Comme si de rien n’était.
«Il est facile de critiquer les gens sans connaitre ce qui fonde ce pourquoi, on fait certaines choses. Je suis venue de loin pour travailler ici. Et c’est une amie qui m’a fait découvrir Kédougou. J’ai laissé ma mère et mon enfant avant de venir. En tant que fille ainée, j’ai été larguée par le papa de mon fils sans une ressource. C’est pour soutenir ma maman et assurer l’éducation de mon enfant, je suis là. Je ne compte pas finir ma vie comme ça. Mon enfant grandit et je veux être une maman exemplaire pour lui. J’ai déjà construit ma maison grâce à ce métier. Je suis en phase finale. Après cela je compte bien me reconvertir dans le commerce ou dans le voyage et faire autre chose. Mais pour le moment, je n’ai pas une autre alternative que de vendre mon corps.»
Et l’Etat laisse faire. Les accords de la CDEAO n’obligent pas le pays à accueillir des prostituées. Il faudra pas s’étonner ou venir nous casser les tympans quand le taux de prévalence du sida fera un bond dans les années à venir. Toujours pareil à eux-mêmes les autorités sénégalaises. Les choses ne méritent d’être traitées que quand elles leur éclatent en pleine face.