La Sonacos enregistre des résultats «timides» concernant la collecte de graines d’arachide. L’aveu est de Modou Diagne Fada, directeur général de la boîte. S’il se veut optimiste pour les semaines à venir, M. Fada s’inquiète de la menace de l’exportation de l’arachide d’huile vers la Chine. Dans cet entretien axé uniquement sur la campagne de commercialisation de l’arachide, le Dg de la Sonacos appelle à une grande concertation sur l’avenir de la filière.

Où en est la Sonacos par rapport à la collecte, 3 semaines après le début de la campagne de commercialisation de l’arachide ?
A la date du 18 décembre 2019, nous étions à 1 732,497 tonnes d’arachide collectées contre 5 804 à la même date de l’année 2018 et à 16 mille 472 tonnes pour la même date de l’année 2017. Donc à l’heure actuelle, nous sommes à 1,15% de nos objectifs contre 3,22% à la même période en 2018 et 6,59% à la même date en 2017. Je rappelle que notre objectif est de collecter 150 mille tonnes de graine d’arachide. A la date du 18 décembre, le nombre de camions en attente dans les usines était de 12 contre 202 camions en 2018 et 456 camions en 2017. Cela veut dire que la campagne de collecte est timide, comparée aux années précédentes. Cependant, nous ne perdons pas espoir que la collecte pisse se redresser d’ici quelques jours, quelques semaines. Les travaux champêtres ne sont pas terminés sur une bonne partie du Centre et sur la partie sud-est du Sénégal. Par contre, sur la partie nord du pays, les travaux semblent bien terminés. L’unité de Louga au Nord du pays bat les unités du Centre et du Sud. La quantité de graines que nous avons récoltées à Louga est supérieure aux quantités de graines récoltées à Kaolack, à Kolda et à Ziguinchor. Cela veut dire que la campagne est plus timide au Centre et Sud du pays, alors que ce sont des zones de forte concentration d’arachide. Le bassin arachidier, c’est le Sine, le Saloum et le Sud du pays. D’ici quelques semaines, quand le Sud et le Centre auront fini l’abattage des graines, peut-être que la situation va se redresser.

Vous avez décliné une tendance baissière depuis quelques années. La décision du gouvernement depuis 2014 d’exporter l’arachide d’huile en Chine n’est-elle pas une menace pour la filière ?
Bon, il faut dire que la concurrence est rude. C’est la loi du marché, celle de l’offre et de la demande. Aujourd’hui, l’offre n’est pas importante et je vous ai donné les raisons et la demande est très forte. Ce qui fait que le prix de l’arachide monte. Bien entendu derrière, il y a une volonté de l’Etat de soutenir le producteur, de travailler au renforcement de son pouvoir d’achat. Le producteur a la possibilité aujourd’hui de vendre son arachide à un prix fort, un prix plancher qui est différent du prix plafond. Cela veut dire que tout paysan a la possibilité de vendre ses graines à un prix supérieur ou égal à 210 francs Cfa, mais jamais inférieur. C’est la volonté de l’Etat d’ouvrir le marché, de libéraliser le marché de la commercialisation qui fait que la concurrence est rude pour une société comme la Sonacos, obligée d’être officielle, de rester dans le circuit et de ne pas participer à la spéculation. Une participation de la Sonacos à la spéculation va créer de la surenchère. Si la Sonacos ou l’Etat décidait de revoir à la hausse les prix à 225 ou 250 francs Cfa, les Chinois iront à 300, 350 francs Cfa. Est-ce que la Sonacos aura à partir de ce moment les moyens de continuer à supporter les effets induits par la spéculation ?

