La campagne de commercialisation de l’arachide a timidement démarré. Deux semaines après son lancement officiel, l’arachide est introuvable (Cf, la Une du Quotidien du mercredi 18 novembre 2024). En témoigne, à Ziguinchor, par exemple, la Sonacos qui annonce avoir collecté 380 tonnes sur un objectif compris entre 80 et 100 mille tonnes. A Tambacounda, dans une partie de la région de Kolda, ainsi que dans la zone centre, notamment Kaolack, Fatick et Kaffrine, la campagne est pour le moment jugée morose. Peu de points de collecte sont fonctionnels dans ces régions du Sud-est et du bassin arachidier. Un ami habitant à Nioro m’a dit : «Bachir, nous à Nioro, quartier Nouroulaye, tout agriculteur qui avait 1000 kg l’année dernière, cette année tu as au maximum 200 kg avec les mêmes surfaces cultivées. Notre famille avait l’an dernier 3000 kg ; cette année, on a eu 500 kg. Chez mon oncle, il avait 4600 kg, cette année, ce sont 1300 kg.» Et l’ami de conclure : «En tout cas, mon intime conviction est que si le pays dépasse 500 000 tonnes, ça me surprendra.» Un autre ami, plus pessimiste, prédit que «nous n’allons pas atteindre les 300 000 tonnes d’arachide». «J’ai semé 250 kg de graines d’arachide et je n’ai récolté que 4 sacs», ajoute-t-il.

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Pourtant, le ministre de l’Agriculture, Mabouba Diagne, annonce une production de l’ordre de 700 à 800 mille tonnes d’arachide. C’est la pire production depuis 10 ans. L’on retiendra que l’année dernière, le Sénégal avait produit 1, 5 million de tonnes d’arachide. Chiffre que le ministre de l’Agriculture a rejeté parce qu’étant des «chiffres falsifiés sous Macky Sall». Si Ousmane Sonko conteste les chiffres de la dette et du déficit budgétaire, normal que son ministre de l’Agriculture accuse ses collaborateurs d’avoir fourni de fausses statistiques agricoles.

Au regard de la baisse drastique de la production arachidière (malgré un prix au producteur théoriquement plus rémunérateur de 305 francs Cfa contre 280 l’année dernière), qu’en est-il de la production céréalière ? Pour l’instant, les chiffres de la production céréalière ne sont pas officiellement annoncés. C’est comme si Mabouba Diagne cherchait à cacher à l’opinion les (mauvais ?) résultats de son département. L’on se rappelle qu’à sa nomination, volontariste, Diagne annonçait des «productions record» pour cette campagne, à grand renfort de communication tapageuse et de propagande populiste, avec en sus l’intervention de l’Armée dans la distribution des intrants. En effet, à cette période de l’année, le chiffres de la campagne agricole sont disponibles et font même l’objet d’une communication en Conseil des ministres, ou tout au moins en Conseil interministériel de préparation de la campagne de commercialisation. Mais face à la mauvaise qualité des semences et de l’engrais, de la pluviométrie qui a subi de longues pauses qui ont impacté les récoltes, et surtout le débordement du fleuve Sénégal, les résultats agricoles s’annoncent «très mauvais», d’après des spécialistes du secteur. Souhaitons qu’à l’heure du bilan, le ministre Mabouba Diagne ne fasse pas comme son collègue qui invoquait «l’hivernage des autres» pour justifier les carences de l’Etat dans la lutte contre les inondations.

94 197 personnes à secourir d’urgence
Déjà au mois d’octobre ou à tout le moins dans la première semaine du mois de novembre, les experts du Comité inter-Etats de lutte contre la sécheresse au Sahel (Cilss) se retrouvent pour travailler avec les services de la statistique agricole afin de consolider et confirmer les résultats. Mabouba Diagne cache-t-il aux Sénégalais que nous allons vers des périodes difficiles à cause de la mauvaise production agricole de cette année ? D’après des spécialistes du Cilss, nous risquons d’avoir 1, 3 million de Sénégalais en situation d’insécurité alimentaire «critique à pire» entre mai, juin et juillet 2025 !

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D’après des données non encore publiées, 1 334 132 personnes seront dans une situation d’insécurité alimentaire de niveau 3, c’est-à-dire de la phase 3 à 5 dans le classement du Cadre harmonisé du Cilss. Et 94 197 personnes, principalement localisées dans les départements de Tambacounda et Koumpentoum, seront même dans la phase 4 d’urgence. En détail, le département de Podor arrive en tête avec 147 756 (29%) cas d’insécurité alimentaire critique, suivi de Tambacounda 104 347 (23%), Matam 102 342 (25%), Kanel 86 730 (24%), Goudiry 46 355 (25%) et Malem Hodar 33 293 (23%).

