Sommet Afrique-France de Montpellier : restons vigilants !

Décidément nous vivons une époque pleine de dérisions : en effet, avec l’apparition de la pandémie du Covid-19, on avait prédit une hécatombe pour l’Afrique. Ce «rêve satanique» ne s’est pas réalisé. L’Afrique est aussi le continent des extrêmes. C’est là qu’on trouve les plus pauvres, les plus malades, les plus mal-nourris, les taux de chômage les plus élevés, les taux de scolarisation les plus bas. Mais bizarrement et paradoxalement, c’est le continent le plus convoité, il fait l’objet de toutes les rivalités et de tous les appétits.
C’est que le plus vieux des continents a encore des atouts à faire valoir. L’Afrique a une population très jeune, des ressources naturelles inestimables. Et le plus agaçant est que plus on veut l’enterrer par une exploitation effrénée de ses richesses, plus on s’obstine à maintenir ses populations dans une paupérisation exécrable, elle révèle des trésors cachés, de nouvelles richesses. C’est cela qui a expliqué la volonté de l’envahir et de s’agrandir à ses dépens pour enfin accaparer ses biens : la colonisation. L’histoire a sans doute permis la fin de ce phénomène inhumain mais n’a pas fait disparaître la logique qui le justifiait. On a remplacé les couleurs, pas les hommes et ce grand bluff a couvert toute l’Afrique. Là où on a cherché à résister, on a utilisé ou le discrédit ou l’élimination.
Mais le problème du partage demeurait, il fallait trouver des mécanismes pour toujours exploiter de plus grandes quantités et réduire au maximum ceux qui doivent partager les ressources. Et c’est là que la question de la population intervient. On a voulu nous convaincre qu’il y a trop d’âmes sur notre terre et les ressources dont nous disposons ne seront pas suffisantes pour les nourrir, alors il faut les réduire et la solution cynique utilisée au-delà des guerres fomentées et/ ou entretenues, est la planification familiale. C’était la mode à une certaine époque et presque toutes nos femmes, pour être dans l’air du temps, se croyaient obligées de l’adopter. Mais c’était sans compter avec les conséquences désastreuses qu’elle pouvait causer : complications dans la vie sexuelle, incapacité à procréer ou énormes difficultés à tomber enceinte après des traitements interminables et extrêmement onéreux. Il fallait trouver autre chose : payer les femmes pour se faire stériliser et là encore le cynisme a joué. On est allé dans des pays d’une extrême pauvreté comme en Afrique ou en Inde, pour l’appliquer. Il faut croire encore que cela n’a pas suffi, il fallait pousser la chose jusqu’à imposer la stérilisation dans certains pays où la sexualité est particulièrement active, ou à limiter le nombre d’enfants comme en Chine.
Mais les tenants d’une telle théorie ne reculant jamais, ils ont encore inventé «le mariage pour tous» : homme-homme, femme-femme et se sont employés à faire adopter la chose dans les législations des pays. Formidable stratégie pour stopper la procréation. Deux hommes ne peuvent concevoir un enfant, deux femmes non plus. Et aujourd’hui, ce phénomène a achevé la conquête de l’Europe, même s’il y a encore certains pays de l’ancien bloc soviétique «ultra conservateurs» qui résistent, l’Amérique est depuis dans la mouvance, ainsi qu’une partie de l’Asie. L’Afrique reste le bastion de la résistance.
C’est la même logique qui prévaut pour la spoliation dont notre continent a été victime depuis son contact avec l’Occident. Cela s’est traduit par l’aliénation qui, en fait, a fini par tout nous faire gober : agriculture dictée par une division du travail voulue par les anciens maîtres (pourquoi le café en Côte d’Ivoire, le cacao au Ghana, l’arachide au Sénégal, le coton au Mali, etc. ?), orientations politiques à adopter (Après «les indépendances», les régimes de parti unique, l’ouverture démocratique contrôlée, l’alternance souhaitable et inoffensive). Rien ne nous a été donné. On contrôlait nos richesses, nos avoirs (avec le système monétaire incroyable du franc Cfa), notre éducation, nos ambitions, nos perspectives. Il n’y avait aucune voie en dehors de ce que l’Occident voulait. On est même allé jusqu’à priver nos propres enfants d’avoir la dignité de vivre chez eux et de se réaliser, le système d’appel d’offres international excluant de fait nos petits entrepreneurs n’ayant pas encore des reins solides au plan économique. On est allé plus loin. Nos institutions, qui sont les copies conformes de celles de l’Occident, brillent par leur absence dans les dossiers majeurs de notre continent ou alors elles manquent de crédibilité en se faisant financer de l’extérieur, au point que personne ne leur fait plus confiance. C’est là le grand tort de Kadhafi, lui qui avait décidé de créer une banque capable de financer le développement du continent. Il avait bien senti tout le poids d’une subordination à l’Occident par le biais des fonds de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, ou plus pudiquement, de l’aide au développement allouée à nos pays. Il fallait l’éliminer car il devenait «dangereux» pour les intérêts de l’Occident. Mais puisqu’en pareille occasion on se focalise sur la cible sans réfléchir aux conséquences, on a ouvert la boîte de Pandore et créé la situation du Sahel, du Mali, du Burkina, entre autres. A moins que l’on connaisse les enjeux de cette région et qu’on y ait sciemment favorisé une situation d’instabilité pour profiter de la confusion.