La spéculation est omniprésente. Les Chinois proposent le double, voire le triple du prix plancher…
J’ai encore espoir qu’elle ne peut pas être définitive. Le marché va évoluer. L’offre va s’agrandir, deviendra plus importante avec la fin des travaux champêtres dans le Centre et le Sud du pays. Il n’y a pas de raisons pour que le prix ne baisse pas. Si la situation devait rester comme telle, cela va créer des conséquences importantes d’abord sur le capital semencier, parce que la filière est soutenue par les semences. Si le Sénégal n’a plus de semences, l’avenir de la filière peut être compromis, en tout cas pendant quelques années le temps de reconstituer à nouveau le capital semencier. La deuxième conséquence, c’est sur les industries locales qui peuvent aussi souffrir de cette situation d’un manque de matière première. Si les industries locales souffrent d’un manque de matière première, cela peut avoir un impact sur les emplois, les travailleurs. Si cette situation perdure, certainement l’Etat va prendre des mesures pour réguler le marché de la commercialisation de l’arachide.

La semaine dernière deux entreprises, Copeol et West africain oil, ont indiqué qu’elles s’apprêtent à fermer boutique, évoquant les 12 milliards que l’Etat doit au secteur privé et la concurrence des Chinois sur le marché. Est-ce que vous les comprenez ?
Je suis ni Wao ni Copeol qui sont des privés installés au Sénégal. Je suis Sonacos dont l’Etat détient 99,78% de mon capital. Donc, on ne peut pas avoir les mêmes paramètres de fonctionnement. Je souhaite que ces industries ne ferment pas boutique. L’Etat était dans les dispositions de payer cette dette dans des délais raisonnables. Ce sont des unités qui ne participent pas à la campagne de commercialisation ou qui y participent de façon timide parce que l’Etat a décidé de supprimer la subvention ou la compensation. D’habitude, l’Etat demandait aux huiliers d’acheter à 210 francs Cfa et les 60 francs étaient supportés par l’Etat. Ce qui n’existe pas cette année. Raison pour laquelle certains huiliers privés n’ont pas participé à la campagne.

L’Etat doit-il revenir sur cette décision d’exporter l’arachide d’huile vers la Chine ?
Vous me posez une question à laquelle je ne peux pas répondre. La Sonacos n’est qu’un élément dans la filière arachidière qui implique plusieurs services de l’Etat. Notre responsabilité, c’est la collecte, le stockage et la trituration pour sortir les graines de bouche. Il faut les mettre dans le circuit pour triturer et avoir de l’huile brute des tourteaux. Mais dans la chaîne, il y a le ministère de l’Agriculture et de l’équipement rural, le ministère du Commerce à travers ses services déconcentrés, mais aussi la gendarmerie, la douane, etc. Pour répondre à la question, il faut une grande concertation entre les différents acteurs pour prendre une position. Il ne sert à rien de parler dans la presse pour donner des positions. Ce qui est constant, c’est que dans quelques semaines, des mesures doivent être prises pour réguler le marché de l’arachide. Sinon, on va vers une situation difficile pour les semences. S’il n’y a pas de semences cette année, il n’y aura pas de production l’année prochaine. Si tel est le cas, le Produit intérieur brut du pays va chuter de même que le taux de croissance. L’arachide est tellement importante au Sénégal qu’il ne faut pas seulement promouvoir les exportations. Et s’il faut les promouvoir, il faut y mettre les règles. Avant que l’exportation ne démarre, il faut reconstituer le capital semencier et approvisionner les industries locales. «Bala ngay laax jaay, da ngay laaw lekk.» (Il faut déjà satisfaire la demande locale avant de penser à exporter). Il faut qu’on organise la filière, la campagne, pour que tout le monde puisse y tirer son compte.

Est-ce qu’il y a une concurrence entre la Sonacos et les huiliers privés sur le marché ?
Nous sommes des partenaires concurrents. Partenaires parce que nous partageons le marché et concurrents dans le marché. Nous sommes une société de l’Etat, mais nous fonctionnons comme une industrie privée. Notre budget ce n’est pas l’Etat qui nous le donne, mais nos ventes. Nous avons les mêmes problèmes que les huiliers du privé, mais nous ne pouvons pas avoir les mêmes attitudes. Sauf que je ne perds pas espoir que les choses iront mieux dans quelques semaines. La campagne est étalée du mois de décembre au mois d’avril.

