Depuis de nombreuses années, le Sénégal préfère vendre sa production d’arachide à l’étranger et importer de l’huile de moindre qualité nutritive pour sa consommation nationale. Cela, au lieu de remettre à niveau son outil industriel et transformer sur place son arachide pour la consommer et n’exporter que le surplus. La voie choisie a enfermé la filière arachide dans la précarité, faisant dépendre sa survie de l’intervention d’opérateurs étrangers, particulièrement chinois. Et Macky Sall ne semble pas décidé à sortir de cette logique actuellement.
«La Sonacos doit faire des réformes sous peine de disparaître.» Le chef de l’Etat Macky Sall a repris cette phrase à deux reprises au moins, avant-hier jeudi, dans ses échanges avec les journalistes, à la suite de son discours à la Nation. C’était pour justifier l’entrée des opérateurs chinois dans le marché de l’exportation de l’arachide.
Le président de la République s’est félicité de cette présence chinoise qui a permis de mettre en place une compétition dans l’acquisition de la production et qui, selon lui, s’avère favorable aux paysans. On sait en effet qu’alors que le prix au producteur est de 205 francs Cfa le kg d’arachide, sur certains points de vente, les négociants qui officient pour les citoyens de l’Empire du milieu, proposent jusqu’à 450 francs Cfa. Cela a provoqué un rush des paysans, au point que l’Etat s’est inquiété qu’ils n’aillent jusqu’à vendre leurs semences et mettent ainsi en danger le système de production. Cela a conduit à la mise en place de la taxe à l’exportation qui a été portée à 10%.
De l’autre côté, le Président a annoncé avant-hier, devant la presse, que le pays avait sécurisé environ 30 mille tonnes d’arachides pour servir de semences. Mais cette taxe à l’exportation, en faisant renchérir les prix de revient pour les exportateurs, visait aussi à permettre aux industries huilières de trouver de la matière première. Cette manière de faire n’a toutefois pas réglé le problème, car contrairement aux déclarations officielles, la Sonacos n’a pas les capacités financières de pouvoir payer les 200 mille tonnes de graines dont elle a besoin pour être à la ligne de flottaison de sa capacité de trituration.
Déjà qu’elle peine à trouver les près de 80 milliards nécessaires pour remettre à niveau son appareil de production, sans compter d’autres sommes aussi importantes pour désintéresser ses créanciers et ses fournisseurs, la Sonacos n’est vraiment pas en mesure de s’aligner pour acheter une très grande quantité d’arachide si elle n’a pas l’appui de l’Etat.
Or dans un environnement libéralisé comme l’a répété avant-hier Macky Sall, l’Etat ne peut accorder des faveurs indues à sa compagnie, en pénalisant les autres huileries du pays, même si elles appartiennent à des privés ; d’où le dilemme de Macky Sall qui ne peut se permettre de claquer aujourd’hui la porte aux Chinois. Même si leur présence est l’aveu de l’échec d’une politique économique pour le Sénégal.
On peut se rappeler que, jusqu’à ce que Abbas Jaber ne la reprenne, la Sonacos et les huiliers privés du Sénégal étaient les seuls clients des producteurs d’arachide. Ils achetaient la matière première qu’ils trituraient et exportaient l’huile brute raffinée pour, en ce qui concerne la Sonacos, acquérir des devises qui lui permettaient, en retour, d’acheter de l’huile brute végétale qu’elle venait conditionner et mettre sur le marché sénégalais pour le consommateur local. Donc en résumé, le Sénégalais produisait de l’arachide pour produire de l’huile de qualité qu’il destinait aux consommateurs étrangers, tout en se nourrissant de l’huile de qualité inférieure produite par ces mêmes étrangers.
Logique néocoloniale
Il a fallu que les petits industriels locaux, poussés par les organisations paysannes peu satisfaites du faible prix au producteur, se mettent à fabriquer de l’huile d’arachide pour le marché local pour que la Sonacos s’y mette aussi. Mais c’était à un moment où l’entreprise était quasiment exsangue, totalement essorée par plus de 10 ans de gestion à courte vue du repreneur Abbas Jaber. Et les négociations pour la renationalisation n’ont pas aidé à sa remise sur pied. On se rappelle que parmi les options retenues par son ancien directeur général après la renationalisation, M. Pape Dieng, il y avait la cession d’une bonne partie du patrimoine foncier de la compagnie, afin de pouvoir refaire sa trésorerie.
C’est tous ces errements et bien d’autres éléments encore qui ont fait que les pouvoirs publics étaient heureux de voir arriver les opérateurs chinois dans le circuit. Mais la question que devraient vraiment se poser Macky Sall et ses ministres est de savoir si cette politique, telle que menée, est vraiment susceptible de sauver une filière mal en point.
Chaque année, les huiliers se plaignent toujours de ne pouvoir s’approvisionner en graines parce que les exportateurs chinois renchérissent sur le prix, en offrant parfois plus du double du prix homologué, alors qu’eux ont des difficultés à s’acquitter du tarif officiel. Quelles que soient les décisions que prendraient les pouvoirs publics, on peut être certain que cette situation ne prendra fin qu’avec une réforme complète de la filière.
Et cette réforme doit envisager de sortir d’une logique néocoloniale de production pour l’exportation. Comme dans le domaine des hydrocarbures où le Sénégal se positionne pour acheter une bonne partie de la production de pétrole et de gaz à venir pour sa consommation locale, il serait temps que le pays décide de ne pas vendre son arachide à l’étranger tant qu’il n’aura pas satisfait ses besoins en consommation nationale. La Sonacos, la Cait et Copeol, pour ne citer que ces entreprises, pourraient être mises à niveau pour transformer l’huile localement pour les besoins nationaux, et fabriquer les produits dérivés dont ont besoin d’autres producteurs, comme ceux de savon ou de crèmes chocolatées dont raffolent les Sénégalais. Cela préserverait plus d’emploi et mettrait fin à des fortes sorties de devises, tout en développant la filière arachide.
L’industrie chinoise n’a pas besoin du Sénégal
Quel besoin a-t-on d’importer de l’huile de soja ou de tournesol si on a la capacité de produire et de consommer notre huile d’arachide, réputée partout pour être de meilleure qualité ? A quoi serviront les devises acquises à la vente de notre huile si c’est pour nous nourrir de produits bas de gamme ? La logique qui régnait au temps de la colonisation française aurait dû être enterrée comme les autres vestiges du colonialisme.
Les entreprises chinoises n’ont pas réellement besoin de la production sénégalaise pour fonctionner, leur production nationale est déjà de loin plus importante que celle du Sénégal. La preuve, elles n’ont pas attendu notre production pour se développer. L’intérêt ici pour eux est stratégique. Il s’agit de mettre encore le pied dans un autre secteur vital de l’économie sénégalaise. Le Sénégal doit se poser la question de savoir s’il est stratégique pour lui de reposer la survie d’un pan important de son économie sur un partenaire étranger dont les intérêts sont déjà d’ailleurs, peu convergents avec les siens.