Les questions écologiques : un impensé dans l’espace politique sénégalais ?

Au regard de «l’écosystème» politique sénégalais, les questions écologiques occupent une place moindre (même dans le débat public). Pourquoi les questions liées à l’environnement ne sont pas le grand «dada» des formations politiques sénégalaises ? Dans les discours, dans les narrations de campagne, dans les récits politiques, l’invisibilité des «préoccupations écologiques» est pour le moins saisissante.
Néanmoins, nous précisons qu’il ne s’agit pas de soutenir ici l’idée selon laquelle les acteurs politiques ne se préoccupent pas de ces questions. A titre d’exemple, il y a bien eu, par le passé, l’activisme reconnu de Ali Haïdar transposé dans le milieu politique, avec la Fédération des écologistes du Sénégal, ceci, après son passage dans le Rassemblement des écologistes du Sénégal de Ousmane Sow Huchard.
En revanche, malgré ces quelques éclaircies, il y a une certaine invisibilité notable des questions écologiques dans les débats politiques, voire dans l’espace public de manière générale, indépendamment du temps électoral, du court et conjoncturel «momentum politique».
Pourtant historiquement, le Sénégal, par ses gouvernements successifs, a semblé avoir tôt compris l’importance de placer l’écologie au cœur des préoccupations. Cette prise de conscience s’est traduite par la validation (signature ou ratification) de tous les «grands textes» du Droit international de l’environnement. A ce propos, nous pouvons citer la Conférence de Stockholm de 1972, le Sommet de Rio de 1992, le Protocole de Kyoto de 1997 ou, tout récemment, l’Accord de Paris lors de la Conférence des parties de 2015 (Cop21).
D’aucuns soutiendraient que ces adhésions sont faites de façon machinale avec des relents de conformisme institutionnel, dans le but de se donner une bonne image. Toujours est-il que le seul fait, pour un gouvernement, de participer à ces conférences, avec la couverture médiatique dont elles sont l’objet, lui donne au moins l’opportunité d’être sensibilisé sur ces questions.
En revanche, l’écologie ne semble pas être un terrain de lutte politique dans le paysage politique actuel. Cela se traduit concrètement par une absence de pensées politiques structurées et l’inexistence de corpus idéologiques axés sur les problèmes environnementaux, sur «les verts».
Pourtant, l’écologie est avant tout une vision de la société, un modèle d’administration de celle-ci qui suppose le passage d’un système axé sur la (sur)production et l’accumulation par une pression exacerbée sur les ressources naturelles, à un système plus «sobre», respectueux de l’équilibre nécessaire entre les besoins infinis de l’individu et la capacité de son environnement à y répondre. Il va sans dire que ce modèle prône redistribution et modération et se propose de garantir aux citoyens de vivre dignement dans un environnement leur assurant santé et sécurité.
Comment une préoccupation d’ordre existentiel aussi actuelle, aussi brûlante, aussi interpellatrice, ne cristallise pas les enjeux politiques, les débats politiques à tel enseigne qu’elle puisse se glisser naturellement dans les offres politiques, voire les politiques publiques ? Pourquoi en dépit de tous les signaux qui se dégagent, malgré la prise de conscience internationale sur l’obligation de mettre l’écologie au cœur de toutes les politiques publiques et des actions quotidiennes des citoyens, celle-ci ne trouve sa place ni dans le débat public, ni dans les programmes politiques ? Est-on face à une classe politique qui ignore l’ampleur d’un enjeu devenu incontestable ou, plutôt, d’un déni politique délibéré ? Si déni il y a, est-ce parce d’autres enjeux (économiques notamment) sont réellement plus importants et incompatibles avec ceux de l’écologie ou est-ce la question écologique qui peine encore à s’imposer comme une demande sociale ?
