L’histoire du pétrole au Sénégal a commencé réellement au lendemain de son indépendance. Il s’agit d’une histoire à la fois brève et longue, longue par les «épisodes géologiques» qui, comme nous le savons, ne se mesurent pas à l’échelle de notre temps, le temps de l’homme, qui est relativement court…
Quelques repères temporels :
Les années 60 (Diam Niadio, Cap Vert, Dakar Marine, Mbour, Bargny, Mont Rolland, Dôme Flore en Casamance, Kabor, Retba, Tamna),
Les années 70 (Sébikotane, Gadiaga),
Les années 80 (Kafountine, Kabor, Diam Nadio),
Les années 90 (Bargny Sud, Louga, Diam Niadio, Gadiaga, Wayambam, Kabor, William Ponty),
Les années 2000 (Diam Niadio, KonKorong, Sébikotane)
Les années 2010 (Sadiaratou, Sangomar et Cayar et Teranga offshore profond).
Ce cycle qui s’est ouvert en 1960 et s’est refermé (provisoirement en 2010) correspond au «cycle passions et annonces»…
Les annonces ont été nombreuses et les espoirs soulevés souvent déçus, à l’arrivée…
Souvenons-nous que de 1960 à 2000 (sauf Sococim en 1948, les Phosphates de Thiès 1957, de Taïba en mai 1960, les Ciments du Sahel), les découvertes de gisements de pétrole lourd du Dôme Flore (densité 10° Api soit 1), les puits de Diam Niadio et autres (plus de 220 puis forés), de fer (Miferso), des phosphates de Tobène, la création de l’Ist (1980), les plans de redressement économique et financier, d’ajustement structurel et la dévaluation monétaire (12 janvier 1994) n’ont pas permis aux sociétés minières créées (Miferso, Sabodala, Tourbes des Niayes, Phosphates de Tobène, de Matam, Marbres du Sénégal Oriental, Petrosen et autres, de contribuer significativement au Pib du pays pour l’équilibre de la balance commerciale.
Les fruits obtenus n’ont pas, hélas, tenu la promesse des fleurs y compris du point de vue des compétences trop jeunes (1ère promotion Ist en 1986) et manquant d’expérience, déployées au sein des entreprises.
En 2000, l’allègement de la dette (annulation partielle), le changement de paradigme et doctrine ont permis la maîtrise des agrégats macro-économiques.
L’horizon pétrolier s’est ensuite éclairci…
La compagnie pétrolière Cairn energy a annoncé en 2014 des découvertes de pétrole, entre autres, sur ce qui est devenu le champ de Sangomar. Des déclarations ont été faites récemment à propos des gisements de Sangomar :
Citation : «Les gisements de Sangomar, de Saint-Louis et de Cayar présentent des réserves de pétrole et de gaz très importantes et sont économiques dans le contexte actuel du prix du pétrole et du gaz.» Fin de citation.
Notre avis, en tant qu’ingénieur géologue et enseignant à l’Institut des sciences de la terre (Ist) durant plusieurs décennies, est plutôt nuancé.
Les réserves annoncées, après seulement 3, puis 11 forages à faible productivité (4 000 b/j) dans un bloc faillé à surface fermée très réduite avec 2 réservoirs ayant une hauteur d’imprégnation moyenne, méritent une confirmation scientifique.
Elles ont – ces réserves – bien sûr fait l’objet de certification par des cabinets étrangers spécialisés.
La rentabilité économique du gisement de pétrole de Sangomar restera fortement dépendante des hypothèses de prix retenues dans un contexte de grande volatilité du prix du baril de pétrole.
Le nombre de puits à forer, les coûts de développement (construction et installations), les prix volatils du baril (dépendant de la géopolitique) pourraient fortement abaisser la rentabilité du projet.
Autres déclarations relevées :
Citation : «Leur exploitation dans les conditions déterminées par les essais de production et les études d’ingénierie va durer des décennies.» Fin de citation
Cette démarche qui consiste à nous demander de patienter encore réveille en nous les syndromes que le Sénégal vit depuis 1952.
La sortie du premier baril annoncée en 2021, puis reporté à 2023 pourrait avoir lieu dans n décennies alors que les dépenses budgétaires continuent de s’additionner :
Miferso 51 ans d’attente, Dôme Flore 60 ans d’attente et il est temps de tenir compte de l’adage «time is money».
Autres déclarations relevées : «L’exploitation et la commercialisation du pétrole brut et du gaz ne créent pas de valeur ajoutée, mais plutôt une situation de rente. Pour tirer profit du pétrole et du gaz, il faut une transformation locale de la production brute ; transformation qui peut générer des produits de fortes valeurs ajoutées.» Fin de citation
De quelles transformations locales s’agit-il ?
Quelles seront les structures industrielles de valorisation, car le projet met en évidence des Fpso (pour l’exportation) ?
Quel sera le prix du baril en 2023 ou dans n décennies ?
