Dans son message adressé à la Nation à l’aube du nouvel an, le Président Macky Sall, avait annoncé que 2017 sera une année culturelle. Les acteurs tournant autour du cinéma montrent pour leur part qu’un Sénégal émergent est bien possible avec un cinéma émergent. Dans ce lot Oumar Sall, directeur de la structure de production audiovisuelle Cinekap, qui assure que le Sénégal peut bel et bien compter sur son cinéma pour aspirer au développement. Si les 5 pays membres des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et la France ont réussi à accroître leur Pib (Produit intérieur brut) grâce au cinéma, pourquoi pas le Sénégal ?

«Au Brésil, en Russie, en Inde et en Chine la contribution des industries créatives à la croissance est de 6%. Pour l’Afrique du Sud de 4%. En France en 2012, c’était de 12 milliards de valeurs ajoutées, soit 3% de contribution au niveau du Pib. Sans compter les 230 000 emplois dans le secteur de l’audiovisuelle et du cinéma». Le cinéma au-delà de l’aspect divertissement est, en effet, porteur d’une véritable économie. Le Sénégal gagnerait à exploiter les énormes opportunités qui s’offrent à lui de l’avis de Oumar Sall. Saisissant la tribune qui lui a été offerte lors du l’annonce de la quadruple participation du Sénégal à la Berlinale et au Festival du court métrage de Clermont-Ferrand, le directeur de Cinekap a affirmé que «là où nous faisons 6% de croissance on peut en faire 9, si nous donnons plus de considération à ce cinéma».
Producteur d’Alain Gomis pour son film Tey, aujourd’hui qui a récolté l’étalon d’or de Yennenga au Fespaco de 2013, et par ailleurs producteur  de 3 des 4 films qui vont participer à la Berlinale et au Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand, Oumar Sall a foi au cinéma sénégalais. Il considère que ce pays est une référence en matière de  cinéma dans le continent africain, d’autant que «de grands noms surgissent tout le temps». Cela dit, il y a quand même du point de vue du jeune producteur quelques éléments à reconsidérer si l’on veut que le cinéma arbore à nouveau son lustre d’antan.

La difficile émergence
Le président de la République n’écarte certainement pas le cinéma dans son Programme Sénégal émergent (Pse). Les acteurs du cinéma sont fondés à le croire. En attendant, ils se suffisent du milliard de francs Cfa dégagé comme Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et audiovisuelle (Fopica). Mais ce fonds ne représente-t-il pas en réalité une goutte d’eau dans l’océan ? Cette somme symbolique, au vu des précédents fonds alloués au secteur du cinéma, ne résout malheureusement pas tous les problèmes des réalisateurs et acteurs tournant autour de l’audiovisuel. Selon le directeur de Cinekap, la difficulté est toujours de rigueur, allant jusqu’à devenir un «fidèle compagnon». «Dieu sait que c’est difficile. Faire un film demande beaucoup de patience à la fois et de moyens. Nous rentabilisons difficilement nos films, c’est très difficile de résister», a confié Oumar Sall, qui relève par ailleurs que ces difficultés loin de constituer un handicap devraient servir à construire le présent et bâtir le futur. «Elles ne doivent pas être niées. Sinon, nos rêves ne seraient qu’un moyen de fuir notre réalité, et non pas de la construire», affirme-t-il.
Ayant pour seul pari de faire du cinéma, quels qu’en soient les moyens, Oumar Sall reste tenace comme ses autres confrères : «Nous avons des choses à dire, notre outil c’est le cinéma. Nous sommes des producteurs, notre crédo c’est de produire des films ; produire en abondance. Même si ce n’est pas facile, même si les moyens ne suivent pas, nous allons bâtir des systèmes économiques afin d’y arriver. Certes cette entreprise nous dépasse, mais nous voulons en être l’un des modestes artisans. On sait que c’est difficile, c’est compliqué mais nous devons exister et faire nos films quels qu’en soient les moyens», a-t-il fièrement soutenu, gardant la ferme conviction qu’un Sénégal émergent est possible avec un cinéma émergent.

Les facteurs bloquants ?
Il est clair que le Sénégal aspire à l’émergence, le cinéma, indique M. Sall, est un excellent outil de promotion. Pour un pays comme le Sénégal, le co-producteur de Félicité d’Alain Gomis souhaiterait que les médias et autres patrons de l’audiovisuel changent leur contenu audiovisuel pour puiser dans «nos propres valeurs». «Vous avez constaté des gens qui tuent. C’est parce que nos télévisions qui n’ont pas assez de contenus, ou des contenus puisés de nos propres valeurs culturelles diffusent des films américains qui n’enseignent qu’à tuer. Quand ton enfant passe son temps à regarder ces films, il risque forcément de devenir un délinquant», remarque M. Sall. Persuadé que se «ré-approprier nos existences et non pas rêver de celle des autres» est la solution pour échapper à ces dérives, le fondateur de Cinékap œuvre dans ce sens.
Dans sa structure de production, il veille à ce que ses films soient en parfaite cohésion avec les valeurs africaines et sénégalaises. «Ils (Ndlr : les producteurs du Nord) ne vont pas nous imposer tout ce qu’ils veulent. Il y a des accords de co-production. On peut défendre nos idées pour avoir l’équilibre. Nous avons un Sénégal où nous avons tout, nous n’avons pas besoin de rêver l’existence des autres», explique-t-il sa démarche.
Pour les aider à bien jouer leur rôle de gardiens des valeurs africaines, M. Sall, exhorte l’Etat à soutenir davantage les producteurs. «Quand on parle de Sénégal émergent, on doit aussi parler de cinéma émergent. Nous devons bénéficier de politique de protectionnisme, nous les jeunes entreprises de production. Nous avons des idées, nous avons besoin de terres et d’outils pour travailler davantage. Sachant que ce que nous faisons participe au renforcement de l’industrie cinématographique et des industries créatives».
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