1er décembre 1944 à Thiaroye dans la banlieue dakaroise au Sénégal : massacre de centaines de Tirailleurs «sénégalais» par l’Armée française

4) Le feuilleton du bilan de ce crime d’Etat
Dans le fil continu de contradictions du film officiel de la «mutinerie» de Thiaroye, le bilan macabre constitua à lui seul un feuilleton sordide. Il y eut deux bilans dans les rapports et les procès-verbaux officiels : un de 35 morts et un autre de 70 morts. De 1945 à 2014, le bilan officiel de référence était de 35 morts. Ainsi, le Président français François Hollande fit passer lors de deux visites au Sénégal, le bilan officiel de 35 morts en 2012 à 70 morts en 2014.
Soit un bilan doublé en l’espace de deux ans ! Combien de voyages officiels de ce Président français ou d’un Président français aurait-il fallu pour s’approcher de la vérité du bilan macabre du crime de Thiaroye. Il est évident que le bilan macabre est minoré. De par des témoignages et certains éléments non censurés des archives, les corps de tirailleurs ne sont pas enterrés dans le cimetière militaire, mais dans trois fosses communes dont le secret de leur localisation est toujours gardé dans les archives de l’Etat français.
Que faire pour estimer le bilan devant la rétention de parties essentielles des archives, la falsification de certains rapports militaires constatées par l’historien Martin Mourre : «Je pense que les rapports ont été falsifiés dès leur rédaction pour que les militaires se couvrent vis-à-vis de leur supérieur hiérarchique. Des éléments sont illogiques. Par exemple, on annonce un chiffre de 35 tués…, mais on ne possède le nom que de 11 personnes, donc pourquoi il en manquerait 24 ?»i Il ne nous reste qu’à examiner les hypothèses les plus crédibles des individus s’étant penchés sur le sujet :
La moins crédible parmi les hypothèses est celle de l’historien Julien Fargettasii qui adopte le bilan de 35 morts, bien en dessous des 70 morts reconnus par François Hollande en 2014. Ce n’est pas étonnant de sa part en tant qu’historien et ancien officier plus préoccupé par la défense de sa corporation que par la recherche de la vérité. Il s’est évertué à calomnier l’historienne Armelle Mabon au lieu d’attaquer ses thèses sur le terrain de la polémique universitaire argumentéeiii.
Martin Mourre avance un bilan d’une centaine de morts environ ;
Quant à Armelle Mabon, elle soutient le bilan de plusieurs centaines de morts, approximativement entre 300 et 400 morts. Pour aboutir à environ 400 morts, elle utilise un indice pertinent qui est la sous-estimation du décompte des tirailleurs arrivés dans le Camp de Thiaroye après leur débarquement le 21 novembre 1944 à Dakar. Après les massacres, l’effectif déclaré officiellement par les autorités militaires s’éleva à 1300, alors que 1615 tirailleurs furent recensés au départ. Il n’y eut aucun débarquement avéré de tirailleurs avant Dakar. Donc, 315 tirailleurs se seraient volatilisés dans l’effectif initial. Ce qui est difficilement admissible si on se réfère aux appels récurrents dans l’Armée pour le décompte des effectifs, mais aussi au ravitaillement et à la logistique pour lesquels une connaissance précise des effectifs est impérative. En ajoutant les 315 tirailleurs «oubliés» et les 70 morts, cela fait 385 morts, on n’est pas loin des 400 morts. C’est l’hypothèse la plus pertinente.
Le procès ne va déroger aux subterfuges et aux manigances qui furent à l’œuvre durant toutes les étapes antérieures.
