Les récoltes de la campagne agricole 2016-2017 ont été décevantes, qu’on l’accepte ou non. Le déficit en mil est une réalité incontestable dans le bassin arachidier et la période de soudure y sera précoce et longue. Les graines d’arachide de cette année sont de mauvaise qualité, de l’avis des producteurs, des huiliers et des observateurs. En conséquence, des problèmes de semences pour la campagne 2017 se posent présentement avec acuité. Pourtant, tout laissait croire, à quelques jours de la fin de la saison des pluies, que les récoltes de 2016 seraient parmi les meilleures depuis des années. L’hivernage 2016 est riche d’enseignements si nous voulons une véritable métamorphose de notre agriculture. Le Sénégal étant engagé dans une politique audacieuse d’autosuffisance et de sécurité alimentaire et en perspectives de la prochaine campagne agricole 2017, il est souhaitable de tirer quelques leçons de l’hivernage 2016 afin d’opérer à temps les ajustements indispensables. Serons-nous entendu dans un pays où on préfère parler de politique (politicienne) ou de faits sensationnels, la technique et l’économie n’intéressant que peu de gens ?
Les semences
L’hivernage 2016 a confirmé, s’il en était besoin, que la qualité des semences est une des conditions préalables pour une bonne campagne agricole. La mauvaise qualité des semences d’arachide et de mil en 2016 est à l’origine d’une mauvaise germination des semis observée dans beaucoup de localités, notamment au Saloum. En son temps, dans une contribution publiée par les médias, j’avais attiré l’attention des responsables et des producteurs sur ces problématiques de semences. L’Etat est en train de faire un effort louable pour mettre à la disposition des paysans des semences d’arachide de qualité mais pour le mil, rien n’indique que des efforts soient faits ou programmés. Des tonnages de graines d’arachide sélectionnées sont annoncés mais en réalité, les semences distribuées sont toujours majoritairement des graines écrémées et même souvent mal écrémées. Cette année, un grand risque plane sur la tête des arachiculteurs en ce qui concerne les semences. Si l’Etat ne prend pas les bonnes dispositions à temps, les récoltes de 2017 risquent d’être pires que celles de 2016 en termes quantitatifs et qualitatifs.
L’engrais
L’agriculture du 21ème siècle a besoin d’engrais mais la manière dont ce produit subventionné est distribué aux producteurs laisse toujours en rade les petits paysans qui représentent pourtant plus de 70% des producteurs. Sans engrais, avec des sols totalement épuisés, on ne doit pas s’attendre à une bonne récolte. Il est temps de revoir la procédure de distribution de l’engrais subventionné. Les gros producteurs, grands bénéficiaires de l’engrais subventionné, sont souvent des commerçants usuriers. Il est temps d’évaluer la subvention des produits destinés au monde rural aussi bien pour l’agriculture que pour l’élevage. L’Etat, donc le contribuable, perd beaucoup d’argent avec des résultats décevants.
La contreperformance de l’agriculture en 2016 devrait permettre de rectifier beaucoup de choses, avant d’entamer celle de 2017. Une rencontre nationale sur la subvention des semences et intrants agricoles ainsi que leur distribution aux paysans et pasteurs est une nécessité. Le progrès, c’est aussi une amélioration continue des procédures. L’autosatisfaction saupoudrée de slogans doit être bannie.
Le matériel agricole attelé
L’agriculture sénégalaise repose sur le matériel agricole attelé. Non renouvelé véritablement depuis les années 1970, il est vieillissant et est sur le point de devenir un obstacle à la modernisation de l’agriculture. Il me semble opportun d’accélérer la cadence de renouvellement du matériel agricole attelé. L’insuffisance et le mauvais état des semoirs et autre matériel agricole sont à l’origine des retards observés lors des opérations de mise en terres des semences. L’une des leçons à tirer de l’hivernage 2016 est que pour une bonne récolte, il faut semer dès les premières pluies. Les mauvaises récoltes de 2016 sont aussi imputables au fait que les paysans ont semé leurs champs avec beaucoup de retard l’hivernage dernier.