Pour comprendre l’absence d’une question aussi importante qu’impérieuse dans le landerneau politique sénégalais, une autre piste pourrait être explorée. Celle qui permet d’interroger le rôle de la Société civile et de la classe intellectuelle dans son inscription sur l’agenda politique. En Europe, l’inscription de la question de l’écologie dans l’espace politique s’est faite sur la base de réflexions historiques sur les liens entre croissance et ressources (Malthus, John Stuart Mill et Karl Marx). A cela s’ajoute l’importance des luttes environnementales portées par la Société civile suite aux grandes catastrophes technologiques des années 1970 (Seveso, Tchernobyl). Ces luttes ont conduit à la création de grandes Ong environnementalistes (Wwf, Greenpeace…), la parution d’importants rapports (les limites de la croissance, 1972) et l’organisation de grandes conférences internationales sur l’état de la planète (Stockholm, Rio, Kyoto…).
Toutes ces actions ont conduit, au niveau des Etats européens, à l’inscription de la question de l’écologie au cœur du débat politique, avec son institutionnalisation par la création de partis politiques qui font du sujet leur terrain de prédilection. Cette institutionnalisation s’est accompagnée, grâce à la publication de rapports accessibles aux citoyens, d’une prise de conscience des populations sur l’importance de la transition écologique. Ainsi, l’écologie est devenue un enjeu électoral qui oblige aujourd’hui toutes les formations politiques à l’inscrire dans leurs programmes et à «l’exposer» dans l’espace public.
Cela étant dit, nous sommes tentés de nous demander si les préoccupations environnementales sont un luxe réservé aux pays développés ou à une certaine élite, qu’elle soit du Nord ou du Sud. (Ou encore) si c’est la question écologique qui ne mobiliserait pas (politiquement) sous nos cieux. Sommes-nous obligés de nous résigner «stoïquement» derrière Bachrach et Baratz, en estimant que «l’art de la politique c’est au fond de filtrer les enjeux les plus importants pour les tenir à l’écart de l’agenda politique, décisionnel, gouvernemental» ?
Et pourtant, le Sénégal n’est pas à l’abri de menaces environnementales latentes voire réelles. L’état de la baie de Hann en est un exemple patent. Il y a de la matière sur plusieurs plans. C’est assez étonnant de voir que le sujet de l’écologie ne gagne pas en intensité dans les débats politiques, encore moins dans l’espace public (au sens habermassien) tout simplement.
A l’occasion des Locales, les questions liées à l’environnement auraient dû obtenir plus d’attention, surtout dans une ville comme Dakar. Cette bétonisation outrancière, dans un espace géographique aussi exigu qui ne représente que 0,33% du territoire national et qui compte (paradoxalement) plus de 24% de la population sénégalaise avec une quasi-inexistence des espaces verts, mis à part les rares poumons verts comme le Technopole ou la forêt classée de Mbao, est une menace écologique réelle. C’est dommage que les débats ne mettent pas l’accent sur ces questions-là, alors qu’il ne manque pas de matière à réflexion.
Comment, curieusement, la question écologique ne se traduit pas dans les agendas politiques des acteurs et des formations politiques sénégalaises. Par «agenda politique», nous nous référons à Philippe Garraud pour considérer celui-ci comme «l’ensemble des problèmes faisant l’objet d’un traitement, sous quelque forme que ce soit, de la part des autorités publiques, et donc susceptibles de faire l’objet d’une ou de plusieurs décisions, qu’il y ait controverse publique, médiatisation, mobilisation ou demande sociale et mise sur le «marché» politique ou non». Toutefois, nous ne réduisons pas l’agenda politique ici au sens qui laisserait penser qu’il serait exclusif aux seules «autorités publiques». Vous l’aurez compris dans la mesure où ce texte est (en partie) un plaidoyer à l’endroit des formations politiques, pour qu’elles accordent beaucoup plus d’attention aux questions environnementales et l’inscrivent dans le débat public. Mais, pas que ! Les citoyens aussi ont un rôle plus que déterminant à y jouer.
Partout dans le monde, l’écologie mobilise. Tous les partis politiques sont obligés (à leur manière) d’inclure une dose, une teneur, une tension, une allure écologique dans leurs discours, dans leurs programmes politiques. Au-delà même des partis politiques, même les entreprises privées sont aujourd’hui obligées (au moins concurrentiellement ou dans la volonté de se situer dans «l’économiquement acceptable») de prendre au sérieux la dimension écologique dans leurs programmes en matière de Rse (Responsabilité sociale des entreprises).
