Marie-Cécile Zinsou vient d’être nommée à la présidence de la Villa Médicis. Dans un entretien à Jeune Afrique, la Franco-béninoise balaie les critiques et assure vouloir se concentrer sur son nouveau rôle. Elle estime que les premières restitutions d’objets d’arts au Bénin sont «un premier pas historique».Quand Emmanuel Ma­cron vous a-t-il proposé la Villa Médicis ?

J’ai été prévenue le 21 octobre, lors de la Foire internationale d’art contemporain de Paris. J’ai eu l’occasion d’y croiser Emmanuel Macron, qui m’a demandé si j’accepterais. Il m’a expliqué que les statuts de la Villa Médicis ayant évolué et la présidence n’étant plus réservée à des conseillers d’Etat, il avait pensé à moi. J’ai évidemment été très surprise, mais également très honorée.

Pourquoi, selon vous, vous a-t-il confié ce poste prestigieux ?
C’est à lui qu’il faut le demander ! Ce que je peux vous dire c’est que, en dehors d’un selfie que j’ai pris avec lui en 2015, je ne l’avais jamais vraiment rencontré, jusqu’à très récemment… J’ai eu l’occasion d’échanger longuement avec lui, lors du sommet Afrique-France (les 7, 8 et 9 octobre dernier). Il est venu visiter l’exposition Cosmogonies que la fondation organisait au Moco, le musée d’art contemporain de Montpellier. Je lui ai présenté les œuvres, lui ai expliqué le système de résidence que nous organisons dans le cadre de la fondation. Nous avons eu une vraie discussion sur ce que nous essayons d’instaurer entre les artistes, sur les expositions, la création africaine contemporaine… Pendant une heure, nous avons eu un dialogue très riche sur le fond de ce qui constitue notre travail.

La nomination d’une personnalité à la présidence de la Villa Médicis donne souvent lieu à des polémiques. Votre accession à la présidence ne déroge pas à la règle. Comment per­cevez-vous ces critiques ?
J’ai vu sur les réseaux sociaux, certains commenter ma nomination sur l’air de : «Et dire qu’ils font ça avec nos impôts». Alors je voudrais rassurer tout le monde : le poste de présidente de ce lieu mythique est bénévole. Et il s’agit d’un poste non exécutif. Je sais que cela fait rêver beaucoup de monde, c’est donc normal qu’il y ait des commentaires désagréables. Ce n’est pas bien grave. J’essaie de passer outre. (…)

Vous arrivez à la tête d’une institution prestigieuse. Avez-vous déjà une feuille de route ? Comptez-vous, par exemple, ouvrir les portes de la Villa Médicis aux artistes con­tem­porains africains ?
Je ne suis nommée que depuis 36 heures. Pour le moment, je rencontre les équipes ici à Rome. J’ai longuement parlé avec le Directeur général, Sam Stourdzé. Je me mets à leur disposition. La Villa Médicis est un lieu unique au monde, qui offre un système exceptionnel aux artistes. Mon rôle est de promouvoir la villa, partout où cela sera possible, et notamment auprès des artistes avec lesquels nous travaillons avec la fondation. Le sujet n’est pas de créer une «promotion africaine» à la Villa Médicis, mais si des artistes d’Abidjan ou de Dar es Salaam veulent postuler, ce sera très bien.

Vous avez salué la restitution des 26 œuvres pillées dans les palais royaux d’Abomey. Mais n’est-ce pas une goutte d’eau, par rapport à l’ampleur du patrimoine spolié, toujours conservé en Europe et aux Etats-Unis ?
C’est un premier pas historique. Souvenez-vous du Premier ministre français, Jean-Marc Ayrault, qui avait dit, en 2016, qu’au nom des «principes d’inaliénabilité, d’imprescriptibilité et d’insaisissabilité», la restitution était impossible. C’était impossible, il y a quelques années, et c’est devenu une réalité. Mais comme tous les premiers pas, il faut bien commencer quelque part. Aujourd’hui, la France et le Bénin sont gagnants. Il y a d’ailleurs, au Bénin, un travail énorme sur le patrimoine qui est réalisé et qu’il faut saluer. Cela devient une vraie priorité, ce qui n’était pas le cas au lendemain de l’indépendance, période pendant laquelle il faut bien reconnaître qu’il y avait de nombreuses autres urgences. Pour moi, cette restitution permet de regarder vers l’avenir, d’ouvrir le dialogue pour la suite.

Ne regrettez-vous pas que la France ait choi­si l’option du cas par cas, plutôt que celle d’une loi cadre qui permettrait une restitution plus globale ?
En 2006, les Béninois ont plébiscité l’exposition des œuvres «prêtées» par la France. Près de 275 000 personnes se sont précipitées pour les découvrir. Mais trois mois plus tard, la question s’est posée : pourquoi ces œuvres repartent-elles ? Je pense qu’il était important d’avancer, le plus rapidement possible. Une loi cadre, on en parle depuis longtemps. Peut-être que cela viendra un jour. Mais le temps politique n’est pas le temps de Twitter. C’est un temps long, surtout dans un domaine où tout n’est pas réglé, loin s’en faut.

On parle énormément des restitutions d’œuvres conservées dans les collections publiques, mais très peu de celles détenues par les collectionneurs privés. Comment faire pour que ces pièces retrouvent, elles-aussi, le chemin de l’Afrique ?
C’est un sujet extrêmement complexe sur lequel Bénédicte Savoy a beaucoup travaillé et écrit. L’exemple de la Colonne Dodds (qui a mené la conquête du Bénin pour la France entre 1892 et 1894) est emblématique : il existe des inventaires très précis des armes, des ustensiles… Mais rien sur les œuvres pillées. On ne peut pas aujourd’hui dire avec précision ce qui a été pris, par qui, et où cela a été emmené. Mais j’avoue que, si je suis familière au marché de l’art contemporain, je connais très peu le marché des arts premiers. Je sais simplement qu’il y a, sur ce point, un travail titanesque à mener.
Avec Jeune Afrique