Cheikh Talibouya Seck est un professeur d’éducation artistique dont le nom pourrait bien rester dans les annales. Né à Dakar en 1988, ce jeune enseignant de la région de Thiès, vient de mettre au point un nouvel alphabet de la langue wolof. Dénommé «Caytu», le nouvel alphabet présente, selon son inventeur, une numération facile à comprendre, à retenir et à reproduire.Quel est ce nouvel alphabet que vous venez de créer ?
Mon alphabet s’appelle le Caytu. Il compte quarante-et-une lettres. Trente-trois ordinaires et huit spéciales. Les lettres spéciales servent à l’écriture de quelques rares sons du wolof ainsi qu’à la transcription du français. J’ai en effet pensé mon système pour ces deux langues, celle de Kocc, d’abord et surtout, mais aussi celle de Molière. Son écriture se fait de la gauche vers la droite. C’est un système possédant une numération et une ponctuation qui lui sont propres. Il ne fait aucun doute qu’avec les bonnes améliorations, d’autres langues africaines pourraient se l’approprier. Je pense au sérère notamment. Comme vous le savez, Caytu est le nom du village natal de Cheikh Anta Diop, notre vénéré maître.
Qu’est-ce qui vous a poussé dans cette voie ?
La création de cet alphabet résulte premièrement, d’un constat. J’avais en effet noté avec déplaisir qu’il n’existait pas de système d’écriture endogène à l’espace sénégambien. C’est ce que je croyais tout d’abord, avant d’apprendre par la suite qu’il en existait effectivement un, le Garay depuis 1960, invention du professeur Faye. Le wolof possède donc à ce jour deux alphabets, deux systèmes d’écriture, le Garay et le Caytu. Mais cela n’est pas un mal pour une langue, le japonais aussi en possède plusieurs, tout comme le mandarin, le mongol et, jadis, la langue des pharaons. Cela ne peut pas être mauvais, ainsi que je viens de l’affirmer. C’est du dernier chic pourrait-on même dire. Deuxièmement, le désir de rendre hommage à ce grand homme que fut le regretté Cheikh Anta Diop. S’il faut le rappeler, lui-même travailla sur un système qu’il destinait à l’ensemble des langues africaines. Etant donné que son projet n’a pas connu le succès qu’on était en droit d’en attendre, étant donné encore que j’ai l’honneur de me considérer comme son disciple, il m’appartenait de finir ce qu’il avait commencé, autrement j’aurais failli…
Qu’est-ce qui différencie ce nouvel alphabet des autres ?
Ce qui différencie mon alphabet des autres, c’est son originalité, sa parfaite négritude. Il ne s’agit en aucune façon d’un pastiche des systèmes l’ayant précédé, latins, arabes ou autres. Pour l’élaborer je me suis inspiré, entre autres, des pyramides d’Egypte et de Nubie. D’où les lettres de forme triangulaire.
Qu’est-ce que vous comptez en faire ?
Pour ce qui est de l’usage que l’on pourrait en faire, il s’agira avant tout, comme c’est le cas de toutes les écritures dans le monde, d’un moyen d’acquisition et de transmission du savoir. Avec l’aide des autorités, je souhaite l’enseigner au plus grand nombre de personnes possible. Et, pour cela, le Caytu présente des avantages certains. Sa numération est, pour ne prendre que cet exemple, de tous les systèmes que je connais, le plus facile à comprendre, à retenir et à reproduire. Mais ce n’est pas tout. Je voudrais que l’Etat lui reconnaisse un statut particulier, celui «d’écriture somptuaire». Il s’agira d’une écriture chargée de célébrer notre singularité en tant que Peuple, notre génie dans ce qu’il a de plus audacieux, de plus noble. Si bien que c’est elle que l’on mettra sur tout ce qui représente notre âme : les monuments, les mausolées, la devanture des bâtiments officiels, nos armes (héraldique), notre drapeau, les uniformes des corps militaires, les timbres postaux, etc. En somme, tout ce qui nous représente à la face du monde. Pourquoi ne l’aurait-on pas sur les panneaux de signalisation, en plus du français ? De la part des autorités, ce serait le meilleur moyen de la soutenir, car plus elle sera diffusée dans l’espace public, plus les citoyens seront enclins à en faire l’apprentissage. Ce sera un cercle vertueux en quelque sorte. Deux ou trois autres manières dont elles pourraient soutenir mon invention : un programme d’alphabétisation de masse, l’appui à l’édition d’ouvrages divers tels des manuels scolaires, ou encore, et c’est peut-être par cela que j’aurais dû commencer, l’encodage des caractères du Caytu à travers le programme Unicode afin qu’on puisse l’avoir dans les ordinateurs, tablettes, smartphones et autres supports informatiques.
En avez-vous parlé aux autorités ? Quelles ont été leurs réactions ?
J’ai fait un geste en direction de nos autorités, en les informant de ma découverte, à travers le département de linguistique de l’Université de Dakar et la Direction de l’alphabétisation et des langues nationales (Daln). Cette dernière structure m’a notifié un accusé de réception, le plus aimablement. Quant à l’Ucad, disons simplement qu’elle m’a manifesté son enthousiasme de la manière la plus timide qui soit, à savoir un silence sépulcral.