Le procès des présumés meneurs
Il n’est nullement étonnant que le procès subséquent des 34 «meneurs» fût un simulacre de procès où l’instruction fut menée exclusivement à charge à l’aide de pièces souvent montées de toutes pièces. Au nombre de huit, les chefs d’inculpation embrassent aussi bien la provocation de militaires à la désobéissance que la rébellion commise par des militaires armés. Le passé d’engagement dans la résistance de plusieurs tirailleurs fut nié, en dépit des témoignages ultérieurs prouvant le contraire. Un témoin-clé, en l’occurrence le commandant des automitrailleuses, ne fut pas entendu alors qu’il était présent à Dakar lors de l’instruction. Ces automitrailleuses dépendaient du 6ème Régiment d’artillerie coloniale (Rac). Ces «oublis» ou ces manipulations furent en résonance avec l’altération des archives à un point qu’«en 1973, le chef du Service historique de la Défense (Shat) a exprimé sa surprise en constatant «des archives du 6ème Rac extrêmement sommaires, qui ne contiennent rien sur leur participation pourtant indiscutableiv»».
Le prononcé du jugement de ce «procès» le 5 mars 1945 infligea des peines d’emprisonnement d’1 à 10 ans avec des dégradations militaires. Une minorité fut condamnée à des amendes. Le pourvoi en cassation des condamnés fut rejeté le 17 avril 1945. Tous les condamnés furent graciés en 1947 par le Président français Vincent Auriol. La grâce permit aux condamnés de recouvrer leur liberté, mais n’effaça pas leur «culpabilité». Ils restèrent dépouillés de leurs droits suite à une spoliation doublée d’une escroquerie dans les taux de change. Ils restèrent aussi pour la plupart l’objet d’une dégradation militaire. Par ce verdict, le pouvoir colonial pensait ainsi enterrer la résistance des Tirailleurs de Thiaroye, ainsi que leur mémoire. C’était sans compter avec la volonté de leurs descendants, des associations de tirailleurs et des organisations démocratiques, en général.
Chape de plomb et concessions récentes de l’impérialisme français
Thiaroye fut un crime d’Etat prémédité. Ce que ne veut pas jusqu’à présent reconnaître l’Etat français. Il usa de tous les moyens possibles pour biaiser, déformer, maintenir le brouillard sur les raisons de cette boucherie, son exécution, le nombre de morts, la localisation des fosses où furent enterrées les victimes.
Le premier moyen utilisé fut la force brute, consistant à interdire et à réprimer toute célébration des massacres de Thiaroye. Cela n’empêcha pas l’entretien de cette mémoire qui se perpétua par des poèmes comme «Aube africain» du guinéen Fodéba Keïtav, une littérature circulant sous le manteau, entre autres, durant la période coloniale.
Dans le complot pour étouffer toute manifestation de la vérité, l’Etat français eut recours à des méthodes plus machiavéliques, se traduisant par la falsification, la création de pièces factices, de documents, au niveau des archives historiques. Comme pour les massacres des Algériens du 17 octobre 1961 à Paris, les archives y afférentes sont biaisées, caviardées avec des pièces tronquées, manquantes ou parfois inventées.
C’est ce que pense Armelle Mabon : «Mais le gros problème de ces archives est qu’elles ont été constituées pour alimenter un récit falsifié de ce qui s’est passé. Elles comportent des rapports rédigés sur ordre pour faire croire à une rébellion armée. Les vraies archives sont restées à Dakar. Tout porte à croire qu’elles étaient conservées au Camp militaire de Bel Air jusqu’au retrait des forces françaises en 2011. Elles ne sont répertoriées nulle part, mais nous avons des témoignages sur l’existence de cartons d’archives dans lesquels pourraient se trouver la liste des personnes tuées, leur nombre, ainsi que l’emplacement des fosses communes où elles ont été enterrées. Il est aussi fort probable qu’y soient consignés les montants spoliés. J’ai fait des demandes au ministère de la Défense et je n’ai eu jusqu’à présent aucune réponse, alors que le dernier Commandant des forces françaises au Sénégal, le Général Olivier Paulus, a été nommé dans la foulée directeur du Service historique de la défense [avant d’en être exclu en 2013]. S’il y a bien quelqu’un qui sait où sont ces archives, c’est lui. Ma crainte est que ces archives aient été détruitesvi.»
