Pour cette 5e édition du festival Films femmes Afrique, un hommage a été rendu à Safi Faye, pionnière des femmes du 7e art en Afrique subsaharienne. Son premier long métrage, «Kaddu baykat», a été projeté au complexe Sembène.Par Mame Woury THIOUBOU

– Première femme sénégalaise à être passée derrière les caméras, Safi Faye a laissé une trace indélébile dans le cinéma sénégalais. Dans le cadre de l’édition 2022 du festival Films femmes Afrique (Ffa), un hommage lui a été rendu ce mardi au Complexe cinématographique Ousmane Sembène. Le premier long métrage de la réalisatrice a été projeté. Kaddu Baykat (Lettre paysanne) est un sévère réquisitoire contre le sort des paysans du Sénégal. Raison pour laquelle, sans doute, le film a été censuré dès sa sortie. Selon Baba Diop, journaliste et critique de cinéma, «le film a fait grand bruit à l’époque, parce que c’est un film qui critiquait la politique du Sénégal, avec l’exploitation des paysans confrontés à la sècheresse, mais que l’on contraignait à payer des impôts. Et quand ils ne pouvaient pas le faire, on les enfermait dans des seccos et on les saupoudrait de Ddt (un produit chimique), en guise de punition et d’humiliation. Senghor et son gouvernement qui étaient les auteurs de ces méfaits, n’appréciaient pas que l’on en parle». Mais qu’à cela ne tienne. Kaddu baykat interpelle par ses prises de position courageuses. Dans ce film, Safi Faye dépeint les maux d’une paysannerie sénégalaise ployant sous le joug d’un système agricole dominé par la culture arachidière. Une culture qui leur est imposée au détriment des cultures vivrières qui leur permettaient de vivre. En même temps que les lourds impôts dont ils doivent s’acquitter, ils font aussi face à un cycle de sècheresse. C’est dans ce contexte que Ngoor se démène pour rassembler la somme nécessaire à ses épousailles avec la belle Coumba. Fatigué de labourer un sol que les pluies ont boudé, il prend le chemin de la capitale, dans cet exode rural que des centaines de milliers de ruraux vont entreprendre également pour espérer survivre. Safi Faye porte la parole de ces paysans dans cette lettre paysanne. Le film sorti en 1975, est sur un ton dénonciateur. Safi Faye y interpelle les autorités, mais propose aussi une réflexion sur l’avenir à travers le reboisement et la protection de la nature. Ce cinéma-vérité que Safi Faye aura découvert aux côtés de Jean Rouch d’abord, puis au cours de ses humanités en France et en Allemagne, en fait une réalisatrice engagée. «C’est un film engagé et militant», assure Baba Diop.
Présidente du Ffa, Martine Ndiaye a eu bien de la peine pour mettre la main sur cette œuvre. En effet, les œuvres de Safi Faye sont détenues depuis quelques années, par une maison de production allemande. Les démarches pour mettre la main dessus, ont été des plus éprouvantes, indique-t-elle. «Ça a été difficile de trouver le film. J’ai cherché en France sans succès et c’est finalement à Berlin que l’on a retrouvé le film. Parce que Safi Faye a donné toute sa filmographie pour qu’elle soit restaurée normalement en fin 2022.» Seule femme réalisatrice en Afrique subsaharienne pendant des années, Safi Faye a tracé la voie à ses cadettes qui viendront bien des années après. Mais à travers cet hommage qui lui est rendu, le Ffa reconnait le rôle de celle grâce à qui «des femmes peuvent faire du cinéma aujourd’hui. Notre thème, c’est Femme créatrice d’avenir et Safi Faye l’était. Mais, ses films ne vieillissent pas vraiment», indique Martine Ndiaye.
Près d’un demi-siècle après, les thèmes abordés dans le film ne s’érodent pas. «Les cinéastes sont des visionnaires. Les problèmes qu’ils abordaient à l’époque, on voit aujourd’hui qu’ils avaient raison d’alerter», constate Baba Diop. Et pratiquement toute l’œuvre de Safi Faye s’inscrit dans cette dynamique.
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