Propos recueillis par Khalifa Mbaye DIOP – Des collectifs à la place de délégataires, absence de recouvrement de la Tva par les opérateurs de gestion de l’eau, remise à niveau des forages… La réforme sur l’hydraulique rurale fait face à beaucoup de défis. 5 mois après son installation, le Direc­teur général de l’Office des forages ruraux prend la parole et défend l’option de l’Etat du Sénégal lancée depuis 2014. Dans cette dernière partie économique de l’entretien qu’il a accordé au Quotidien, Alpha Bayla Guèye se jette à l’eau.Où en êtes-vous avec la réforme sur l’hydraulique rurale, 7 ans après la création de l’Office des forages ruraux (Ofor)?

C’est vrai que la réforme est en cours d’évaluation parce qu’elle a été engagée après quelques années, compte tenu des difficultés que nous avons rencontrées dans la progression des délégations. Le président de la République a commandité une évaluation. Cela a été restitué à l’autorité après un état des lieux exhaustif de la situation de la réforme. L’évaluation prévoit une batterie de recommandations. Nous sommes dans cette attente pour voir comment faire progresser la réforme bien que l’Ofor ait des positions là-dessus. Ce qui est important, c’est de retenir que c’est une réforme d’envergure. Le monde de l’hydraulique urbaine est à son dixième avenant, cela veut dire que par rapport au contrat de base, ils ont pu en fait réajuster, reformuler, remodeler un ensemble d’impasses. Pour l’hydraulique rurale, on en est à notre première génération de contrats malgré l’existence de réformes antérieures. Donc, c’est tout à fait normal l’histoire des forages et des formes de gestion antérieures avec les Asufor ou les comités de gestion, que cette volonté de professionnaliser puisse se heurter à de la résistance. Mais la réforme s’est poursuivie tant bien que mal. Sur les 8 zones qui ont été délimitées, 4 ont été affermées. Dans la zone de Tamba, il y a la Soges. La zone de Thiès et Diourbel est gérée par Aquatech, le Notto-Diosmone-Palmarin & Gorom Lampsar à Seoh et la zone Kaolack-Kaffrine est à Flexeau. A date, le taux d’incorporation se situe à 56% avec des fortunes diverses. Nous avons une bonne progression au niveau de Tamba, de Kaolack-Kaffrine qui est un modèle de délégation très abouti. Au niveau du NDP& GL, on a une excellente progression avec Seoh avec un taux d’incorporation sur la totalité. Il n’y a qu’au niveau du Centre où nous avons quelques difficultés avec un taux de progression qui n’a pas encore dépassé la moyenne. Mais nous y travaillons avec le délégataire Aquatech pour accélérer la remise à niveau des installations pour plus de confort dans la production et la distribution d’eau. Pour les 4 zones qui restaient, il y a eu des tentatives d’affermage avec le Sud et Ourossogui et c’est en ce moment qu’il y a eu l’évaluation. Cependant la volonté de l’Etat c’est de tendre vers une professionnalisation sur la production, la distribution et la qualité de l’eau. C’est une bonne option, je dirais très stratégique. Elle ne vise pas à dessaisir les populations de la gestion de l’eau mais pour faciliter l’accès aux Odd en 2030 pour un taux d’accès universel plus partagé.

A Thiès et Diourbel, des comités ou collectifs ont chassé l’opérateur Aqua­tech de la gestion de beaucoup de forages. Que fait l’Ofor pour rétablir l’ordre ?
C’est pourquoi tout à l’heure, je parlais d’impasse et de résistance. Ce sont les populations qui géraient les forages. Le fait de les transmettre à un délégataire, on peut faire face à de la résistance, ce qui est normal. Il y a eu une histoire forte autour des forages. Comme le taux d’incorporation est faible et les populations demandent à être impliquées, il faut aller vers une nouvelle forme d’organisation au niveau des installations parce que le patrimoine est entre les mains de l’Ofor. La gestion a été confiée à un délégataire sur la base de critères d’appel d’offres pertinent. On a prévu un plan d’actions dans le Centre au niveau de la zone où opère Aquatech. L’Etat, avec l’appui de la Banque mondiale, est en train de travailler à une remise à niveau des installations. C’est le sens du Peamir (Projet eau et assainissement en milieu rural) d’un coût de 22 milliards et qui permettra dans certaines zones difficiles de pouvoir remettre à niveau les installations et faciliter l’exploitation. Aujourd’hui, nous sommes à l’écoute des nouvelles instructions de l’autorité. Derrière, il faut aller sur le terrain et favoriser la communication entre les collectifs et les délégataires pour voir s’il est possible de construire une nouvelle forme d’organisation qui intègre les intérêts de toutes les parties. C’est un exercice que nous abordons avec beaucoup de confiance parce que depuis quelques mois, nous avons un taux d’incorporation qui s’améliore mais qui est encore lent. Sur les 290 installations, il n’y a qu’une centaine qui est incorporée. Il faut hâter le pas parce que du taux d’incorporation dépend de la survie et du modèle économique du délégataire.

