A Guédiawaye, Aliou Sall a trop misé sur son bilan. C’est la conviction de Abdou Khafor Touré réfutant l’idée selon laquelle l’ex-maire a perdu parce qu’il est le frère du président de la République. Le responsable apériste dans ce département s’attaque aux ministres qui se prenaient pour des «éléphants politiques» alors qu’ils sont des «poids plumes». Dans cet entretien, le 1er adjoint au maire de Wakhinane Nimzatt fait une analyse sans complaisance de l’échec de Benno bokk yaakaar à Dakar.Est-ce qu’on peut parler de blocage dans le fonctionnement de la Ville de Guédiawaye ?

Je pense qu’une institution municipale, c’est d’abord le maire, le Bureau municipal et le Conseil municipal. Le Préfet a convoqué la première session d’installation du maire. Sur les 86 conseillers, Yewwi askan wi a 39, Benno 37 et les autres coalitions ont en tout 10. Il faut laisser les conseillers choisir librement les personnes qu’ils veulent voir siéger dans le Bureau municipal comme adjointes. Si le vote est favorable au maire, tant mieux. Sinon, il doit composer avec la réalité. A Guédiawaye, Benno gère 3 communes sur 5. Nous avons au niveau communal 145 conseillers contre 123 pour Yewwi. Ce sont 23 000 voix contre 22 000. A la Ville, Ahmed Aïdara a nettement gagné avec 35 000 voix contre 29 000 pour Aliou Sall, soit un écart de 6000 voix. Ce qui lui confère une majorité au Conseil municipal avec 39 conseillers. Cette situation de confrontation en vérité a été créée par Ahmed Aïdara. C’est lui et le candidat perdant de Wakhinane Nimzatt, Tahir Konaté, qui sont venus au lendemain des élections faire le siège de la mairie en taxant Racine Talla de voleur, d’usurpateur du vote des populations et qu’ils allaient le déloger de la mairie. Tout est parti de là. On a juste apporté une riposte politique. Mais, je suis totalement contre les gens qui insultent les populations de Guédiawaye parce qu’elles ont élu Ahmed Aïdara. Nous devons respect à ces populations, à leurs choix. Nous pouvons avoir une adversité politique, attaquer le maire sur son programme, sur ses méthodes et son approche. Mais aucun responsable de la majorité n’a le droit d’insulter les populations de Guédiawaye. Le problème est que Ahmed Aïdara a été élu avec une majorité étriquée. Mais il est le maire de Guédiawaye pour les 5 prochaines années. C’est un choix des populations que nous respectons. Personne ne remet cela en cause. Mais le jeu politique aussi a ses règles. Le problème est que l’actuel maire fait face à une équation politique qu’il n’a pas la capacité de gérer. Il lui faut beaucoup de hauteur, de responsabilité, de l’expertise, l’expérience, de doigté pour gérer ça. Il est dans l’apprentissage.

Pourquoi, selon vous, Benno bokk yaakaar a perdu à Guédiawaye ?
Si nous avons perdu la Ville et des communes, c’est parce que nous avons péché quelque part dans la démarche, la stratégie. A Guédiawaye, la défaite s’explique par un ensemble de pratiques négatives. C’est le manque d’unité, de solidarité, d’esprit de camaraderie…. L’essence de l’activité politique, c’est la proximité avec la population au quotidien. C’est vivre avec les populations, connaître leurs problèmes, travailler de concert avec elles pour qu’elles sentent que ceux qui les représentent essaient de trouver au quotidien des solutions à leurs problèmes. Sous ce rapport, je ne fais pas partie de ceux qui disent que l’élection de Ahmed Aïdara est un accident.

Ah bon…
Oui, l’élection de Ahmed n’est pas un accident. Il a politiquement travaillé pour être élu. Il a occupé le terrain de façon quotidienne, constante et permanente pendant ces 5 dernières années. C’est la vérité. Son élection est l’aboutissement d’un travail qu’il a fait. Il faut le reconnaître. Il est parti au contact des populations. On le voyait constamment sur le terrain. C’était à nous de faire une veille permanente du terrain pour déjouer et déconstruire le travail de Ahmed. C’est là où nous avons péché. Gagner une élection, ce n’est pas une occupation saisonnière. On ne peut pas se lever à 2, 3 ou 4 mois des élections et penser qu’on peut venir pour gagner les élections. Nous devons renforcer notre unité, occuper le terrain de façon permanente et quotidienne. Nous devons avoir les attitudes et les postures que requiert l’action politique. C’est la franche camaraderie, le compagnonnage sincère pour renforcer le parti, la coalition. Si nous le faisons, je pense qu’on va gagner. Pourquoi nous avons gagné à Gounass, Wakhinane et Ndiarème Limamoulaye ? C’est parce qu’il y a d’abord l’unité des responsables, un travail d’occupation du terrain, de persuasion. Nous avons perdu certes la Ville mais je reste convaincu que Bby est majoritaire dans le département.

