Passionné de dessin, Ablaye Ndiaye Thiossane a réalisé sa première affiche en 1949, à l’âge de 14 ans. Depuis cette affiche sur le film de Alfred L. Werker «Il marchait la nuit», de nombreuses autres s’en sont suivies. C’est autour de ces dessins d’affiches de films qu’a été conçue l’exposition qui vient de s’ouvrir à la galerie Le Manège. Quelque deux-cent quarante dessins issus de la collection de Florent Mazzoleni (qui en compte 1 200), sous forme de reproductions, sont exposés jusqu’au 8 mai.
Cette exposition rend un hommage à une grande figure de la culture sénégalaise plus connue à travers la musique que pour ses dessins. «Il a créé en 1964, l’orchestre Thiossane club, après avoir joué dans plusieurs groupes tels que le Royal Band à Thiès ou l’Orchestre national du Sénégal. Musicien, il a notamment interprété Tallen lamp yi, un des hymnes du Sénégal des années 60, interprété lors de l’ouverture du Festival mondial des Arts Nègres de Dakar en 1966. Bref, il était plutôt connu comme musicien mais il a aussi dessiné durant toute sa vie», explique Olivia Marsaud, la directrice de la galerie Le Manège, en marge de l’exposition qui s’est ouverte à l’Institut Français de Dakar.
L’exposition présente une sélection de dessins d’affiches de cinéma réalisés par Ablaye Ndiaye Thiossane entre 1949 et 2000. Mais également des documents et photographies d’archives inédits, préservés par l’artiste, ainsi qu’un film-documentaire qui retrace sa carrière. Par ailleurs, de nombreux dessins étant trop fragiles pour être exposés, ont été reproduits et agrandis sous leur format initial, le plus souvent une feuille A4. «Nous avons la chance de montrer également plusieurs dizaines d’originaux qui dialoguent avec la sélection initiale ainsi qu’avec des documents d’archives inédits, conservés au fil des ans par l’artiste. On y trouve ses cartes professionnelles, des coupures de presse, ses livres fétiches et une série de photographies des années 60, dont certaines ont été découpées et/ou peintes par Ablaye Ndiaye Thiossane», a souligné Olivia Marsaud. On peut aussi voir au fond de la salle d’exposition, une re-création symbolique de la chambre de Ablaye Thiossane qui est toujours à Thiès dans le quartier Médina Fall. «La chambre de Ablaye Ndiaye pour nous est un concentré d’histoire. Une histoire personnelle mais à la fois une histoire de la culture du Sénégal», fait savoir Mme Marsaud tout en attirant l’attention sur une présentation exceptionnelle qui est une «tapisserie fabriquée d’après un dessin original de l’artiste», prêtée gracieusement par les Manufactures sénégalaises des arts décoratifs de Thiès (Msad).
«Un artiste protéiforme»
Quant à Florent Mazzoleni, producteur, collectionneur, photographe et écrivain, il estime que c’est le plus bel hommage que l’on puisse faire à Ablaye Ndiaye, parce que cela fait plus de sept décennies que Ablaye Ndiaye dessine, fait de la peinture, chante, s’intéresse à l’histoire. «Il a connu Sembène Ousmane, il a fait du théâtre, de la musique, du dessin, de la peinture», souligne-t-il avant de s’adresser à l’artiste : «Tu es un artiste protéiforme et polyvalent. Tu es l’un des plus grands artistes du Sénégal et pour nous, c’est un honneur de pouvoir t’accueillir ici, au sein de l’Institut Français et de montrer au public une partie de ce que tu as pu faire. Tu as fait beaucoup de choses. Et là, ce n’est qu’une partie de ce que tu as pu faire», a exalté Florent Mazzoleni.
Ablaye Thiossane est né le 3 février 1936. Chanteur, peintre, dramaturge, acteur à l’occasion, il est un artiste pluridisciplinaire qui vit et travaille à Thiès. Ses inspirations sont multiples et vont de la transmission de sa culture de griot, inspirée des contes que sa mère lui lisait chaque soir, à la musique orientale de Farid El-Atrache en passant par Tino Rossi, découvert en 1953 grâce à son père, le jazz et la musique afro-cubaine. «Au travers de ses dessins, Ablaye Thiossane veut avant tout raconter l’histoire de ces films, qu’il a presque tous vus, et qui le fascinent. Il aime les affiches de cinéma, les magazines comme Ciné Revue. Il ne cherche pas à constituer une collection, mais dessiner ce qu’il voit est pour lui une nécessité. Cette curiosité insatiable se retrouve dans son amour du cinéma, qui lui a permis de s’ouvrir aux cultures du monde entier, sans quitter Thiès», affirme à son propos Florent Mazzoleni. Et d’ajouter : «Ablaye Thiossane entretient un rapport très affectif avec les salles de cinéma, qu’il considère comme des lieux sacrés.»
Venu, avec sa famille, pour l’exposition et le film documentaire réalisé sur lui en 2018 par Florent Mazzoleni, Ablaye Ndiaye ne cache pas son contentement. «Je remercie le septième art parce que, je n’ai jamais fait l’école. Mais c’est grâce à cet art que j’arrive aujourd’hui à m’exprimer librement en français et faire des dessins pour garder les souvenirs passés.» Malgré la perte de beaucoup de dessins, l’artiste en avait gardé certains et cela depuis 1959. Il se réjouit d’avoir rencontré Florent Mazzoleni qui a restauré tous ses dessins. «Si ce n’était pas Florent Mazzoleni, tous ces dessins seraient perdus.»