Amadou Aly Bocoum, du Privé : «Les chiffres ne reflètent pas la réalité des entreprises» – Moustapha Sène de la Dpee : «Les chiffres ne sont pas inventés»

Le Sénégal est allé au-delà des prévisions de croissance de 7%. En 2017, le taux s’est établi à 7,2%, mais cache encore des dysfonctionnements que des universitaires et les membres du secteur privé n’ont pas manqué de relever.

Avec 7,2% de croissance en 2017, le Sénégal a dépassé les prévisions. Selon la Direction de la prévision et des études économique (Dpee) qui organisait hier un point économique, cette croissance est tirée par les secteurs primaires et tertiaires avec respectivement des taux de croissance de 12 et 7%. Pour le secteur primaire, ce dynamisme est tiré par les bonnes performances du secteur agricole à la faveur de la bonne saison pluviométrique. Ainsi, la production de céréales a cru de 20% tandis que le riz connaissait une hausse de 7% par rapport à 2016. Le tertiaire est, quant à lui, tiré par le boom du secteur des télécoms et les hébergements et restauration qui ont cru de 15%. «Le taux de croissance initialement prévu à 6,8% s’est positionné à 7,2%. Ce qui montre que la croissance reprend des couleurs», souligne Dr Serigne Mous­ta­pha Sène, directeur de la Dpee. Seulement, pour le Pr Abou Kane de la Faculté des sciences économiques et de gestion de l’Univer­sité Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), ces chiffres qui ne permettent pas d’avoir une vision claire relèvent de la comptabilité. Selon le Pr Kane, si les secteurs primaire et tertiaire ont enregistré des bonds de croissance, il n’en est pas de même du secteur secondaire qui est en dégringolade. «C’est inquiétant», souligne-t-il.
Le Pr Moustapha Kassé a également montré son scepticisme. «Le Pse a de grandes ambitions et on a tort de ne pas donner de chances de succès à cette ambition. C’est possible, mais à condition que nous ne freinions pas nos propres élans internes et externes. Un pays dont les exportations sont à 11,6% et les importations à 21,9%, il y a quelque chose qui ne marche pas là. C’est- à- dire que la machine économique et les revenus que nous tirons repartent à l’extérieur. En sciences économiques, je n’ai jamais vu un pays qui s’est développé à partir des importations. Et ces importations, si on les analyse, on se rend compte qu’il s’agit de la friperie etc. On a l’impression qu’on est en train de faire du pays un immense bazar», estime le Pr Kassé. Il poursuit en indiquant que le marché sénégalais est très étroit. «Nous devons développer les exportations. Et l’un de nos principaux marchés, c’est le marché sous régional. Mais on va rentrer dans une compétition féroce parce que les infrastructures vont manquer.» En effet, souligne le Pr Kassé, avec le déclin du rail, le marché malien excite les convoitises des pays voisins. C’est ainsi que les ports d’Abidjan, de Cotonou ou de Lomé sont tous en train d’être développés avec une bonne infrastructure routière. «Nous sommes bien ouverts sur l’océan, mais très peu ouvert sur notre arrière-pays», dit-il. L’économiste souligne également que la situation du secteur secondaire doit être examinée. «Tous les moteurs sont bloqués. Si nous prenons le secteur textile par exemple, alors que des pays comme l’Ethiopie ou même le Mali font des investissements massifs dans ce secteur, au Séné­gal, il est complètement éteint.»
Pour le secteur privé sénégalais également, ces chiffres sur la croissance ne peignent pas la réalité des entreprises sénégalaises. Amadou Ly Bocoum, représentant du Mouve­ment des entreprises du Sénégal (Meds), donne l’exemple des Projets publics-privés (Ppp) dans lesquels, dit-il, «on retombe dans les anciens systèmes de coopération. Les entreprises européennes viennent ici réaliser des travaux et de façon résiduelle, nous nous retrouvons avec des contrats de sous traitance».
Du côté de la Dpee, on souligne que les résultats qui sont présentés sont issus de relevés de terrain. «Nous discutons tout le temps avec ceux qui font la richesse, nous collectons des informations. Au finish, les chiffres qu’on présente ne sont pas des chiffres inventés. C’est pourquoi nous avons choisi de ne pas donner d’appréciations, mais juste de présenter un tableau. Libre à chacun d’en faire une interprétation», explique M. Sène.

mamewoury@lequotidien.sn