Ahmed Aïdara a occupé le terrain selon vous. Est-ce que Aliou Sall fait ce travail ?
Je ne fais pas le procès d’un individu. Aliou Sall, personne ne peut contester son bilan à Guédiawaye. Tout le monde est d’avis qu’il a un bon bilan. Si c’était uniquement une affaire de bilan, il n’allait pas être défait. Mais moi, cela fait 25 ans que je suis sur le terrain politique à Guédiawaye. Le bilan ne suffit pas pour être élu à Guédiawaye.

Qu’est-ce qui a manqué à Aliou Sall ?
Nous sommes en banlieue. Le bilan n’est pas suffisant pour être réélu. Dans la banlieue, on dégomme plus qu’on élit. Je pense que Aliou Sall a trop compté sur le bilan, la rationalité de l’électeur… Il a beaucoup travaillé, trop compté sur son bilan alors qu’il y a un travail d’occupation du terrain, de descendre en profondeur et de contact permanent avec les populations. Il y avait aussi une campagne menée contre lui.

Pensez-vous qu’il a été défait à cause du fait qu’il est le frère du Président ?
Non. Il n’agit pas à Guédiawaye en tant que frère du Président. La lecture découle d’une réalité locale. L’expliquer parce qu’il le frère du Président, c’est passer à côté. Cela n’a rien à voir. Les populations ont voté. Il faut constater le vote, comprendre son sens de façon objective dans la vérité sans complaisance et agir en conséquence pour les prochaines échéances.

De façon globale, comment expliquer la défaite de Benno dans la région de Dakar ?
Dans l’appréciation globale de l’élection, Benno est largement majoritaire sur toute l’étendue du territoire national. Mais quand on perd de grands centres urbains comme Dakar, Rufisque, Guédiawaye, il faut s’interroger. Il y a une dynamique contre le pouvoir dans les centres urbains. Il faut l’analyser et apporter les corrections nécessaires. Quand vous faites 10 ans au pouvoir, il y a l’usure du pouvoir, l’arrogance de certains, les suffisances combinées aux difficultés économiques et sociales, au vote contestataire des jeunes… tous ces éléments jouent. La population sénégalaise est en mutation. C’est une population essentiellement jeune. Lorsqu’on est au pouvoir, on ne doit pas lire les questions nouvelles avec des grilles anciennes. Nous avons perdu dans les centres urbains parce que notre offre politique n’était pas attractive. Ce que le président de la République a eu à réaliser sur le plan des infrastructures et des réalisations, aucun chef d’Etat depuis 1960 n’a eu à le faire en si peu de temps. En 10 ans, le Sénégal a été transformé de façon structurelle dans tous les secteurs. Dans l’emploi des jeunes, l’Etat a mis plus de 350 milliards sur ressources propres, au moment où en 2012, on était sur un volume d’investissement public à 18 milliards. Malheureusement, certains des compagnons du Président ne sont pas à la hauteur de son ambition. Au Sénégal, on pense qu’être ministre, Dg ou Pca confère une position politique. C’est une lecture erronée. Quand vous voulez être élu, il faut un parcours à la base. Etre ministre ou Dg ne fait pas de vous un éléphant politique. On peut être ministre et poids plume politique, comme on peut n’avoir aucune responsabilité administrative tout en étant un éléphant politique. Finalement, beaucoup de ministres ou Dg qui se prenaient pour des éléphants sont des poids plumes.

Croyez-vous à une cohabitation au sortir des Législatives du 31 juillet ?
Les résultats des élections locales ne laissent pas place au doute que nous aurons une majorité à l’issue des Législatives si nous maintenons la cadence de l’unité et de l’engagement. Mais encore faudrait-il que les poids plumes qui se prennent pour des éléphants sachent raison garder et se mobiliser derrière le Président pour conforter le régime et le système.

Quelle est votre position sur l’idée de suppression du parrainage agitée par l’opposition pour les élections législatives ?
Je crois que dans une démocratie, il faut des mécanismes de régulation. On a tous vu ce qui s’est passé lors des Législatives de 2017 avec 47 listes. Donc, je suis pour les filtres. Au Sénégal, il y a beaucoup de partis et de mouvements qui se créent. Ce n’est qu’au Sénégal où on voit que tout le monde a des ambitions présidentielles. C’est incroyable ! Des milliers de personnes veulent devenir Président. Il faut savoir raison garder.

Pour la caution, la majorité propose 15 millions, l’opposition veut 5 millions…
Je crois qu’on devait aller à 20 millions. Trop de démocratie tue la démocratie.

Comment appréciez-vous le nom du stade de Diamniadio donné à Me Abdoulaye Wade ?
C’est une immense fierté pour nous tous parce que nous sommes des fils du Président Abdoulaye Wade. C’est un homme multidimensionnel comme l’a dit le Président Macky Sall. Wade est le père de la démocratie au Sénégal. Senghor a été élu au suffrage indirect et Abdou Diouf est devenu Président grâce à l’article 35. Wade est le premier Président démocratiquement élu au Sénégal. Donc, il mérite tous les honneurs. Le Président Wade dépasse le Pds. Il ne devrait plus aujourd’hui diriger le Pds parce qu’il est devenu un patrimoine national. C’est un panafricaniste qui croit en la jeunesse et a beaucoup œuvré sur cette frange de la population. Je souhaite que beaucoup d’édifices publics portent son nom.