C‘était l’émoi et la consternation hier aux des quartiers Golf et Téfesse qui sont les plus touchés par les ravages de l’émigration clandestine. Dans la journée d’hier, 10 cas de décès ont été enregistrés dans ces quartiers où des jeunes avaient pris la mer pour rallier l’Espagne. Mais ils ne reviendront jamais, car ils ont perdu la vie au large de Nouadhibou suite au chavirement de leur pirogue jeudi dernier. Depuis le début de cette émigration clandestine, plus d’une trentaine de décès ont été notés dans d’autres quartiers de Mbour, mais également à Mbodiène, Pointe Sarène et Nianing.

Par Alioune Badara CISS
(Correspondant)

C’est une journée noire pour la population du quartier Golf, situé derrière le lycée Demba Diop de Mbour. Il a payé le plus lourd tribut avec cette nouvelle vague de l’émigration clandestine. En une journée, il a perdu 10 de ses enfants qui avaient pris la mer pour tenter de retrouver l’eldorado en Espagne. Waly Mbaye, Ousseynou Diop, Talla Sène et Assane Guèye, Abdou Akima Gaye, Arona Mbaye et Amadou Ndiaye et deux autres venus de Kaolack ne reverront plus leurs familles. Ils sont décédés au large de Nouadhibou dans le chavirement de leurs pirogues qui se dirigeaient vers les Iles Canaries où ils espéraient un avenir meilleur.
Dans cette allée du quartier, des tentes sont dressées pour organiser les funérailles de ces jeunes morts dans cette traversée de la mer jeudi dernier au large des côtes mauritaniennes. Une ambiance de deuil règne dans ce quartier où un récital de Coran a été organisé pour la mémoire des disparus. Les parents des familles ont été informés par les rescapés de cet accident en mer qui cache beaucoup de mystères.
Cheikh Barro, pêcheur habitant le quartier Golf, rescapé de l’accident, raconte les nuits sombres de ce voyage en mer qui est en train de devenir le cimetière des migrants. L’histoire est aussi invraisemblable que la traversée de la Méditerranée. «Nous étions à bord au moins 100 migrants, mais au final seules 25 personnes ont pu être sauvées. Nous avons décidé de quitter le pays parce que la situation était intenable. J’ai investi deux millions pour acheter du matériel, mais je ne pouvais plus assurer la dépense quotidienne. J’ai hypothéqué le moteur de ma pirogue à 600 mille francs Cfa et j’ai payé 350 mille francs Cfa pour voyager. La pirogue que nous avons prise était en bon état. Nous avions à bord plus de 100 bidons d’essence. Durant quatre jours, nous avons voyagé convenablement avec deux moteurs de 40 chevaux neufs», raconte ce pêcheur qui connaît bien la mer.
Ce voyage, qui devait leur ouvrir les portes de l’Europe, va connaître une tournure dramatique. «Mais au bout du sixième jour, il n’y avait plus de nourriture à bord. Tout à disparu subitement, plus d’eau, plus de nourriture à bord. Certains avaient faim, d’autres ne pouvant plus supporter la soif buvaient l’eau de la mer. Et des migrants à bord commençaient à mourir dans la pirogue. Les personnes décédées étaient jetées en mer dans la nuit. En plus de ça, la nuit il y avait des femmes dans la pirogue et pourtant elles n’avaient pas pris le départ avec nous. Et le jour, personne ne le voyait dans la pirogue. Elles ont été aperçues par certains migrants. Ce qui installa la peur et la méfiance dans la pirogue», déclare Cheikh Barro.
Selon ce rescapé, il y avait sept autres jeunes originaires d’autres pays africains dans la pirogue. Et ils faisaient des pratiques mystiques dans l’embarcation. «Ainsi, nous lui (le passeur) avons demandé : quand est-ce que  la pirogue va arriver à bon port ? Il a répondu que la pirogue va accoster en Espagne dans trois jours. Nous les avons menacés en leur disant que si ces pratiques ne cessaient pas dans la pirogue, nous allons les attaquer», raconte Cheikh Barro dans un glaçant récit.
Après 16 jours d’errance en haute mer, ces migrants vont enfin apercevoir un bateau. Finalement, la déception sera grande. «Mais lorsque nous avons aperçu un bateau espérant qu’il allait enfin nous sauver, il nous arrosait avec l’eau pour faire chavirer notre pirogue sans oublier des tankers que nous avons rencontrés sur notre chemin qui voulaient nous écraser. Finalement, c’est un bateau marocain qui va nous guider vers les rives de Nouadhibou. Beaucoup de gens sont morts durant notre voyage. Il y avait même des gens qui, avant de mourir, étaient devenus fous. Sans nourriture, ni eau, certains agonisaient», poursuit ce rescapé, traumatisé par ce périple.
Au bout de plusieurs semaines de souffrance, les pêcheurs vont atterrir sur les rives de Nouadhibou. En Mauritanie, seules 25 personnes ont pu rallier la terre ferme sur les 100 migrants à bord de cette pirogue. Les autres sont restés dans le ventre de l’Atlantique.