La mécanisation de l’agriculture
La mécanisation de l’agriculture sénégalaise a été lancée par le Président Abdoulaye Wade. En accédant au pouvoir, le Président Macky Sall a accéléré la cadence d’acquisition de tracteurs et divers autres engins. Il semblerait que l’Etat va acquérir 1000 tracteurs cette année 2017. C’est un bon rythme pour la mécanisation de notre agriculture. Il est utile de rappeler que même subventionnés, plus de 70% des agriculteurs n’ont pas les moyens d’acheter un tracteur. La mécanisation de l’agriculture ne touche en réalité qu’une infime minorité de paysans sénégalais. Les services compétents de l’Etat devraient trouver une formule permettant aux petits paysans de bénéficier eux aussi des avantages des tracteurs. En 2016, les petits paysans ne pouvaient labourer leurs champs avec un tracteur que moyennant 25 000 F par hectare, une forte somme que peu de producteurs sont capables de mobiliser, surtout en période de soudure. Pour la culture du maïs, de la pastèque et du riz, le paysan a besoin de tracteur pour préparer le terrain. Certaines mauvaises récoltes de 2016 sont imputables à l’inaccessibilité des tracteurs pour la majorité des paysans.
La (non) maitrise de l’eau
L’eau est le premier facteur déterminant pour une bonne campagne agricole. Sans eau, point de cultures. Pour obtenir de bonnes récoltes, il faut de l’eau en quantité et bien répartie dans le temps. En 2016, les pluies étaient suffisantes et bien réparties dans le temps et dans l’espace au Sénégal. Malheureusement, à quelques semaines des récoltes, il y eut un arrêt brutal et prématuré des pluies. Ainsi, tous ceux qui avaient semé tardivement ont eu de faibles récoltes et de mauvaise qualité : arachide, céréales, pastèque, tomate, riz, aubergine amère, fonio etc. L’année 2016 a montré qu’il reste beaucoup à faire dans la maitrise de l’eau au Sénégal. Si les paysans avaient les moyens d’arroser leurs champs dès la pause pluviométrique, la campagne agricole 2016-2017 allait être l’une des meilleures depuis 1960.
Dans le cadre du Pse, le référentiel économique du pays, les bassins de rétention devraient être relancés pour récupérer les milliards de mètres cubes d’eau de ruissellement. Ces eaux pourraient notamment être utilisées pour arroser les champs en cas de pose pluviométrique ou d’arrêt précoce des pluies comme en 2016. Les pays du Nord, où il pleut 12 mois sur 12, utilisent un système d’arrosage sécuritaire au cas où. Le Sénégal, un pays où la pluie ne dure que 4 mois sur 12, devrait utiliser lui aussi un système d’arrosage sécuritaire s’il veut une agriculture moderne, performante et sécurisée. La mécanisation par acquisition de tracteurs ne peut pas à elle seule moderniser l’agriculture. Sans la maitrise de l’eau, notre agriculture va demeurer très vulnérable et contre-performante.
La maitrise de l’eau devrait être un des sous-axes du Pracas. Chaque commune devrait disposer au moins d’un équipement d’arrosage. Les spécialistes du machinisme agricole sont en mesure de trouver la meilleure formule pour permettre aux paysans de sécuriser leurs cultures grâce à un équipement d’arrosage.
Le réchauffement climatique dont les effets au niveau agricole commencent à se faire sentir, est une raison supplémentaire de relancer les bassins de rétention à travers le pays. Le Pudc et les partenaires du Sénégal pourraient être sollicités pour rendre opérationnelle cette vision révolutionnaire dès 2017 ou 2018.
La modernisation de l’agriculture se fera par l’amélioration d’abord de l’existant, par une sorte de veille technologique. Ainsi, le matériel attelé devrait être renouvelé en continu, et si possible amélioré opérationnellement. L’introduction des tracteurs en milieu rural est une bonne chose, surtout pour la culture du maïs, du riz, de la pastèque, de la tomate etc. Le rythme est bon et devrait être maintenu et élargi aux petits producteurs qui pour l’instant sont laissés en rade.
La modernisation de l’agriculture n’est possible que si les paysans ont accès à des semences de qualité et de l’engrais à temps et en quantité. A ce niveau, des efforts sont en train d’être faits mais il faut accélérer la cadence.
Le maillon le plus faible de notre politique agricole est la non-maitrise de l’eau. Pour ce facteur vital, il faut innover. Innover suppose, à côté de l’amélioration de l’existant, oser faire quelque chose de différent, d’inédit. C’est cela le progrès.
Pr Demba SOW
Ecole Supérieure
Polytechnique de l’Ucad