Les réseaux sociaux sont devenus un théâtre à ciel ouvert. Toutes les scènes s’y jouent, des scénarios les plus abjects y sont composés et des spectacles les plus sordides y sont projetés. Ils sont le reflet d’une société en lambeaux, d’une société en perte de repères. La faillite est collective, elle est éducative au sens de culture et valeur. L’école qu’elle soit française ou coranique est au premier chef le socle de l’effondrement sociétal. Elle s’est transformée en lieux d’enseignements, de mémorisation et non d’éducation et d’instruction à la citoyenneté. On y forme des perroquets modernes capables de rabâcher à la lettre des matières et des versets sans pouvoir distinguer ce qui fait sens et ce qui fait valeur dans une société. «Facebook University», «Tik Tok Institut of Technology», etc. ont pris la place des universités, des bibliothèques, des lieux d’éducation et d’instruction.
Notre pays s’illustre par la fuite des intellectuels du débat public sous la menace d’une horde de mercenaires qui régentent la vie publique et les réseaux sociaux. Lorsque le dernier bastion intellectuel cédera, s’il existe encore, l’espace public virtuel et physique sera conquis par une armée d’ignorants et de fanatiques. Je plains mes enfants lorsqu’ils seront en âge d’être en contact avec les réseaux sociaux en y trouvant un univers de crétinisation sans limites. Je plains tous les enfants de voir que la seule porte d’entrée dans le monde virtuel se résume à des histoires salaces racontées par des vendeurs d’illusions à la pelle.
L’absurdité se noie dans l’inconscience lorsque des femmes promeuvent leurs dépréciations. Le manque de respect fait aux femmes par la diffusion d’images obscènes est scandaleux dans un pays où les gens se prosternent cinq fois par jour et se vantent de croire en Dieu. Une société qui ne respecte ni la dignité de la femme ni la dignité humaine est une société qui va droit vers des dérives. Manquer de respect aux femmes c’est manquer de respect à Dieu, c’est méconnaître la puissance de l’enfantement dans l’équilibre de notre monde. La lumière de la naissance est en chacun de nous le symbole de la reconnaissance éternelle que nous devons à toutes les femmes. Tous les hommes vénérés, des prophètes aux saints sont le fruit de la souffrance qu’elles ont endurée, de leur courage dans la douleur de l’accouchement et de l’arme de protection qu’elles sont du «berceau au tombeau».
Le respect qu’on doit à toutes les femmes ne peut se résumer à des vœux, il doit être une réalité. On ne peut naître d’une femme et clamer partout l’attachement et la déférence que nous vouons à nos mères et de l’autre côté se cacher derrière des claviers pour ternir l’image qu’elles représentent pour nous. J’ai honte de voir que personne ne s’indigne de ces dérives machistes envers les femmes. Que voulons-nous réellement ? Une société de délation, de perversité où la femme est l’amusement ultime d’une déliquescence et d’une insouciance sans commune mesure. Une société d’hypocrisie, de réjouissance et de délectation du malheur de ses semblables – voilà ce que les réseaux sociaux montrent au grand jour. S’il existe encore des associations de défense des droits des femmes, le moment est venu de se réveiller pour arrêter cette spirale avant que les exceptions ne deviennent les règles.
La faillite dans nos familles, nos villages, nos quartiers et nos villes se ressent fortement dans le débat imposé par des chaînes de télévision en panne d’inspiration. Des antivaleurs sont les stars des plateaux de télévision. Les mêmes moulins à vent, comme dans un cirque, nous pompent l’air avec des démonstrations alambiquées, des idées saugrenues sans que personne ne puisse broncher. Au lieu de promouvoir la science, la technologie, les valeurs et les vertus de notre société, nos télévisions abêtissent et détruisent les derniers refuges d’humanisme. J’ai la nostalgie de feu Amadou Aly Dieng par qui beaucoup de jeunes ont découvert et aimé l’économie et la littérature. J’ai la nostalgie de Cheikh Tahirou Doucouré qui m’a permis par un raisonnement mathématique, d’aimer la langue arabe et de comprendre l’exégèse du Coran.
Le Sénégal de demain ne sera pas celui dont l’émergence s’appuie sur une élite intellectuelle comme Cheikh Anta Diop, Souleymane Bachir Diagne et tant d’autres, mais celui d’une élite politique assoiffée de pouvoir. Il sera une reproduction d’un appareil, le remplacement d’un système par un autre, d’un système construit sur la base de l’arrogance et de la manipulation. La plus grosse escroquerie est de faire croire qu’on peut changer le système alors qu’il est déjà à l’intérieur des partis politiques avec des présidents avant l’heure dont le dessein ultime est de récompenser des alliés, des militants et des soutiens de la première heure.
Le Sénégal que je désire est celui où l’on célèbre la vertu, celui où les élites intellectuelles ne cèdent pas le terrain à l’ignorance et au fanatisme, celui qui donne une image d’un pays en mouvement enraciné dans ses valeurs, celui où la femme est magnifiée et respectée, le Sénégal qui dit halte aux dérives.
Alassane DIALLO
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