L’Afrique francophone aura ressenti un séisme dont l’épicentre fut situé à Dakar où les autorités politiques et monétaires de la zone franc concédaient une dévaluation du FCfa sous les pressions de la France et du Fmi.
Destinée à assainir l’économie et à relancer la croissance dans les pays de la zone, cette décision a été rendue nécessaire par l’absence de politique d’ajustement interne pour faire face aux crises d’endettement, de déficit budgétaire chronique, de perte de compétitivité pour l’industrie locale et de détérioration structurelle des comptes extérieurs dans les trois zones monétaires qui composent la zone Franc.
Pour rappel, notons que le franc Cfa est né le 26 décembre 1945, jour où la France a ratifié les accords de Bretton Woods et procédé à sa première déclaration de parité au Fonds monétaire internationale (Fmi) par le décret n° 45-0136 du 25 décembre 1945. La naissance du F Cfa et la fixation de la valeur de certaines monnaies des territoires d’outre-mer libellées en francs sont ainsi actées par le General De Gaulle himself. La fixité du taux permet surtout aux entreprises françaises d’acquérir des matières premières et d’offrir un débouché à leurs produits manufacturés sans risque de change dans le périmètre colonial. Peut-être est-ce ça le péché originel qui continue à alimenter les débats et nourrir certaines fausses intentions.
Le franc Cfa signifie alors «franc des Colonies françaises d’Afrique». Il prendra par la suite la dénomination de «franc de la Communauté financière africaine» pour les Etats membres de l’Union monétaire ouest africaine (Umoa), créée en 1962, et «franc de la Coopération financière en Afrique centrale» pour les pays membres de l’Union monétaire de l’Afrique centrale (Umac).
Dans les années 1970, des accords de coopération monétaire signés avec les unions monétaires se substituent aux accords bilatéraux. Ces accords visent à accroître le rôle des pays africains dans les instances de la zone franc, notamment à travers le transfert des banques centrales en Afrique : la Beac de Paris à Yaoundé (Cameroun) en 1977 et la Bceao de Paris à Dakar (Sénégal) en 1978.
L’arrimage et la mise sous tutelle du FCfa ont des avantages évidents pour les anciennes colonies, car la stabilité est assurée et la garantie de convertibilité vis-à-vis de l’or et de toute devise étrangère rassure les partenaires extérieurs.
Pour les masses, cette situation se traduit par une inflation sinon faible du moins maîtrisée, ce qui est un facteur de préservation du pouvoir d’achat et de protection de l’épargne qui, in fine, contribue au maintien de la paix sociale et de la stabilité politique.
Cependant, une suite d’événements économiques défavorables au cours des années 1980, notamment la conjonction de la baisse du dollar et du prix des matières premières, conduit à une forte chute des recettes d’exportation et des capacités budgétaires des Etats de la zone franc. Cette dégradation prolongée sur une décennie a rendu nécessaire une dévaluation de 50% des francs Cfa Xof et Xaf le 11 janvier 1994, la seule à ce jour. La France et le Fmi tordent le bras aux autorités de la zone franc et imposent la division par deux du pouvoir d’achat et de l’épargne des ménages, accélérant la paupérisation d’une frange importante des populations aux revenus souvent faibles. La dévaluation, jugée brutale par certains, est encore considérée comme un traumatisme.
L’actuel Président ivoirien, M. Alassane Ouattara joua un rôle crucial dans le processus en tant qu’ancien gouverneur de la Banque centrale, chef de gouvernement de Côte d’Ivoire jusqu’en 1993 et homme de confiance de Paris. Ce n’est pas par hasard qu’en décembre 2019 le Président français Emmanuel Macron annonce à Abidjan, toujours devant le Président Alassane Ouattara, la mort du F Cfa et son remplacement par l’Eco. La France se retire de la gestion du compte d’opérations qui centralise les avoirs extérieurs de la zone franc et ne siège plus dans les instances de décision des banques centrale de l’espace zone franc.
25 ans depuis cette dévaluation, les pays de la zone continuent dans les mêmes schémas auxquels la division internationale du travail les a confinés, à savoir la production et l’exportation de produits primaires pour l’industrie des pays du nord et des tigres asiatiques. Les termes de l’échange continuent plus que jamais d’être plus favorables aux pays du nord qui rémunèrent faiblement et souvent marginalement nos matières premières. C‘est le cas par exemple du coton, du café et du cacao.
La baisse de la parité du FCfa vis-à-vis surtout des monnaies des pays industrialisés ne s’est pas traduite par une percée des biens et services produits dans les pays d’Afrique. Au surplus avec l’essor des productions de masse de la Chine, le tissu industriel dans la zone franc est en voie de disparition.
Les comptes extérieurs connaissent les mêmes structures déficitaires avec les importations de biens finaux et intermédiaires plus rémunérateurs. Et les bénéfices des entreprises étrangères sont automatiquement transférés vers leurs pays d’origine. Les investissements directs étrangers sont confinés aux mines, pétrole et gaz. Heureusement, les transferts massifs de la diaspora rééquilibrent un peu la balance des capitaux.
Enfin avec la pandémie de la Covid-19, les performances engrangées dans la maîtrise des déficits budgétaires, avec notamment les critères de convergence dans la zone Uemoa par exemple, sont remises en question.
En définitive, il appartiendrait aux pays de la zone franc de conserver l’arrimage à l’euro ou de décider d’indexer la future monnaie à un panier de monnaies – euro, dollar, livre sterling, yuan – correspondant à leurs principaux partenaires commerciaux. Dans tous les cas, un changement radical de modèle économique reste essentiel au vu des performances de nos économies après que la dévaluation soit intervenue il y a 26 ans jour pour jour.
Moustapha DIAKHATE
Expert et Consultant
Ex-Conseiller Spécial Primature
Ex-Conseiller Cabinet Pr Cese
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