Il est l’un des meilleurs acteurs de sa génération. Ibrahima Mbaye (Sorano) n’est plus à présenter au public. Sa voix, sa prestance, sa carrure sur scène comme dans les films où il joue ont fini par faire de lui, un acteur qu’on ne peut contourner. Et, lorsqu’on le croise au détour d’une rencontre au Fespaco 2017, un entretien à bâtons rompus s’impose.
Vous êtes venu au Fespaco en tant qu’acteur ou en tant que formateur ?
J’ai participé dans le film malien Wulu qui est en compétition officielle ici à Ouagadougou. Comme on dit, il n’y a pas de petit rôle. C’est un rôle que le réalisateur m’a confié et qui est important pour l’histoire. Je suis là en même temps pour participer au colloque sur la formation. Parce que j’enseigne à l’école nationale des arts le jeu d’acteur. Je dirige en même temps la troupe nationale dramatique du Sénégal. Je suis enfin là pour soutenir tous les participants sénégalais et apporter mon soutien exceptionnel à un ami : Daouda Coulibaly (Ndlr, le réalisateur de Wulu). On s’est connus en dehors de l’Afrique, mais aujourd’hui je suis fier d’avoir joué dans son film et d’être à ses côtés pour le Fespaco…
Que vous inspire le thème central de ce Fespaco 2017 qui porte sur la formation ?
Je pense que cette thématique vient à point nommé. Les écoles de formation se multiplient aujourd’hui et il y a une révolution sur le plan technique et de la créativité également. En tant qu’acteur, j’attends qu’on aborde essentiellement, la formation de l’acteur africain, qui je pense est une nécessité. Il y a une nouvelle génération montante, et je rêve de voir cette génération atteindre ce niveau de tête d’affiche que l’on retrouve à Hollywood ou partout ailleurs. Mais pour arriver à cela, il faut fondamentalement une bonne couverture de ces acteurs. Au niveau professionnel, il faudrait voir quels sont les outils nécessaires pour pousser cette génération d’acteurs et d’actrices à atteindre cette dimension internationale, à travers les films africains qu’ils auront la tâche de porter. Il faut qu’on en arrive à cette expression qui dit que «l’acteur porte le film».
Vous le dites si bien. Mais vous semblez vous-même cloisonné à Sorano et on ne vous voit pas en tête d’affiche dans des films internationaux, alors que vous avez du talent ?
J’ai eu la chance quand même de tourner en dehors du Sénégal. Et je crois qu’il y a un autre fait aussi. C’est que j’ai toujours cru à cette idée de rester chez moi, de prendre d’abord beaucoup de chez moi avant d’aller sur un autre front. Parce que pour se frotter à d’autres sensibilités, il faut s’outiller, il faut avoir un bagage. Et je pense en le disant à cette expression de Senghor parlait du «rendez-vous du donner et du recevoir». Il faut donc être outillé pour pouvoir proposer quelque chose. Mais je pense que c’est parti. Parce que j’ai fait un film dernièrement avec Missa Hébié (Ndlr, réalisateur Burkinabè) qui a été tourné au Maroc. On est en train de construire, petit à petit, un champ d’échange, qui va aboutir à l’acquisition de plus de connaissances, mais aussi à élargir notre champ d’action pour arriver à une carrière qui peut être distinguée, une carrière concrète, bien soutenue et bien tenue.
Vous saisissez cette occasion du Fespaco pour aussi dénicher d’autres rôles ?
Oui ! Pas plus tard qu’avant-hier (Ndlr, l’entretien a eu lieu le 5 mars 2017), j’ai croisé un réalisateur qui tout de suite a tiqué. Je crois que quelque chose est né, pendant les 2 minutes d’échanges que j’ai eu avec lui. On a diné ensemble par la suite. L’aventure va se poursuivre et j’espère qu’on arrivera à son vœu, qui est que je joue dans son prochain film. Il ne me parle même pas de casting. Il me dit c’est toi qui jouera ce rôle. Rien que cela, je pense que c’est un grand bénéfice, une opportunité que le Fespaco nous offre tous.
Après l’union sacrée autour du cinéma, comment reproduire le même schéma au niveau du théâtre sénégalais, qui perd un peu ses lettres de noblesse ?
Je ne suis pas tout à fait d’accord quand on dit qu’il n’y a pas d’union entre les comédiens sénégalais ou que le théâtre perd ses lettres de noblesse. Je salue l’initiative de la Direction du cinéma sénégalais qui essaie de réunir tout le monde. C’est une bonne initiative, qu’il faudrait ma foi reconduire dans notre sphère théâtrale. Mais il ne faut pas se voiler la face : il y a, et il y aura toujours des malentendus, des problèmes. Mais quand on se retrouve sur un objectif commun, il faut nécessairement faire fi de ces états d’esprit et se retrouver autour d’un idéal, qui est de défendre la cause sénégalaise à travers son cinéma ou son théâtre. Ce serait, je pense, une bonne idée de faire de même pour le théâtre sénégalais.
Vous avez qui comme modèle d’acteur ?
Je ne citerais pas de nom. Mais je dirais tout simplement c’est le modèle qui ne joue pas mais qui est.
C’est-à-dire ?
Oui l’acteur. Comme je l’ai tout le temps soutenu, on ne joue pas. Nous ne sommes pas dans un jeu. Il y a certaines expressions qui nous renvoient au jeu. Quand on parle de jeu d’acteur, de comédien par exemple. C’est un terme que je ne conteste pas, mais dans mes ateliers j’utilise l’expression acteur au lieu de comédien. Parce que dans acteur, le verbe être est là, il domine, il est présent. On ne joue pas. Pour Ibrahima Mbaye, l’acteur modèle ou les modèles d’acteurs, ce sont ces acteurs qui s’identifient aux personnages, qui sont les personnages, qui n’essaient pas d’être les personnages. Ce sont ces acteurs qui ne jouent pas des personnages.
Quand je dis Douta Seck ça vous rappelle quoi ?
Douta, il a vécu pleinement son époque à travers une œuvre, dans laquelle, il a été connu : La tragédie du roi Christophe, que j’ai eu à reprendre il y a 4 ans, avec une démarche d’acteur. Douta de son temps, avec une certaine approche esthétique, à l’époque qui était valable, il a su émerveiller, il a su étonner avec sa démarche classique qui était de mise à l’époque. Nous maintenant, nous sommes d’une autre génération. Nous serons toujours inspirés de ses talents mais nous avons une autre mission. C’est d’être des acteurs. De vrais !