Jusque-là, l’Occident et surtout la France, pensait pouvoir compter sur ses alliés traditionnels, les chefs d’Etat africains qu’on pouvait mobiliser et convoquer à tout moment pour leur parler comme à des élèves, des chefs d’Etat qu’on pouvait invectiver publiquement et même menacer. Voilà ce qu’en disait un journal français rapportant les propos du Président français : «J’ai invité à Pau le 16 décembre prochain, les cinq chefs d’Etat africains impliqués dans le G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad). En fait d’invitation, cela ressemble surtout à une convocation : «J’attends qu’ils clarifient et formalisent leurs demandes à l’égard de la France et de la communauté internationale. Je veux des réponses claires et assumées» et «j’ai besoin qu’ils l’affirment politiquement devant leurs opinions publiques»», a martelé le Président français. Ce ton comminatoire dans la bouche du représentant de l’ancienne puissance coloniale ne va sans doute pas apaiser les choses parmi des populations où le sentiment anti-français s’exacerbe déjà.
Cela marchait jusqu’à récemment, les masses africaines vivaient dans le flou du fatalisme, la passivité et la veulerie. Mais depuis peu, il est né une jeunesse qui en a assez, qui veut que les choses changent et qui ne doit rien à personne, une jeunesse aussi intransigeante qu’impatiente qui ne comprend pas la logique du «golo bey, baabun dunde». On ne peut être le continent le plus prospère et le plus pauvre. La situation du Mali et celle de la Guinée en constituent des exemples très illustratifs.
Et ça l’Occident le comprend et le Président français sans aucun doute aussi. Mais on ne va pas lâcher le morceau aussi facilement. Alors on cherche de nouvelles stratégies pour se repositionner, on joue une autre carte. La nouvelle initiative du Président français entre dans ce cadre. Un journal français en rend compte encore : «Des centaines de jeunes de la «société civile» africaine sont invités à Montpellier par le Président Emmanuel Macron, pour un sommet Afrique-France inédit. Il vise à «refonder» nos relations. Pour la première fois, des centaines de jeunes entrepreneurs, artistes, chercheurs, athlètes, étudiants, personnalités engagées d’Afrique et de France sont réunis ensemble à Montpellier. 3000 invités au total, dont 1100 jeunes originaires de 12 pays d’Afrique.
L’objectif est de partager la connaissance et d’écouter la jeunesse d’Afrique et de France qui, chaque jour, bâtit l’avenir de la relation entre la France et le continent africain.»
Cet évènement pose au moins deux problèmes :
– d’abord pourquoi avoir changé d’interlocuteurs maintenant (la jeunesse plutôt que les chefs d’Etat) ?
– Ensuite depuis quand la jeunesse africaine est-elle devenue une préoccupation du Président français ?
Le monde a changé depuis le 11 septembre pour faire court et l’apparition de cette pandémie du Covid-19 qui a montré que la vulnérabilité est la chose la plus partagée dans notre monde, malgré cette prospérité indécente du Nord qui entourait d’opacité toutes nos analyses.
Les lignes ont bougé et il faut se réinventer, se réadapter. M. Macron l’a compris très vite. Avec les chefs d’Etat africains, certains évènements ont accéléré leur discrédit au Tchad, en Centrafrique, au Mali et il y a une défiance vis-à-vis des structures qui deviennent leurs propriétés plutôt que celles des peuples qu’ils représentent. C’est pourquoi les décisions des organismes panafricains sont de plus en plus mal accueillies et même contestées, comme c’est le cas au Mali et en Guinée.
Alors pourquoi ne pas se tourner vers la force africaine émergente et prometteuse : la jeunesse (60 % des Africains ont moins de 24 ans). C’est tout le sens du sommet de Montpellier.
Il y a à mon sens, par rapport à ce sommet, trois dangers qui doivent nous préoccuper. Le premier est dans la marginalisation ou certainement la suppression de la relation d’Etat entre la France et les Etats africains même si certains chef d’Etats de notre continent ont fait la preuve qu’ils représentent les intérêts de l’ancien colonisateur plus que ceux de leurs peuples. Il est impensable pour parler avec la France, de passer par une autre structure que la présidence de la République française, alors pourquoi on peut se le permettre pour l’Afrique ? Les Présidents africains doivent en tirer toutes les leçons.
Le deuxième est dans l’implication de la force-motrice du continent, la jeunesse africaine, dans les relations troubles de la françafrique. C’est une manière subtile de nous embrouiller et nous devier de nos véritables objectifs : la libération du continent et la construction de son développement.
Le troisième est plus pernicieux. C’est le fait de semer la graine de la discorde entre les jeunes d’Afrique. On jette l’anathème sur ceux qui étaient présents à ce sommet, on les vilipende et les traite de tous les noms d’oiseaux. Ce n’est pourtant pas à eux qu’il faut s’en prendre mais à ceux qui nous spolient, exploitent nos ressources, nos richesses et nous maintiennent dans la pauvreté crasse sans nous laisser aucune chance de nous en sortir. C’est comme si le développement doit passer nécessairement par l’Occident, surtout la France. Ne nous laissons donc pas distraire, n’inversons pas la tension en tirant sur ceux qui étaient présents pour écouter Monsieur Macron et remettons-les dans les rangs. Soyons plutôt vigilants car l’Afrique est à un tournant de son histoire et il ne faut pas rater le virage. Elle a toutes ses cartes en main avec cette jeunesse consciente qui veut imprimer une nouvelle dynamique à la marche du continent.
Alors réfléchissons à la manière de le faire.
Adramé DIAKHATE