Ces mensonges et cette réécriture de l’histoire continuent jusqu’à présent dans les expositions officielles. Peu avant la visite du Président français Hollande en fin novembre 2014 où il révisa le bilan à la hausse, à 70 morts, il y eut «l’affiche de l’exposition, le 20 novembre 2014 à Thiaroye au Sénégal, pour commémorer le massacre qui n’a officiellement fait «que» 35 victimes parmi les tirailleurs sénégalais le 1er décembre 1944 vii». Ah si le ridicule tuait !
Dans le complot de silence de l’Etat français contre ce qu’il appela les «évènements de Thiaroye», l’action la plus spectaculaire fut la censure du film «Camp de Thiaroye» de Sembène Ousmane. Sorti en 1988, le film fut boycotté au Festival de Cannes de la même année et fut interdit durant dix ans en France. Ce fut aussi l’action peut-être la plus contreproductive pour l’Etat français, car le film fut non seulement primé au Mostra de Veniseviii en Italie, mais connut un grand retentissement en Afrique francophone et dans le monde. Ce succès incita beaucoup de monde en France à le voir par divers biais. Les cassettes du film circulèrent sous le manteau. 38 ans après sa censure en 1988, «Camp de Thiaroye» a fait partie de la sélection «Cannes Classics 2024» au Festival de Cannes en mai 2024ix.
La mémoire des Tirailleurs de Thiaroye est restée vivace dans la conscience des peuples africains. C’est le résultat du travail d’organisations de tirailleurs, de leurs descendants, des forces de Gauche, mais aussi après l’indépendance, de régimes plus ou moins patriotes ou nationalistes. Ainsi en décembre 2001, le Président malien Alpha Oumar Konaré inaugura un monument en leur mémoirex avec l’inscription suivante : «A la mémoire des fusillés de Thiaroye. Cette plaque vise à perpétuer le souvenir des combattants de la Seconde Guerre mondiale dont de nombreux Soudanais [nom du Mali sous la période coloniale – Soudan français] lâchement fusillés par les autorités coloniales le 1er décembre 1944 au Camp de Thiaroye près de Dakar pour avoir réclamé le paiement de leur solde, de la prime de combat et celle de démobilisationxi». En 2004, l’Etat sénégalais, sous le régime de Abdoulaye Wade, instaura le 23 août comme «la Journée du tirailleur sénégalais» et invita tous les pays africains concernés à s’y associer. C’est le premier régime sénégalais à soulever la question des tirailleurs, mais sans esprit conséquent d’aller jusqu’au bout et dans une certaine ambigüité folklorique. Le régime suivant de Macky Sall s’est contenté durant son règne d’accompagner les revirements de façade de l’Etat français.
Depuis les années 2000, il y a un vent de renaissance panafricaniste centré autour de la revendication de réappropriation de souveraineté, de la dignité et des ressources des peuples africains. Outre la traite esclavagiste, le colonialisme, le néocolonialisme avec sa facette «Françafrique» est pointé du doigt. La jeunesse africaine, à l’avant-garde du mouvement, s’est saisi des crimes de Thiaroye 1944, entre autres. Ce mouvement déboucha sur des «coups d’Etat populaires» soldés par l’expulsion des troupes militaires française du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Au Sénégal, à l’issue des élections démocratiques en mars 2024, le régime opéra un début de prise de distance vis-à-vis de l’Etat français et de sa politique africaine. Une première, en 2024 un Président sénégalais n’a été présent ni au Sommet de la Francophonie ni aux célébrations d’un débarquement en Provence, en l’occurrence le 80ème, tous les deux évènements organisés en France.