En comparaison à l’année 2023, la «situation alimentaire (était) meilleure que celle de novembre 2022. Par rapport à novembre 2022, la proportion de personnes en sécurité alimentaire (phase minimale) en novembre 2023 a augmenté de 15%, passant de 68 à 83%. Celles en insécurité alimentaire modérée (sous pression) ont diminué de 12%. La population en insécurité alimentaire sévère (phase crise à pire) connaît également une baisse de 3%». En effet, d’après le Secrétariat exécutif du Conseil national de sécurité alimentaire (Se/Cnsa), seules 846 467 personnes étaient concernées par l’insécurité alimentaire modérée. Et d’ajouter : «Contrairement à l’analyse de novembre 2022, aucun département n’a été déclaré en crise pour la période courante de l’analyse du Ch du mois de novembre 2023. L’amélioration de la situation alimentaire en novembre 2023 est imputable à une bonne production agricole. Les résultats provisoires de la campagne agricole 2023-2024 ont montré au plan national, une hausse de 16% de la production céréalière par rapport à la campagne 2022-2023 et de 29, 8% par rapport à la moyenne des 5 dernières années au plan national. Concernant les cultures de rente, la production arachidière a augmenté de 12, 5% par rapport à la campagne écoulée et de 3, 2% par rapport à la moyenne quinquennale. Par rapport à la campagne 2022-2023 et à la moyenne des 5 dernières années, la production de niébé a haussé respectivement de 42, 2% et 6, 8%.»

Le Cadre harmonisé, l’outil fédérateur de collecte de données
Faut-il le rappeler, le Cadre harmonisé est un outil fédérateur des Etats membres de la Cedeao confié au Cilss. Tous les partenaires sont d’accord pour l’utiliser comme seul outil qui permette de faire une méta-analyse des données existantes, estimer les populations qui sont en insécurité alimentaire pendant la phase courante et la phase projetée. Par phase courante, il faut comprendre l’analyse du Cadre harmonisé aux mois d’octobre, novembre et décembre. Par phase projetée, il faut comprendre la projection sur la période juin, juillet et août de l’année en cours.

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Et dans chaque pays, une structure assure l’ancrage institutionnel avec le Sap (Système d’alerte précoce). Au Sénégal, c’est le Secrétariat exécutif du Conseil national de sécurité alimentaire (Se/Cnsa) qui assure la coordination de la mise en œuvre du Cadre harmonisé. Et qui, à son tour, coordonne toutes les organisations, les structures qui interviennent dans le domaine (structures étatiques, Ong). En clair, ce n’est pas le Sap qui s’isole pour faire ses données, mais bien en coordination avec tous les intervenant que les résultats sont élaborés. Pour conduire l’analyse, c’est de manière ouverte. Il y a les données des enquêtes de sécurité alimentaire (Pam, Save The Children…) et les données de la production agricole. L’analyse est faite par unité administrative. La plus reconnue est le niveau département pour le Sénégal, ou province pour d’autres pays. Les données sont analysées selon 5 nivaux de sévérité alimentaire et nutritionnelle. Le premier niveau, c’est la phase minimale, quand plus de 80% de la population ne présentent pas des difficultés en termes de sécurité alimentaire et nutritionnelle. La phase 2, appelée «phase sous pression» ou «phase stress», c’est quand le ménage arrive à couvrir ses besoins alimentaires et nutritionnels en faisant preuve de stratégies d’adaptation. Cela représente 20% de la population. La troisième phase, c’est la phase critique, et il y a un problème de sécurité alimentaire car les ménages arrivent difficilement à couvrir leurs besoins de consommation. Généralement, c’est à partir de cette phase qu’on arrive à déceler la malnutrition chez l’enfant. La phase 4 correspond à la phase urgence. La dernière phase, c’est la phase catastrophique alimentaire. C’est quand tout est épuisé, avec des taux de malnutrition assez élevés.

«La production agricole a chuté, notamment les céréales»
C’est dire que la situation d’1, 3 million de Sénégalais compris entre les phases 3 et 4 en alerte plus d’un. D’après certains experts du secteur agricole, c’est un euphémisme de dire que la production est très mauvaise. «C’est une situation un peu difficile. Ça fait longtemps que je n’ai pas vu des chiffres comme ça au Sénégal.

C’est une situation d’insécurité alimentaire aiguë», dit l’un des experts avec qui nous nous sommes entretenus. «1, 3 million de personnes avec 74 000 en urgence, c’est quelque chose qui peut faire tiquer pour des gens qui ont l’habitude de voir des situations minimalistes pour le Sénégal», ajoute un autre. «Ce qu’on a compris, c’est que cette année, il y a les inondations ordinaires et la montée du fleuve Sénégal comme causes de cette situation. La deuxième raison, c’est la baisse de la production agricole. La production agricole a chuté, notamment les céréales», explique notre interlocuteur. Dommage que ces explications ne viennent pas d’un service officiel du gouvernement.

L’insécurité alimentaire correspond au fait de ne pas avoir accès de manière régulière à des aliments sains et nutritifs en quantité suffisante. Et l’année dernière, l’assistance alimentaire de l’Etat et de ses partenaires a été déterminante. Durant la soudure de 2023 (juin-juillet-août), le Programme alimentaire mondial (Pam), l’Ong Action contre la faim (Acf) et le Fonds de solidarité nationale (Fsn) ont mobilisé 4 334 360 000 F Cfa pour venir en aide aux populations, à travers la distribution de cash. Par le biais de la Délégation générale à la protection sociale et à la solidarité nationale (Dgpsn), l’Etat du Sénégal est venu en aide à 368 591 ménages entre mai et septembre 2023 pour un montant de 32 447 200 000 F Cfa à travers les projets de filets sociaux.
Par Bachir FOFANA