Les juges ne peuvent servir de bras armé pour la liquidation d’adversaires politiques. C’est la réponse de l’Ums, quelques jours après les attaques de Ousmane Sonko contre la Justice. En conférence de presse hier, les magistrats ont affirmé que «la recherche de populisme n’est pas l’office du juge».Par Babacar Guèye DIOP

– «Ces derniers temps, l’institution judiciaire a été à nouveau la cible de critiques de citoyens intéressés directement ou indirectement dans des procédures en cours, s’adonnant de ce fait à des attaques personnelles contre des magistrats et à des actes de défiance envers l’institution», a décrié Ousmane Chimère Diouf, président de l’Union des magistrats sénégalais (Ums), hier lors d’une conférence de presse au Palais de justice Lat Dior. Si M. Diouf a très tôt indiqué que l’objectif de ce face-à-face avec la presse «n’est pas de polémiquer avec qui que ce soit», le contexte semble bien indiquer que c’est une réponse à Ousmane Sonko. Dans un entretien avec certains médias vendredi dernier, le leader de Pastef, accusé de «viols et de menaces de mort», n’a pas été tendre avec la Justice qu’il accuse d’être le bras armé du pouvoir exécutif. «L’Ums tient à préciser, contrairement à une idée répandue de mauvaise foi, que les magistrats ne peuvent servir de bras armé utilisé pour la liquidation d’adversaires politiques. Il appartient à tout citoyen poursuivi de se défendre librement et de ne pas croire cependant que la politique est une cause d’irresponsabilité pénale», a contre-attaqué Ousmane Chimère Diouf.

«Il ne peut être permis à un justiciable de se hisser au-dessus des lois»
Au cours de son entretien, Ousmane Sonko avait qualifié le défunt Samba Sall de «juge faible et malléable» tandis que l’ancien procureur de la Ré­publique Serigne Bassirou Guèye est pour lui, «la cause de toutes les pourritures dans la magistrature». Le député-maire de Ziguinchor, placé sous contrôle judiciaire, avait aussi récusé le Doyen des juges, Maham Diallo, qui gère actuellement son dossier. «Il n’est pas neutre parce qu’il avait donné sa position au début des faits», s’était justifié M. Sonko. L’Ums a recadré : «Il ne peut être permis à un justiciable quel que soit son rang, de se hisser au-dessus des lois en s’arrogeant le droit de vouer aux gémonies le respect dû à la justice. Les institutions de la République sont au-dessus de tout intérêt personnel, elles sont en effet pérennes alors que lesdits intérêts ne sont que provisoires.»

«La recherche de populisme n’est pas l’office du juge»
L’association de défense des magistrats a tenu à «fustiger et à condamner ce genre d’attitude en rappelant que l’histoire politique du Sénégal, mouvementée qu’elle a été, s’est toujours déroulée dans le respect dû aux institutions et aux hommes et femmes qui les animent». L’Ums précise que la Justice n’est pas rendue pour «faire plaisir à qui que ce soit» mais «doit tout juste se soucier du respect de la loi». L’Ums considère que «la recherche de populisme n’est pas l’office du juge». Ousmane Chimère Diouf appelle ses collègues à «faire abstraction de tout commentaire extérieur, de la vox populi dans notre prise de décision». Interpellé sur la décision de leader de Pastef de ne plus déférer à une convocation du juge d’instruction pour signer dans le cadre de son contrôle judiciaire, le président de l’Ums a pris son contre-pied : «Naturellement, il (Sonko) n’a pas ce droit. Il y va de l’intérêt de l’Etat de Droit. S’il est permis à un citoyen de se dire qu’il fait l’objet d’une décision et ne l’applique, alors ce n’est plus la peine qu’il y ait une Justice dans ce pays.»

Dossier Adji Sarr : «Le stade du classement sans suite a été dépassé»
Par ailleurs, Ousmane Sonko, convaincu que l’accusation de viol dont il fait l’objet est un complot, a déclaré qu’aucun juge ne peut le mettre en prison dans cette affaire. Il avait déclaré que deux options sont possibles : un classement sans suite ou un non-lieu. En réplique, le président de l’Ums précise que le stade du classement sans suite a été dépassé dans ce dossier. «Le classement sans suite est une mesure administrative prise par le procureur de la République. Si vous entendez cela, c’est parce que le dossier est entre les mains du procureur de la République. Cela veut dire qu’il n’a pas assez d’éléments pour poursuivre», explique-t-il, rappelant que le non-lieu est prononcé par le juge d’instruction. Le juge Diouf trouve que dans ce dossier Adji Sarr-Ousmane Sonko, «le secret de l’instruction est violé par tous les camps».
De façon générale, le président de la 2ème chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Dakar appelle les politiciens à «apprendre à perdre et à gagner en toute bonne foi, en toute logique. Chez nous, il n’y a pas de match nul. Il faut un gagnant et un perdant». M. Diouf d’ajouter : «Avant de critiquer la Justice, il faut déjà savoir comment elle fonctionne. C’est un préalable et ne pas se focaliser sur ses propres intérêts pour critiquer l’institution sans connaître ses règles de fonctionnement.»
On s’attend déjà à une réponse de Ousmane Sonko qu’il a promise hier lors du point de presse de Yewwi askan wi. «L’Ums n’a pas le monopole de la Justice, c’est une juste une association corporatiste. S’ils parlent de moi, je vais répondre aujourd’hui ou demain», a-t-il prévenu.
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