En marge du démarrage de la Biennale des arts de Dakar, Radio France internationale (Rfi) met le focus sur le Sénégal. Trois magazines phare de la radio vont être enregistrés dans la capitale sénégalaise entre jeudi et vendredi. Présentateur de l’émission culturelle «Vous m’en direz des nouvelles», Jean-François Cadet, s’intéresse tout particulièrement au sculpteur sénégalais Ousmane Sow, dont la maison-musée sera inaugurée ce 5 mai.

Pourquoi êtes-vous à Dakar ?
Je suis ici avec quelques collègues dans le cadre notamment, de la Biennale de Dakar, en ce qui me concerne. Et il y aura une émission sur l’inauguration de la maison de Ousmane Sow qui va passer lundi prochain à l’antenne. Et aussi une émission autour du rap et du hip-hop sénégalais qui fête ses 30 ans cette année. Mes collègues Juan Gomez pour «Appels sur l’actualité» et Alain Foka pour «Le débat africain», vont faire eux des émissions plus axées sur les grands débats politiques.

La biennale démarre dans quelques heures. Vous allez faire un focus sur Ousmane Sow. Qu’est-ce qu’il représente pour vous ?
Il représente énormément. Je pense que Ousmane Sow fait partie des trois ou quatre grandes personnalités sénégalaises du 20e siècle et son aura et son talent participent de l’image du Sénégal à travers le monde, mais aussi de l’image de l’art et de la sculpture. Ce n’est pas seulement un sculpteur sénégalais, mais c’est aussi un sculpteur africain dans toute sa dimension. Et un sculpteur tout court dont les œuvres ont été exposées dans le monde entier. Un sculpteur francophile aussi, et moi en tant que Français, ça me touche beaucoup. Je me souviens évidement de son exposition en 1999, sur le Pont des Arts à Paris. C’est vraiment un très grand Mon­sieur. Je n’ai pas eu personnellement la chance de l’interviewer, j’aurais évidement bien aimé. Et là, j’espère qu’on va faire une bonne émission autour de son œuvre et de sa maison que je m’apprête à aller visiter.

C’est important pour vous de connaître les racines de Ousmane Sow ?
C’est très, très important. Je le connais par des films, des livres et par ses expositions aussi. Notamment celle du Pont des Arts, mais c’est évidemment très émouvant de pouvoir rendre compte de la façon dont il vivait, de pouvoir visiter son atelier, de voir la maison qu’il a lui même imaginée et dont il a conçu les plans avec des matériaux qu’il a conçus lui-même. J’attend avec impatience de le voir mais, c’est vraiment important d’aller le voir avant l’émission, de parler avec sa compagne Béatrice Soulé qui est sans doute la personne qui le connaît le mieux aujourd’hui, de façon à le transmettre à nos auditeurs sénégalais, mais aussi à tous les autres.

Et qu’est-ce que vous allez aborder comme thématique dans cette émission ?
On va parler de la maison, puisque c’est ça l’actualité. Ensuite on va élargir à l’ensemble de ses œuvres et sa vie. Comme tous les artistes majeurs, il est difficile de séparer la vie et l’œuvre de quelqu’un comme lui. On aura dans l’émission quel­ques extraits courts où on l’entendra lui-même, avec sa voix qui est très sonore, très chaude et particulière, très posée aussi. On voit toute la profondeur et la sagesse de l’homme qu’il était. Rien que d’entendre le son de sa voix, c’est une très grande émotion.

