Projection – Mbula de Pamphile Oudiane : La mémoire culturelle mancagne en image
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Les Mancagnes sont une communauté répartie entre le Sénégal, la Gambie et la Guinée-Bissau. Dans cette communauté, le roi est choisi en alternance entre deux familles depuis le 16e siècle. Le réalisateur, Pamphile Oudiane, a filmé ce moment rare de l’accès au trône d’un nouveau roi. «Mbula» est une œuvre de préservation de la mémoire culturelle de ce peuple.Par Mame Woury THIOUBOU –
Deuxième volet d’une série documentaires en 5 actes sur les Mancagnes, Mbula de Pamphile Oudiane s’est retrouvé être le premier film de la série à être produit. Sans doute, par la force de son sujet. En effet, Mbula documente le processus d’intronisation du roi des Mancagnes et son couronnement à Bula, capitale royale située en Guinée-Bissau. Joao Mancabou, le futur roi, est un ancien employé de la Sonadis. C’est sur sa personne que le conseil de famille a jeté son dévolu pour porter le drapeau de la famille «Baami». Dans cette royauté vieille de plus de six siècles, les familles Medu et Baami occupent le trône en alternance. Depuis 1522, 30 rois se sont succédé sur le trône suivant ce système démocratique. Et après une vacance de 7 ans, Joao Mancabou peut enfin prétendre à la couronne. En allant explorer les rites et traditions de son peuple, Pamphile Oudiane «fait un film nécessaire», comme le souligne le cinéaste et enseignant chercheur, Mamadou Sellou Diallo. «Ce film a une dimension ethno-anthropologique très forte. Jean Rouch (ethnographe et cinéaste francais) nous a filmés de l’extérieur et depuis une dizaine d’années, des cinéastes ont voulu renouveler ce regard anthropologique», souligne-t-il. Mbula parle du système politique et de l’organisation sociale mancagnes qui obligent le roi et son vice-roi à demeurer dans des endroits différents et à ne jamais se parler face à face pour des raisons mystiques. Mais au-delà, le film s’attache à montrer ce qui fait le ciment de ce peuple, ses codes culturels, sa cosmogonie, ses rites de passage, toutes choses que la modernité menace et tend à faire disparaître. «Aujourd’hui les Mancagnes ne parlent pas mancagne. En Guinée-Bissau, le mancagne n’est parlé qu’à Bula. Ce film c’est aussi pour répondre à cette fonction de vulgarisation de notre diversité culturelle», explique le réalisateur qui fait le choix de présenter un film où les protagonistes utilisent la langue mancagne.
Avant d’accéder au trône, un long parcours attend le prétendant qui doit obtenir le soutien des anciens de la famille. Cette quête est l’occasion pour le réalisateur de montrer la prégnance du sacré dans la vie des Mancagnes connus également sous le nom de Brahm. Dans cette région où les morts ne meurent pas, chaque famille se doit de garder le contact avec ses ancêtres. L’aîné doit avoir un autel où des sacrifices et libations sont faits pour le père et les totems familiaux. Dans un de ces épisodes, une jeune femme, réincarnation de la tante du futur roi, montre des signes évidents d’une présence mystique que la camera est invitée à ne pas filmer. Tout au long du film, les libations, les prières sont le lien avec ce monde des morts. Et c’est là quelques-uns des moments du film où l’auteur s’essaie à filmer l’invisible. «Cette dame se tordait. C’est une présence énergétique qu’on ne voie pas mais qui est ressenti», explique Pamphile Oudiane.
Au-delà de son immersion dans sa communauté, le réalisateur fait œuvre utile en fixant, pour la postérité, un patrimoine culturel en péril. Ce film de Pamphile Oudiane s’inscrit ainsi dans une dynamique de préservation de la mémoire de cette société. «Des films comme ça peuvent nous ressouder encore plus et nous faire découvrir ce que nous avons en nous-mêmes d’original et d’authentique», salue M. Diallo.
Préserver les identités culturelles
Ethnie peu connue, les Mancagnes vivent entre le Sénégal, la Gambie et la Guinée-Bissau. Et la figure du roi est primordiale. «En règle générale, les rois du sud sont les détenteurs du plus grand fétiche et ils ont des fonctions sociales, de protection mystique du royaume que nous pouvons retrouver aussi bien à Bula que chez les Diolas de la Casamance», explique le socio-anthropologue Abdou Ndukur Kacc Ndao. L’anthropologue invite ainsi les cinéastes à s’investir dans cette démarche de préservation des multiples identités culturelles qui composent le pays.
mamewoury@lequotidien.sn