Quel niveau atteindra la demande mondiale de pétrole en 2023 et dans n décennies ?
La prudence s’impose.
Avec les données publiées par Cairn energy (qui a d’ailleurs quitté la Jv, de même que Far et ConocoPhilipps), les calculs montrent qu’avec une surface fermée de 400 km2, sans tenir compte de la densité des fluides, il est possible de déterminer une hauteur imprégnée de 15 m dans le bloc Sen1 et pour schématiser, nous serions en présence d’un lac de pétrole de 40 km x 10km.
Alors, il est incompréhensible que les productivités des 11 puits réalisés ne montrent pas ce gigantisme par des débits plus élevés.
Pour la rentabilité, un gisement de pétrole offshore doit produire durant des années avec son débit naturel (en fonction de la pression de la couche productrice) avant de penser à améliorer la productivité par des forages d’injection d’eau ou de gaz (récupération secondaire).
Il faut noter que le projet d’exploitation de Sangomar offshore profond commence avec une récupération secondaire. Il est inconcevable de réaliser une assistance secondaire pour la sortie du premier baril d’un gisement de classe mondiale.
D’ailleurs, une production de puits de pétrole ne commence que très rarement par une récupération secondaire (récupération assistée).
Les productivités des puits de pétrole de Sangomar offshore dans le bloc Sen1 sont faibles (en moyenne 4 000 b/j) et seraient probablement dues soit à la nature et aux paramètres pétrographiques et pétrophysiques des réservoirs (perméabilité, porosité, argilosité, densité des fluides…), soit à une surévaluation des réserves déclarées récupérables.
L’objectif d’une production de 100 mille b/j avec une productivité moyenne de 4 000 b/j par puits sera atteint avec 25 puits de production et au minimum 20 autres puits d’injection pour la récupération secondaire.
Les puits implantés sur des gisements de classe mondiale sont en général éruptifs.
Les coûts élevés des opérations de forage offshore profond, de construction de la plateforme, du Fpso et des installations sous-marines et autres pourront dépasser les prévisions de dépenses estimées depuis plus de 2 ans à 5,85 milliards de dollars Us, dette, capex).
Rappelons-nous que les prévisions de production du champ de Chinguetti (Mauritanie) étaient de 75 mille b/j et que la production actuelle est de l’ordre de 10 mille b/j (à confirmer).
La structure géologique du bassin du Sénégal (parties on-shore et offshore) résultant de la segmentation du bassin par les mouvements tectoniques qui ont conduit au morcèlement et à la fracturation de la Pangée et à l’ouverture de l’Océan Atlantique ne montre pas une existence de gisements de «classe mondiale», mais plutôt des réservoirs lenticulaires de sables, sables argileux et de turbidités, dispersés et à faibles accumulations d’hydrocarbures.
Les blocs offshore Sen1, Fan, Cayar, Teranga sont distants, éparpillés, tous parallèles à la côte et aux failles orientées Ns. Ils sont entrecoupés par les failles orientées We (Fig 1, 2, 3 et 4).
A ce titre, l’attention est attirée sur le forage du 2ème réservoir pour éviter l’éruption, toujours possible, du puits comme à Sadiaratou 2, aux Usa et dans d’autres parties du globe.
Il y a en effet deux blocs faillés Sen1 et Fan (délaissé et situé sous une masse d’eau plus importante) distants de 24 km.
La brève histoire du pétrole au Sénégal a été jalonnée de passion, d’effets d’annonce, mais les réalités s’imposeront tôt ou tard au Sénégal.
Après des décennies d’études, de recherches, d’enseignement, de formation et d’encadrement de géologues, nous dirons, sans ambages, que la réalisation du projet de Sangomar offshore profond devrait se faire avec une logique d’action scientifique, économique, industrielle et sociale.
A notre humble avis, nous devons poursuivre les débats afin que les vérités scientifiques et économiques jaillissent.
Le 21e siècle marque la transition énergétique vers les ressources renouvelables, inépuisables et moins polluantes.
Par exemple, l’eau (H2O) de l’océan par électrolyse avec le soleil (électrolyseurs solaires) qui pourrait donner de l’hydrogène (l’énergie du futur), de l’oxygène, de l’eau pour les besoins agricoles et industriels, de l’ammonium (N) et du potassium (K) combinés à nos phosphates (P) pour la fabrication des engrais binaires (Np) et ternaires (Npk) indispensables pour l’agriculture à forte main-d’œuvre afin de réduire le sous-emploi d’une jeunesse à la recherche de projets pour son avenir menacé.
La formation de techniciens supérieurs et d’ingénieurs énergéticiens dans les nouveaux Instituts supérieurs d’enseignement professionnel créés par le chef de l’Etat permettra aussi la valorisation des énergies liées aux vents, aux fleuves et aux marées.
Chaque siècle à son énergie de plus en plus calorifique pour relever les défis de la conquête du progrès et chaque industrie a son cycle.
Dr Momar SAMB
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