L’Etat français s’est ainsi trouvé sous une forte pression par la lutte conjuguée des peuples africains avec le soutien des forces démocratiques ou anti-impérialistes en France, sans oublier le travail acharné au niveau universitaire mené par l’historienne Armelle Mabon. Il n’a eu d’autre choix que de lâcher du lest. C’est ainsi que le 18 juin 2024, deux jours avant la rencontre entre le nouveau Président sénégalais Bassirou Diomaye Faye et le Président français Emmanuel Macron, discrètement, l’Etat français a attribué la mention «Mort pour la France» (Mpf) à M’Bap Senghor et à cinq autres anciens tirailleurs originaires du Sénégal, du Burkina Faso et de Côte d’Ivoire par l’Armée français le 1er décembre 1944xii. Biram Senghor, orphelin de son père M’Bap, fusillé quand il avait l’âge de six ans, devient, 80 ans plus tard, à 86 ans, pupille de la Nation française, après s’être heurté, des décennies durant, au refus et au silence de l’Administration française. Cela pourrait peut-être figurer comme record dans le Guinness !
Trop peu et trop tard !
Dans une tribune publiée par le journal «Le Monde», les familles des morts, des condamnés et des rapatriés spoliés de «Thiaroye 44» ont formulé les revendications suivantes en 2016 :
«Rendre consultables toutes les archives sur l’affaire Thiaroye ;
proposer son aide au Sénégal pour l’exhumation des corps ;
donner la liste des morts et leur attribuer la mention «Mort pour la France» [Mpf]. Il n’y a rien de plus tragique que des morts sans nom ;
saisir la Commission d’instruction de la Cour de révision et de réexamen pour les 34 condamnés ;
réparer les spoliations;
modifier les textes exposés au Mémorial du Cimetière de Thiaroye ; cesser de porter atteinte à la mémoire de ces hommes et des officiers qui ont eu le courage de les défendre ;
nommer les responsables aujourd’hui de cette obstruction à la manifestation de la vérité sur un crime commisxiii.»
Ces revendications recoupent, grosso modo, les exigences formulées par l’historienne Armelle Mabonxiv. Elles s’intègrent aussi parfaitement dans la triple réhabilitation défendue par l’actuel Premier ministre du Sénégal Ousmane Sonko où il plaide pour :
«Une réhabilitation humaine, en exhumant les fosses communes et en offrant une sépulture digne aux victimes ;
une réhabilitation mémorielle, en réexaminant les cas des survivants accusés de trahison ;
et une réhabilitation matérielle, en réclamant le paiement des indemnités et soldes promis par la France aux descendants des tirailleursxv.»
Toutes ces exigences sont justifiées et légitimes, même si des réserves pourraient être émises sur certaines modalités de la réhabilitation mémorielle avec la mention «Mpf». Mort pour quelle France : une France impérialiste ou une France colonialiste, d’autant plus que les tirailleurs ont été mobilisés d’une évidence réactionnaire comme révoltes anticoloniales ou les luttes d’indépendance d’autres pays colonisés comme l’Algérie, Madagascar ou en Indochine, ou bien une autre France réellement internationaliste égalitaire ?
Quelle que soit l’éventuelle pertinence de ces réserves qui seront développées plus loin, force est de reconnaître que les concessions sont très loin du compte par rapport aux aspirations des descendant-e-s des tirailleurs et du gouvernement sénégalais, entre autres. Même si ce dernier se déclare ouvert à reconnaître plus de Mpfxvi.