Les opérateurs se plaignent de ne pas recouvrer la Tva sur le coût de l’eau. L’Etat à travers l’Ofor met-il en difficulté les délégataires ?
C’est vrai que le prix de l’eau a été fixé par arrêté ministériel qui pour sa part, est muet sur la Tva. Donc, les opérateurs supportent la Tva en amont dans le cadre de leurs activités mais n’arrivent pas à la récupérer lors de la facturation. C’est une grosse difficulté et nous avons attiré l’attention de l’autorité parce que la perte de compétitivité qui n’est pas compensée par un gain de productivité, il y a des conséquences qui suivent. Nous avons vu des modèles où pour l’opérateur, le coût de la Tva constitue carrément sa masse salariale. A un moment donné, c’est une charge qui n’est pas rattrapable et qui peut influer sur son compte d’exploitation. C’est la raison pour laquelle nous avons adressé une note technique au ministre et je crois que c’est en train d’être pris en charge. Nous attendons une nouvelle orientation là-dessus. Mais je pense que ce n’est pas un problème difficile à régler. Au niveau du monde urbain, la tranche sociale est défiscalisée. Donc, je pense que le monde rural va bénéficier de cette exception. Le monde rural doit être généralisé comme faisant partie d’une tranche sociale ou alors même voir comment la Tva peut être appliquée en certaines circonstances. Je crois que c’est en train d’être débattu au niveau du service des impôts et sous peu, il y aura une communication là-dessus.

La qualité de l’eau dans le monde rural est très décriée surtout dans la zone de Kaolack-Kaffrine gérée par Flexeau. Que fait l’Ofor en ce sens ?
Pour la zone visée, on est en train de développer un programme pour une généralisation d’unités de coloration. Les équipements d’ailleurs sont arrivés et nous sommes en train de voir avec Flexeau comment les déployer. Donc, sous peu de temps, on aura une eau de meilleure qualité dans la zone. Le chantier pour la qualité de l’eau doit être une priorité parce que l’Odd 6, c’est l’atteinte d’une eau en quantité mais aussi en qualité. La qualité bactériologique de l’eau diffère en fonction des zones. Il y a des zones où on a des unités de potabilisation et de salinisation. Donc, nous sommes en train de travailler sur les zones plus dures. C’est une préoccupation de l’Ofor. Il faudra hâter le pas en 2022 parce que nous avons prévu dans le cadre de notre programme d’investissement, beaucoup d’efforts dans l’amélioration dans certaines zones. En réalité, l’Ofor est un établissement public à caractère industriel et commercial. Nous ne sommes pas une société nationale et notre marge de manœuvre est réduite. C’est un point qui est revenu dans l’évaluation de la réforme qui a proposé une forme d’organisation juridique beaucoup plus dimensionnée pour gérer cette question. Aujourd’hui, nous avons un portefeuille en mouvement de près de 56 milliards répartis dans plusieurs zones et financé par plusieurs bailleurs. Nous avons aussi le Budget consolidé d’investissement, c’est-à-dire les ressources qui nous proviennent de l’Etat central. C’est vrai que ce serait beaucoup plus facile pour l’Etat de nous aider en redimensionnant l’Ofor pour qu’on puisse aller lever des ressources par nous-mêmes. Nous en avons les capacités et notre équipe de planification est très outillée. Elle arrive à structurer des projets à l’intérieur du pays. Mais on pèche dans la recherche de financement où on est obligé de passer par la régie financière pour accéder à certains projets. Mais je crois que cette question sera prise en charge sur le redimensionnement de l’Ofor afin que ce dernier puisse avoir plus de marge de manœuvre et intervenir de manière agile lorsqu’il y aura des réparations. Nous avons fait de grosses avancées dans la gestion des réclamations et des nouvelles demandes avec la mise en place d’une plateforme et d’un numéro vert. C’est une grande innovation. Nous sommes en train de travailler sur la mise en place d’un autre outil d’identification et de gestion du patrimoine. La plateforme des demandes et réclamations sera envoyée à toutes les autorités administratives et politiques. Je parle des gouverneurs, préfets, sous-préfets et des maires parce que maintenant, les demandes passent par des canaux officiels. Nous avons vu beaucoup de tentatives de politisation des questions de l’eau. Nous voulons construire des relations fiables avec le consommateur en passant par l’autorité administrative. Ainsi chaque semaine, nous avons un programme de nos interventions, le nombre de pompes à changer, les groupes électrogènes, les pièces, etc. pour agir sur le terrain de manière efficace et avoir une meilleure qualité de service.