Tendanciellement, l’écologie est en train de devenir un axe de plus en plus clivant en termes d’orientation politique. En France, qu’elles soient de gauche ou de droite, les organisations partisanes ont plus ou moins des programmes axés sur les questions environnementales. En ces temps, si aucun parti ne peut se prévaloir l’exclusivité (la paternité exclusive) des questions écologiques, aucun parti, par ailleurs, ne peut se permettre de s’en passer, d’avoir une position, un programme, une offre politique dédiée à ces questions.
Aujourd’hui, sous l’impulsion de l’Union européenne, la quasi-totalité des Etats européens sont dans cette logique. Depuis 2019 notamment, avec l’arrivée de Von Der Leyen, l’écologie est une approche intégrée dans toutes les politiques des Etats membres de l’Ue. Le Green deal, qui vise à la fois la croissance économique et la neutralité climatique d’ici 2050, est aujourd’hui devenu le référentiel en matière de politiques publiques en Europe, dans quasiment tous les secteurs. Ce pacte vert n’est rien d’autre que l’application stricte des engagements consentis lors des sommets internationaux sur l’environnement et le climat.
Cela étant dit, l’écologie constitue une réponse crédible aux nombreuses catastrophes qui caractérisent notre époque : canicule, sécheresse, inondations, incendies, disparition de la biodiversité, pandémie, etc. De nombreux auteurs promeuvent de plus en plus l’application de la «boucle écologique», qui permettrait le développement de «l’Etat social écologique» (version écologique et moderne de l’Etat-providence). L’Etat social écologique est un Etat qui investit dans l’écologie. Cet investissement lui permet de faire des économies puisque la plus grande part des dépenses de l’Etat moderne est consacrée à la résolution de problèmes d’origine écologique. A titre illustratif, les Etats investissent énormément dans le domaine de la santé, qui est une des politiques non négligeables. Il se trouve qu’aujourd’hui, la plupart des maladies sont liées à l’environnement (pollution et pandémie). En investissant dans l’écologie, l’Etat améliore la santé de ses citoyens en diminuant concomitamment le budget consacré aux soins. Les économies ainsi réalisées pourraient être investies dans des domaines aussi bien porteurs de croissance économique que garantissant à la fois la pérennité de la santé des citoyens et leur épanouissement au quotidien : infrastructures de sport, formation tout au long de la vie, tourisme, culture, recherche, développement et innovation sociale et technologique, etc.
L’écologie, comme souligné plus haut, n’est rien d’autre qu’un modèle de développement économique alternatif, un système politique (avant tout) qui cherche à trouver le juste milieu entre les besoins en exponentielle croissance de l’individu et les capacités de son environnement à les satisfaire. Ce, afin non seulement de garantir les possibilités de subsistance des générations futures, mais aussi de préserver la sécurité et la santé des populations. Pour ce faire, elle propose, sans nier le droit de chaque personne de pouvoir satisfaire ses besoins économiques, d’entrevoir de nouvelles méthodes de production, d’exploitation et de consommation des ressources naturelles. Elle fait appel à la rationalité de l’humain qu’elle réconcilie avec son environnement, qu’elle dé-subordonne au lucre afin de lui assurer de meilleures conditions de vie, voire la survie tout simplement.
Nous terminons par cette formule de Jacques Ellul qui estimait qu’il faut «penser globalement, agir localement».
En effet, le désintérêt voire la faiblesse de la cristallisation politique, de l’animation des questions environnementales, interpelle curieusement et pose la question du renouvellement des « clivages politiques» dans l’espace politique sénégalais, si clivages il y a…
Ousmane BA
Juriste Politiste : Métiers du politique / Etudes Européennes et internationales
Amadou Tidiane THIELLO
Juriste Politiste : Expertise du politique et action publique / Gouvernance et coopération internationale (DIP)
1 Comments
Cest trés important ce document et ça m a beaucoup appri