Encore trop peu et trop tard ! Et la réponse est cinglante de la part du Premier ministre du gouvernement sénégalais qui se revendique souverainiste, Ousmane Sonko. Il s’est exprimé en tant que président du parti au pouvoir «Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité» (Pastef)-Les Patriotes : «Nous demandons au gouvernement français de revoir ses méthodes, car les temps ont changé ! … Pourquoi cette subite «prise de conscience» alors que le Sénégal s’apprête à donner un nouveau sens à ce douloureux souvenir, avec la célébration du 80e anniversaire cette année ? … Je tiens à rappeler à la France qu’elle ne pourra plus ni faire ni conter seule ce bout d’histoire tragique. Ce n’est pas à elle de fixer unilatéralement le nombre d’Africains trahis et assassinés après avoir contribué à la sauver, ni le type et la portée de la reconnaissance et des réparations qu’ils méritent. … Thiaroye 44, comme tout le reste, sera remémoré autrement désormais.xvii»
Dans cette logique, en mi-août 2024, l’Etat sénégalais a installé un Comité de commémoration du 80ème anniversaire des tueries de Thiaroye qui aura lieu le 1er décembre 2024. Il est dirigé par l’historien Mamadou Diouf, enseignant à l’Université Columbia aux Usa. Le comité se compose de deux commissions : «La première sera chargée d’établir «les preuves, les témoignages, les documents pour comprendre pleinement les évènements». La deuxième, dédiée notamment «aux réparations», devra «proposer des actions pour honorer la mémoire des victimes et sensibiliser les générations futures» sur la tuerie. xviii»
Dans l’optique de ce travail, avec en toile de fond une affaire franco-africaine et non une affaire franco-sénégalaise, selon Dialo Diop, Conseiller mémoire du Président sénégalais Bassirou Diomaye Faye : «Au nom des Etats africains, nous allons demander au gouvernement sénégalais de faire exhumer les fosses communes qui ont été en partie localisées. Cela permettra de mettre un terme à la controverse sur le nombre de victimes, annonce Dialo Diop, Conseiller mémoire du Président Faye. L’urgence est là. La mention «Mort pour la France», attribuée à six personnes, est une goutte d’eau dans l’océan des morts de l’injustice coloniale. Nous demanderons à la France la restitution de l’intégralité des archives. Un refus signifierait une forme de mépris envers les Africains xix.»
Quelle formulation cohérente et conséquente des revendications autour de Thiaroye 1944 ?
La justesse de la réhabilitation humaine et de la réhabilitation matérielle ne devrait souffrir d’aucune contestation de la part de tout individu tant soit peu démocrate et/ou sincère. Par contre, la réhabilitation mémorielle est questionnable si on n’essaie pas de l’approfondir ou de la nuancer à travers certains de ses aspects plus ou moins compromettants comme l’octroi de la mention «Mpf». Cette mention revêt un double aspect :
un aspect relatif à des droits pour ses conjointes ou descendant-e-s en termes de pension de réversion ou d’allocations à des pupilles de la Nation. A ces droits, on pourrait y ajouter un autre aussi démocratique dont devrait bénéficier la mémoire du tirailleur assassiné, c’est le droit d’être innocenté d’un crime imaginaire qu’il n’a jamais commis. Et tous les faits émergés de la censure le prouvent. L’approche de Armelle Mabon pour le statut de «Mpf» est aussi une formulation de droits démocratiques dans la bonne intention d’une égalité de traitement des tirailleurs par rapport à leurs «collègues français». Elle fait le parallèle entre l’affaire des Tirailleurs de Thiaroye 1944 et l’affaire Dreyfus en France dans ces termes : «La balle est dans le camp du Garde des sceaux qui peut saisir la Cour de cassation. Une réhabilitation serait un geste inédit depuis l’affaire du Capitaine Dreyfus… Ces tirailleurs ont subi un traitement discriminatoire car ils étaient africains. Aurait-on laissé des soldats blancs dans des fosses communes et camouflé leur assassinat pendant si longtemps ? Thiaroye, c’est aussi une histoire du racisme xx.» Le Capitaine était un officier juif dans un contexte de summum d’antisémitisme officiel entre autres en France à ce moment. Il avait été injustement accusé et condamné pour intelligence avec l’empire allemand. Il fut libéré et réhabilité à la suite d’une grande mobilisation d’une catégorie d’individus qu’on appelle depuis lors «intellectuels».
un aspect politique ou idéologique de la guerre pour laquelle ou à l’issue de laquelle le tirailleur est mort.
