La caution reste le seul filtre pour les candidatures aux Locales, après la suppression du parrainage. Beaucoup craignent une pléthore de listes, mais pour Ababacar Fall, elle «ne peut jamais, de toute façon, être un frein pour les candidats, quelle que soit l’élection». Le secrétaire général du Gradec, membre de la société civile, estime par ailleurs que techniquement la tenue des Municipales et Départementales «n’est pas possible».

Quelle lecture faites-vous du dialogue politique de façon générale ?
Tout d’abord, ce dialogue a trop duré. Le cadre a été installé par arrêté du ministre de l’Intérieur le 31 mai 2019. Il a démarré ses travaux le 12 juin 2019 et a traîné en longueur jusqu’à ce que des facteurs externes, en l’occurrence la crise sanitaire et ses effets, viennent perturber davantage le calendrier des discussions. De ce point de vue, je crois que les responsables en charge de ces discussions et les acteurs ont manqué de réactivité, car si la suspension a pu se comprendre dès le début de la pandémie du fait de la forte émotion et de la peur que cela a provoquées, les travaux auraient dû reprendre aussitôt après l’élaboration du protocole sanitaire instituant des gestes barrières à respecter. Le format dans lequel les travaux se déroulent actuellement, avec une représentation plus restreinte des pôles, aurait dû être mis en œuvre depuis lors. De même, les opérations d’audit et d’évaluation du processus électoral qui constituent des déterminants très importants et décisifs dans la tenue des élections à la date projetée auraient dû démarrer puisque les acteurs avaient déjà validé les termes de référence.

Est-il pertinent de supprimer le parrainage pour les Locales ?
Pour moi, il était évident que le parrainage allait constituer une grosse difficulté pour les Locales, avec son lot de contestations et de contentieux parce qu’on a vu les problèmes que le parrainage a posés lors du dépôt des candidatures à la Présidentielle. Et cela, quand même, il faut bien l’évaluer avant de l’appliquer aux élections locales qui sont plus complexes, avec une sphère plus restreinte à l’échelon département et commune où tout le monde puise dans le même bassin électoral. Ce qui allait déboucher sur beaucoup de cas de doublons. En outre, la pratique de l’asséchement qui consiste à collecter des parrainages au-delà des maxima exigés, pratiqués par certains partis qui disposent de moyens colossaux, allait poser des difficultés aux entités indépendantes ou partis à faible représentativité. Le double filtre que constitue la caution pour les Locales, qui est une première, et le parrainage sont de nature à empêcher une participation citoyenne plus étendue pour ces élections qui sont avant tout des consultations citoyennes avec la gestion du pouvoir local à la base. Dans les différents rapports des missions d’observation de l’Union européenne et des plateformes de la société civile, il avait été fortement suggéré d’abandonner le parrainage aux Locales.

La caution de 10 à 20 millions est-elle suffisante pour dissuader les candidatures fantaisistes ?
Une caution ne peut jamais être un frein pour les candidats à une élection. Vous avez bien vu la progression de la caution entre la Présidentielle de 2000 et celle de 2012. On est passé de 6 à 65 millions, une multiplication par presque 11, et cela n’a pas empêché des candidats de se présenter bien que les enjeux ne soient pas les mêmes que pour les Locales. Je suis contre les fortes cautions pour restreindre le nombre de listes. Il faut laisser la démocratie citoyenne s’exprimer et promouvoir la démocratie participative en permettant au plus grand nombre de s’exprimer au niveau des Assemblées locales. Les Locales sont les seules élections qui mettent en compétition des dizaines de milliers de candidats. L’Etat a le devoir de les organiser, et pour cela il doit trouver les ressources nécessaires. La caution, de mon point de vue, doit être symbolique pour juste témoigner de la crédibilité des candidatures. Dans les pays de la sous-région, la caution est versée par chaque candidat titulaire à raison de 5 000 à 10 mille francs selon les pays et la quittance qui vous est délivrée fait partie des pièces du dossier de chaque candidat.

Techniquement, après 6 mois perdus à cause du Covid-19, est-il possible de tenir les élections au plus tard le 28 mars 2019 ?
Sur cette question, je dis bien que techniquement, au regard des délais qui nous séparent de la date de dépôt des listes de candidature qui devra intervenir dans la première décade de janvier 2021, cela n’est pas possible. En effet, deux préalables qui constituent des déterminants essentiels dans la fixation de la date des élections n’ont pas encore été satisfaits. Il s’agit de l’audit du fichier et de l’évaluation du processus électoral depuis la refonte partielle de 2016 jusqu’à la proclamation des résultats de l’élection présidentielle. L’appel d’offres n’a même pas encore été lancé et ce n’est pas une mince affaire. Il s’y ajoute la révision exceptionnelle des listes électorales et leur traitement. En tout cas, je n’y crois pas. On ne doit pas aller à des élections pour le simple plaisir d’y aller. Il faut que toutes les conditions d’une bonne organisation soient réunies. Encore qu’il faudra s’adapter à l’organisation des élections dans un contexte particulier de crise sanitaire dont on ne sait pas quand elle va prendre fin.

Les acteurs doivent-ils acter les désaccords et passer à autre chose ?
Sur cela, je crois que les acteurs ne sont pas obligés d’être d’accord sur tout. Il faut constater les désaccords et avancer en laissant le soin aux décideurs de trancher certaines questions. Il y a des points qui ont un impact sur l’organisation des élections et qui nécessiteront le toilettage du Code électoral. Par contre, d’autres points ne concernent pas directement les élections locales et pourront continuer à être discutés ultérieurement puisqu’on envisage de mettre en place un observatoire de la démocratie qui serait en quelque sorte un cadre permanent de concertation sur le processus électoral.

Serait-il un échec que le président de la République reçoive un rapport spécial dans lequel les points les plus importants n’auront pas trouvé de consensus ?
Je ne crois pas qu’on puisse parler d’échec à ce niveau. Il en a toujours été ainsi. Depuis deux décennies, je participe aux différents cadres de concertation. Que ce soit les commissions cellulaires ou les commissions techniques de revue du Code électoral, il n’y a jamais eu de consensus sur toutes les questions. Ce qui fait que certaines questions reviennent régulièrement à chaque rencontre : bulletin unique, mode de scrutin, etc. Ce qui est important, c’est de ne pas rompre le dialogue, car les positions finissent toujours par évoluer, compte tenu du contexte.