Œuvres – Représentation des femmes : Le pinceau rédempteur du Berger

Par Mame Woury THIOUBOU – Abdoulaye Diallo, «le Berger de l’Ile de Ngor», prête souvent son pinceau à la cause des femmes. «Le Banquet des épouses» et «Les demoiselles de Xurum Buki», deux des œuvres de l’artiste, explorent ce désir constant du poète de représenter des femmes, quelle que soit leur place dans la société.
Le Banquet de Platon a réuni 8 grands esprits qui décidèrent de prendre tour à tour la parole pour faire l’éloge de l’amour au 9e siècle. Le Berger de l’Ile de Ngor, l’artiste peintre sénégalais, Abdoulaye Diallo, a lui décidé de faire l’éloge des femmes. Le banquet des épouses et Les demoiselles de Xurum Buki sont deux toiles majeures de l’artiste qui rendent hommage à la femme. Les premières ont marqué de leurs empreintes les luttes des femmes. Actrices du développement, enseignantes, écrivaines ou musiciennes, elles siègent au panthéon de l’artiste. Mais les autres ne sont pas moins dignes d’éloges, elles qui ont subi les assauts des «hommes hyènes» de la vallée. «Mères de l’humanité», modèles, amies, le tableau du Berger de l’île de Ngor, Le banquet des épouses, est un hommage aux femmes. Le Berger peint souvent la femme. «Vous avez été choisies par le Créateur pour transmettre l’histoire de l’humain, ses valeurs et ses racines», dit-il lui-même. Assises au panthéon, ces femmes n’y sont pas inscrites par le fruit du hasard, mais bien par la volonté du peintre de célébrer des «compagnes de lutte». Mariama Ba que l’artiste a bien connue, Myriam Makeba rencontrée en 1972 à Dakar quand son concert fut interdit par Senghor, Pr Penda Mbow, Aminata Faye Kassé, Teneba Mara Badiane. Toutes trouvent une place sur cette toile qui présente une séance de Xawaré des femmes, une œuvre où les femmes sont représentées dans leurs plus beaux atours, en train d’écouter le rythme enchanteur du xalam. Dans un entretien à l’Enquête, le peintre expliquait la genèse de l’œuvre, en ces termes : «Platon avait exclu la femme de son banquet, sauf la flûteuse qui avait quand même fini par sortir du banquet. Là, je vais donc donner place à la femme en sortant l’homme du ‘’Xawaré’’. Donc ici, on ne voit l’homme sortir que pour servir à la femme ou pour la porter à un certain niveau. De fil en aiguille, je me suis dit qu’il me fallait des titulaires sur cette toile. Comme à chaque fois que je parle, j’ai envie d’installer ce que je dis sur des socles, des faits précis, j’ai décidé de ne parler que de personnes que j’ai connues et qui m’ont offert de la générosité ou pour lesquelles j’ai un respect que je ne saurais expliquer». Sur cette œuvre, figurent des femmes connues et d’autres moins bien connues. Mais toutes sont célébrées et l’artiste raconte toujours que l’inspiration lui est venue de Mme Aïda Sow, épouse du Pr Boubacar Barry, qui est partie trop tôt. «Aïda se faisait le bâton de vieillesse de son mari. Cela m’avait touché et je me suis dit qu’il fallait que je la serve en modèle.» Aussi, les figures féminines sur Le Banquet des épouses sont-elles toutes représentatives de l’engagement, l’abnégation et le sens du sacrifice des femmes.
«Xurum buki», cimetière de la vertu
«Je peins souvent la femme parce que j’ai mal», dit Abdoulaye Diallo dans un de ses écrits. Des femmes, peut-être moins connues, figurent également dans le travail d’hommage de l’artiste. Les demoiselles de Xurum buki racontent l’histoire tragique de ces femmes venues à Dakar pour gagner leur vie en qualité de domestique et qui vivaient entre Thiaroye et Pikine où, jusque dans les années 50, des hyènes rodaient. Mais ce tableau pointe du doigt plutôt des hyènes à deux pattes. Des hommes, des prédateurs qui s’attaquèrent à ces braves femmes venues en ces lieux chercher fortune. Elles travaillaient à Dakar et devaient traverser les zones de chasse de ces prédateurs. Certaines se faisaient agresser et violer. Elles subissaient alors le rejet. «Toutes les filles et femmes étaient agressées, déflorées dans cette vallée. Elles étaient alors rejetées par leur famille, car devenues impudiques, impropres. Les hyènes n’étaient pas parties», écrit la curatrice Aïssatou Ndèye Aïda Diop à propos de l’œuvre. Le geste artistique du peintre cherche à réhabiliter ces femmes, à les sortir de l’ombre où la société les a maintenues. «De la naissance à la mort, elles ont été victimes et jamais une féministe n’a parlé de ça», dit le peintre. Sous le joug des bourreaux d’hier, elles finissent sous la coupe des proxénètes puis exilées au lazaret, rongées
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