Est-ce que, vu la situation, la Sonacos peut toujours réaliser ses objectifs ?
Nous sommes concurrencés par des éléments exogènes. Les étrangers qui sont dans le circuit sont envoyés par des industries chinoises qui sont dans l’huile et ce sont des industries d’Etat. Malheureusement, nous leur vendons nos graines que nous avons déjà subventionnées. Finalement, nos amis bénéficient d’une double subvention à travers l’Etat de Chine et l’Etat du Sénégal. Economiquement, cela pose problème. Le seul argument des Chinois, c’est le prix. Si nous avons eu plus de 17 tonnes à ce jour, c’est parce que nous avons d’autres arguments. Il y a la qualité de nos instruments de mesure, de pesée suivi par les agents du ministère du Commerce. Ce qui n’est pas le cas pour ceux ce qui achètent dans les marchés hebdomadaires. La stratégie des Chinois a des limites. Il y a des patriotes qui ne vendent pas aux Chinois, mais à la Sonacos. Nous avons des clients fidèles.

Est-ce que votre trésorerie vous permet de réaliser vos objectifs ?
Depuis que nous sommes là, la trésorerie s’est améliorée. Quand nous sommes arrivés, la Sonacos était à défaut de paiement. Ce n’est plus le cas. Nous payons par avance les échéances de l’Itfc (Ndlr, La Société islamique pour le financement du commerce international, une filiale de la Banque islamique de développement qui prête de l’argent à la Sonacos pour collecter les graines d’arachide pour le financement de la campagne arachidière). Depuis le dernier Conseil d’administration qui s’est tenu mardi dernier, nous avons recapitalisé la Sonacos avec le soutien du président de la République. Notre société est désormais bancable alors que ce n’était pas le cas lors de mon arrivée. Troisièmement, nous avons obtenu le financement de la campagne 2019-2020. 30 milliards de francs Cfa sont pour le moment prévus. Aujourd’hui, nous payons nos fournisseurs. Nous avons négocié des moratoires pour les dettes contractées avec les banques et nous avons fait des avances à certaines d’entre elles. Nous avons épongé les dettes dues aux retraités. On ne doit plus aucun franc aux retraités. La relance est amorcée. Ce qui peut la freiner, c’est l’absence de matières premières.

Quel est le montant de la dette de la Sonacos et à ce jour combien avez-vous payé ?
Nous étions à moins 44 milliards de francs Cfa quand nous sommes arrivés. En 2020, nous allons avoir des états plus propres, plus assainis. Nous allons les présenter pour lever des fonds. Nous allons travailler à être autonome de la Senelec parce que nous consommons beaucoup d’électricité. Alors que nous avons la possibilité de produire notre énergie à travers les coques d’arachide. Avant la fin de l’année 2020, la Sonacos sera débranchée du réseau électrique de la Senelec, en tout cas une bonne partie. Ça fera des économies d’énergie à la Senelec, et pour nous des économies d’électricité. Ça, nous n’attendons aucune banque pour le faire. Mon équipe s’est attelée depuis mai dernier, lors de notre arrivée, à cravacher pour avoir de tels résultats. Quand nous sommes arrivés, il y avait des invendus, nous avons déstockés. Cela nous a permis d’avoir une trésorerie plus saine. J’ai fait des caravanes dans certains marchés du Sénégal, à Touba, à Tivaouane, à Kaolack. Aujourd’hui, on n’a plus d’invendus.

Donc cette option envisagée de l’ancienne direction sous Pape Dieng de vendre une partie du patrimoine immobilier n’est plus d’actualité ?
Du tout. Le patrimoine de la Sonacos, il ne faut pas y toucher. C’est la dernière réserve. C’est une réserve importante, une richesse énorme et il faut voir comment la fructifier. La vendre n’est plus d’actualité.