C’est dans cet aspect politico-idéologique que l’os s’incruste dans le boudin. Car toutes les guerres dans lesquelles les tirailleurs sont impliqués sont soit des guerres entre brigands impérialistes comme en 1914-1918, soit des guerres de conquête, de domination et répression d’autres peuples colonisés. Pour utiliser un jeu de mots avec leur appellation, dans toutes ces guerres les tirailleurs TIRENT AILLEURS que vers ce qui devrait être leur véritable CIBLE : le colonialisme ou l’impérialisme régentés par la bourgeoisie de France. Même le paravent antifasciste ou antinazi brandi par les «Alliés» pour la Seconde Guerre mondiale ne devrait pas faire illusion dans la lignée de ce qui a été développé ci-dessus. A savoir en dehors du projet nazi d’exterminer des entités telles que la communauté juive, les Tziganes, les Lgbt, etc., la Seconde Guerre mondiale ne diffère pas fondamentalement de la Première Guerre mondiale. Les «puissances Alliées Occidentales» ont prétendu mener un combat contre un régime prônant une hiérarchie entre les présumées races pour entretenir cette même hiérarchie dans les colonies, dans leurs armées, dans leurs pays concernant les Usa où la ségrégation raciale était légale jusque dans les années 1960. Outre la boucherie de Thiaroye en décembre 1944 contre les tirailleurs, le meilleur démenti à la posture antifasciste ou antinazie des «Alliés Occidentaux» est la cause sous-tendant la précipitation de leur rapatriement global : «le blanchiment ou le blanchissement de troupes» devant parachever la libération de villes comme Paris !
Et ce n’est pas tout ! La boucherie de Thiaroye 1944 ne constitue qu’un épisode des crimes de l’Armée française. Il y en eut plusieurs avant. Peut-être, Thiaroye 1944 fut la seule tuerie de tirailleurs réclamant leurs dus fusillés comme des lapins par «leurs ex-frères d’armes». Après Thiaroye 1944 et la défaite du nazisme, les massacres de l’Etat français s’enchaînèrent contre les manifestations politiques et les révoltes d’indépendance : les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata en Algérie à partir de la signature de l’armistice entre la France et l’Allemagne le 8 mai 1945, les massacres de Madagascar en 1947, les massacres en Indochine, jusqu’à la débâcle de l’Armée en 1954.
Il faudrait souligner qu’au-delà de Thiaroye 1944, l’Etat français a commis une spoliation globale à travers la «cristallisation» des pensions des tirailleurs de son ex-empire colonial dans son ensemble à partir des années 1960. La conséquence fut le gel de leurs pensions déjà à un taux inférieur à ceux de leurs «collègues» français. Pour les toucher, de nombreux tirailleurs étaient obligés de vivre une partie de l’année en France dans des conditions précaires et indignes.
A la rigueur, la mention «Mpf» pourrait être assumée par les tirailleurs dans le cadre d’une véritable guerre contre le nazisme avec une implication de fortes forces internationalistes en France, se battant dans la perspective d’une révolution prolétarienne en France et d’une reconnaissance inconditionnelle à l’indépendance des nations sous domination coloniale. Hélas, il n’y en eut pas en France, du moins à un niveau très faible, incapable de peser.
Dans cette rubrique, le passif de la Gauche ou bien de «Gauche» est très lourd sur toute une longue période historique :
La révolution bourgeoise de 1789 n’a libéré ni les femmes, ni les esclaves, ni les prolétaires de France non plus ;
Les idéologues, «grands Hommes» ou les «Lumières», furent pour l’essentiel des racistes, des colonialistes, des antisémites, des esclavagistes xxi ;
C’est la «Gauche» qui entreprit la conquête coloniale après la révolution de 1789 avec un Jules Ferry proclamant fièrement : «Les races supérieures ont le droit et le devoir de civiliser les races inférieures.» ;
La direction ou l’implication dans les guerres coloniales en Algérie, en Indochine, à Madagascar (1945-1962), en l’occurrence le Parti «Communiste» français (Pcf) et la Section française de L’Internationale Ouvrière (Sfio), ancêtre du Parti socialiste (Ps). Le Pcf n’était pas au gouvernement durant la guerre coloniale en Algérie en 1954-1962, mais a voté tous les crédits de guerre ;
Un projet de déchéance de la nationalité française pour des personnes d’origine étrangère par le gouvernement de «Gauche» Hollande-Valls 2012-2017 (au moins pour ce projet, Christiane Taubira fit preuve de ce qui lui restait de dignité en refusant de le défendre comme ministre de la Justice). Selon l’usage, chaque Président français, du moins du Ps, choisit un parrain. Celui de François Hollande fut Jules Ferry !