Et que retenez-vous de son œuvre ?
Sur l’œuvre, ce qui est intéressant, c’est la puissance qui se dégage de ces corps. Il y a un grand sentiment de puissance, de résistance et de souffrance aussi. Mais je pense qu’il n’y a pas de résistance sans souffrance. Je ne peux pas parler à sa place évidemment, mais je crois que chez Ousmane Sow, c’est la souffrance qui génère la résistance et la puissance. Il y a toutes ses séries sur les peuples africains, en particulier les peuples menacés, qui sont très émouvantes. Il y a toute la statuaire qu’il a faite, notamment ses bronzes qui sont exportés dans le monde entier. Il y a par exemple la statue de Toussaint Louverture, qui est en France à la Rochelle, qui est vraiment impressionnante. Il y a aussi Victor Hugo, et c’est vrai qu’une radio comme Rfi est à la confluence de tout ce que décrit Ousmane Sow, c’est-à-dire la capacité pour l’homme de parler au monde entier, de ressentir des choses, de montrer la puissance individuelle des hommes, la force d’âme et de défendre un certain nombre d’idées, l’ouverture d’esprit, la lutte contre les discriminations, la lutte contre le racisme. Ce sont vraiment des valeurs que nous avons chevillées au cœur. Et faire une émission autour de Ousmane Sow à l’occasion de l’ouverture de sa maison-musée, c’était assez évident.

Comme artistes plasticiens sénégalais il y a également les Ndary Lô, les Soly Cissé. Est-ce que les artistes sénégalais sont en train de se faire une place sur la scène internationale ?
On espère. De toute façon, l’empreinte de Ousmane Sow est très forte. Et Soly Cissé sera dans l’émission. C’est un plasticien et un sculpteur qui a une histoire personnelle très forte. Et je vais lui demander dans l’émission, ce qu’il aura retenu de Ousmane Sow. Et même si ses œuvres sont différentes, on verra si justement, il participe de ce sillon que Ousmane Sow a su tracer. On recevra également Ousmane Mbaye, le designer. Il ne faut pas que l’empreinte internationale laissée par Ousmane Sow reste lettre morte. Et je ne vois pas pourquoi les Sénégalais auraient à rester tranquillement dans leur coin alors qu’ils ont une pléthore d’artistes en tous genres.

Vous allez également faire une deuxième émission sur le hip-hop sénégalais. Pourquoi le rap ?
Oui, on va faire une émission avec Awadi et Nix. Deux artistes de générations différentes, rappeurs mais qui s’inscrivent dans des façons de s’exprimer musicalement plutôt différentes. Mais justement, c’est cette force dans les deux cas qui est importante à retranscrire.

Et cet intérêt pour le hip-hop, c’est peut être aussi par rapport au rôle que le mouvement a joué dans les changements démocrati­ques sur le continent ?
Il y a effectivement la dimension politique qui est inséparable du hip-hop dans tous les pays du monde. Mais Nix par exemple, il a les deux. Il a des chansons qui sont engagées, même s’il n’aime pas forcement ce mot-là. Mais la musique est aussi festive, c’est une façon d’exprimer des émotions, de faire la fête. Et une émission culturelle, c’est pas uniquement une émission où on réfléchit et où on se prend la tête, mais on peut aussi s’amuser. Et on peut s’amuser en disant des choses intéressantes. Et c’est ce qu’on va faire à travers cette émission. Je pense que c’est un peu bête de séparer les deux et de mettre chacun dans une case. Il faut au contraire montrer comment la musique, en ce qui concerne les rappeurs par exemple, ou l’art contemporain en ce qui concerne Ousmane Sow, Soly Cissé, Ousmane Mbaye et tous les autres artistes, comment ce message-là peut passer de façon utile et de façon fructueuse. C’est vrai que la dimension festive, émotionnelle, participe de la puissance de ce message.

Pourquoi avoir choisi de parler du rap plutôt que du mbalax, qui est la musique emblématique du Sénégal ?
Il n’y a pas de raison, mais il me semble qu’il y a aussi des rythmes traditionnels dans le travail de Nix ou de Awadi. Il ne faut pas justement enfermer les gens dans des cases, c’est dans l’Adn de l’émission Vmdn. Même si on a souvent l’habitude de le faire en France, au Sénégal je ne sais pas. On essaie toujours de faire en sorte qu’on gratte un peu l’étiquette pour voir ce qu’il y a en dessous.

Quelle vision vous avez de l’art sénégalais, du milieu artistique sénégalais ?
Je ne suis pas du tout un spécialiste et c’est l’intérêt pour moi de venir pour la première fois à Dakar. Pour moi, un journaliste n’est pas un spécialiste. C’est quelqu’un qui est curieux, qui a envie de savoir et qui pose des questions aux gens. Et ensuite, à travers cette interrogation, transmet le savoir, la curiosité aux gens qui écoutent l’émission. C’est comme ça que je me présente. Je ne prétends pas être spécialiste de quelque discipline artistique que ce soit. Je suis juste un journaliste qui a envie de savoir, qui a du plaisir à découvrir des œuvres, à entendre de la musique et à faire partager à ceux qui m’écoutent, le bonheur que j’ai eu en leur donnant éventuellement l’envie de faire la même chose.

Awadi, c’est un prix Découverte Rfi, Nix est-il aussi assez connu ? Com­ment les avez-vous choisis comme intervenants à vos émissions ?
Le casting. Il me semble que leur rap n’est pas tout à fait le même, qu’ils n’ont pas le même public non plus. Donc, c’est assez intéressant que leur art se côtoie dans l’émission et que leur parole se rencontre. C’est aussi des émissions publiques et on espère que les jeunes qui seront sur le campus de l’université seront intéressés. C’est une dimension intéressante, parce que quand on vient de Paris, ce qui est aussi important, c’est de rencontrer les auditeurs et de leur donner envie de nous voir. Nix ou Awadi peuvent donner j’espère, aux auditeurs, aux jeunes en particulier, l’envie de venir nous écouter et de partager avec nous un moment à la fois instructif et festif.

Où et quand sont enregistrées les émissions ?
Le jeudi (aujourd’hui. Ndlr), on enregistre une émission sur le hip-hop à l’université des savoir-faire, à la Cité du Golf (à Cambérène). Et l’autre émission sur Ousmane Sow, sera enregistrée vendredi pour diffusion le lundi. Et ce sera à l’Institut français. Et le public est invité à venir nombreux assister. Les émissions vont s’enchainer demain (Ndlr : aujourd’hui) avec Alain Foka qui va enregistrer le «Débat africain» et puis Juan Gomez avec «Appels sur l’actualité». Et vendredi également.

Vous n’êtes pas un spécialiste comme vous dites, mais vous avez quand même un ressenti sur le mbalax, que certains estiment «peu exportable» ?
Moi, quand j’écoute l’émission de Claudy Siar sur Rfi (Couleurs tropicales), j’ai impression que c’est très exportable. C’est-à-dire que toutes les musiques sont exportables. Au contraire, je pense qu’il n’y a pas de langage plus universel que la musique. La barrière de la langue n’existe pas, alors qu’elle existe beaucoup plus dans d’autres arts comme la littérature, le théâtre ou le cinéma. Et tout le monde peut être touché par toutes les musiques, il suffit juste d’être dans le bon état d’esprit pour se laisser émouvoir. Ça, quel que soit le type de musique et le pays dont vous êtes originaire. La musique est ce qui s’exporte le mieux, je pense. Et je parle d’exportation au sens artistique, pas économique. Mais on va en parler dans l’émission sur le hip-hop. Il faut avoir des structures, des labels, des maisons de disque, des structures de diffusion. Avec la dématérialisation, les enjeux sont bien sûr différents, mais on verra demain avec nos rappeurs et avec Amadou Fall Ba, quels sont les moyens pour exporter ce rap sénégalais au niveau du continent et du monde. Et aussi, est-ce que le marché sénégalais porte suffisamment ses artistes ? Il y a l’enjeu artistique et Vmdn est une émission culturelle donc, c’est cet aspect qu’on va traiter ; mais il y a aussi la dimension économique qui est très importante. Est-ce que les artistes gagnent correctement leur vie ? Est-ce qu’ils reçoivent les droits d’auteurs qu’ils méritent ? A partir du moment où on a du talent, c’est dommage de ne pas pouvoir l’exploiter au maximum. Donc il faut que les structures économiques suivent.