Etc.
Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas eu une Gauche française ayant incarné une position, une force vraiment anti-chauvine conséquente que l’alternative internationaliste entre les prolétaires de France et les peuples colonisés ne devrait pas être posée. Tout au contraire, quelle que soit la faiblesse des forces qui la portent, cela semble la seule voie de salut de l’humanité en butte à un désastre écologique, à des guerres «civilisationnelles» menées par les différentes puissances impérialistes, à du sionisme et du jihadisme mortifères, etc. (A suivre)
Maniang FALL
matar@pt.lu
i https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-enquete/1944-massacre-de-thiaroye-le-grand-camouflage-5022632
ii https://www.fondationresistance.org/pages/rech_doc/les-tirailleurs-galais-les-soldats-noirs-entre-gendes-ality-1939-1945_cr_lecture84.htm
iii https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/12/01/il-faut-arreter-avec-le-mensonge-d-etat-sur-le-massacre-de-thiaroye_5041556_3212.html
iv https://www.xalimasn.com/synthese-sur-le-massacre-de-thiaroye-senegal-1er-decembre-1944-par-armelle-mabon/
v https://www.liberation.fr/debats/2017/08/16/thiaroye-1944-histoire-et-memoire-d-un-massacre_1816803/#mailmunch-pop-1146266
vi https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/12/01/il-faut-arreter-avec-le-mensonge-d-etat-sur-le-massacre-de-thiaroye_5041556_3212.html
vii https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/12/01/il-faut-arreter-avec-le-mensonge-d-etat-sur-le-massacre-de-thiaroye_5041556_3212.html
viii https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-enquete/1944-massacre-de-thiaroye-le-grand-camouflage-5022632
ix https://www.afrikipresse.fr/article/festival-de-cannes-projection-du-film-le-camp-de-thiaroye-de-sembene-ousmane-38-ans-apres-sa-censure-en-france
x https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_de_Thiaroye
xi https://www.politis.fr/articles/2020/07/thiaroye-1944-lhistoire-falsifiee-des-combattants-africains-42115/
xii https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/08/15/massacre-de-thiaroye-le-1er-decembre-1944-j-avais-5-ans-grand-mere-m-a-dit-ton-pere-est-mort_6282255_3212.html
xiii https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/12/01/massacre-de-thiaroye-en-1944-a-quand-la-fin-de-l-obstruction-a-la-manifestation-de-la-verite_5041553_3212.html
xiv https://www.liberation.fr/planete/2012/12/25/senegal-le-camp-de-thiaroye-part-d-ombre-de-notre-histoire_869928/#mailmunch-pop-1146266
xv https://senego.com/thiaroye-44-et-la-france-quand-sonko-plaide-pour-une-triple-rehabilitation-des-tirailleurs-video_1728344.html
xvi https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/09/16/massacre-de-thiaroye-le-senegal-envisage-une-nouvelle-demande-de-restitution-des-archives-francaises_6320292_3212.html?random=424950619
xvii https://senego.com/derniere-minute-la-sortie-dousmane-sonko-nous-demandons-au-gouvernement-francais-de-revoir-ses-methodes_1728170.html
xviii https://www.seneweb.com/news/Societe/massacre-de-thiaroye-le-senegal-installe_n_448171.html
xix https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/07/27/senegal-quatre-vingts-ans-plus-tard-la-france-fait-un-pas-vers-la-reconnaissance-du-massacre-de-thiaroye_6259389_3212.html?random=831772704
xx – https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/08/15/massacre-de-thiaroye-le-1er-decembre-1944-j-avais-5-ans-grand-mere-m-a-dit-ton-pere-est-mort_6282255_3212.html?random=910718181
xxi https://www.contreculture.org/AG%20Voltaire.html
https://www.contreculture.org/AG%20Hugo.html
https://www.contreculture.org/AG_De_Gaulle_idees_directrices.html
https://www.contreculture.org/AG_Zola.html