Louga – Un mois ferme et relaxe pour les agents de santé : Sage réquisitoire

Jusque tard dans la nuit, le Tribunal de grande instance de Louga abritait le procès des sages-femmes citées dans l’affaire Astou Sokhna. Dans son réquisitoire, le procureur a demandé la condamnation à un mois ferme contre quatre sages-femmes et la relaxe pour les deux autres qui étaient placées sous contrôle judiciaire.Par Justin GOMIS
– C’est un réquisitoire qui apaise, en attendant la décision du juge : le procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Louga a requis 1 an dont 1 mois ferme contre les quatre sages-femmes placées sous mandat de dépôt dans l’affaire Astou Sokhna. Il a demandé la relaxe des deux autres qui avaient été mises sous contrôle judiciaire depuis le début de la procédure. Durant toute la journée d’hier, les juges ont essayé de sérier les responsabilités sur le décès tragique de Mme Sokhna à l’Hôpital régional de Louga. Son mari, d’abord, a retracé le film de cette affaire qui ressemble à un film d’horreur : «Quand je suis venu, on m’a amené dans une salle d’attente. Ma femme était à l’intérieur et il n’y avait pas l’assistance qu’il fallait. (…) vers 22 heures, elle ressentait des douleurs avant d’enlever sa perfusion. Ensuite, elle m’a demandé d’appeler une sage-femme. Vers 4 heures du matin, la douleur persistait et une d’entre-elles a dit que si elle continuait, elle allait la faire sortir. A 5 heures, elle me disait qu’elle étouffait. Lorsque je suis sorti, sa mère m’a appelé, vers 5 heures 30, pour me dire qu’elle est décédée.» Sujet à risque, elle devait bénéficier d’une assistance régulière comme l’avait suggéré le gynécologue. «Comme c’est une grossesse à risque et qu’elle avait un dossier médical, je pense qu’on ne devait pas la faire patienter. Elle avait tellement mal qu’elle enlevait les perfusions», poursuit son mari, selon emedia.sn qui a décrypté les minutes de l’audience.
Cheffe d’équipe le matin au moment de l’admission de la défunte à la maternité, Amy Sène raconte : «On m’a dit qu’elle devait accoucher mais lorsque je l’ai diagnostiquée, je lui ai dit que le travail n’avait pas encore commencé. Je lui ai fait une analyse avant de donner l’ordonnance à son mari qui est parti l’acheter.» Elle poursuit : «Il y avait d’autres malades et je l’ai déplacée là où on met les opérées récentes. Je lui ai fait une deuxième perfusion. Elle avait son carnet de santé et on savait qu’elle avait des complications lors de sa première grossesse. Elle se plaignait de douleurs.»
Le juge l’interroge : «Saviez-vous qu’elle devait faire une césarienne ?» Elle ne savait pas. Mais, le juge a insisté sur la question. Elle répond : «On a bien fait notre travail. On relevait régulièrement les constantes. Sa tension était normale. Quand je l’ai interrogée, elle m’a rétorqué que son seul antécédent c’est la tension. J’avoue qu’on ne notait pas les constantes sur le dossier pour l’équipe qui devait prendre la relève.» «Si vous consultez une malade, vous devez régulièrement noter ça sur son dossier. D’ailleurs, si vous ne le notez pas, comment vous allez prouver que vous êtes venue ?, s’interroge le juge. Pourquoi le gynéco avait recommandé une visite pré-anesthésique ?» C’est pour faire une césarienne», répond-elle.
Prévenue dans ce dossier, Ndèye Fatou Seck n’aurait pas suivi le dossier de Mme Sokhna : «J’avoue que j’ai aperçu Sokhna ce jour-là. On était en train d’accoucher une autre malade quand elle est venue. Je n’étais pas censée m’occuper d’elle, même si nous sommes une équipe. On était en service de 9 heures jusqu’à 22 heures. Je ne me suis pas approchée d’elle parce que personne ne m’a appelée.» Ngoné Ndiaye s’inscrit dans la même ligne de défense. Elle dit : «J’étais dans une autre salle au moment des faits. Amy m’a amené le dossier de Sokhna. Une malade programmée pour une visite pré-anesthésique doit être opérée dans les heures qui suivent. A ma connaissance, elle n’était pas dans l’urgence. Parce que Mme Sène m’a dit que sa tension était normale. Ce n’est pas moi qui l’ai examinée.»
Alors que Ndèye Khady Lô, cheffe d’équipe le soir, a avoué que Mme Sène lui a suggéré que la parturiente devait être surveillée et d’effectuer une visite pré-anesthésique. «J’ai remarqué dans son dossier qu’elle avait un antécédent et présentait une grossesse à risque. Je suis passée à trois reprises pour prendre de ses nouvelles. J’avais oublié d’écrire ce que j’ai relevé. On m’a dit qu’elle a enlevé la perfusion et je l’ai refait. Elle m’a dit qu’elle ne pouvait plus se tenir debout. C’est sa maman qui m’a appris le décès», avance-t-elle.
«Ce n’est pas votre compétence…»
Quid de la responsabilité de Penda Diack, qui a rédigé le certificat de décès ? «Je n’étais pas dans la même salle quand elle est venue et je ne l’ai pas assistée. S’agissant du certificat de décès, je l’ai rédigé pour la morgue. Je n’ai pas examiné la malade et j’ai mis mort naturelle parce que j’ai pris l’avis du médecin. Et Ndèye khady est venue me dire que le médecin a dit que c’est une mort naturelle. Je suis sage-femme et je n’ai pas cette prérogative. C’est un spécialiste qui devait le faire», reconnaît-elle sans ambages. Cet aveu pousse le juge à recadrer la sage-femme. «Vous vous êtes précipitée comme si vous aviez voulu masquer quelque chose. Pourquoi cette précipitation ? Si vous n’avez rien à cacher, pourquoi vous avez agi ainsi ? Ce n’est pas votre compétence de faire des actes de décès. Vous êtes sage-femme, donc limitez-vous à votre travail. Vous n’avez pas à constater des décès.»
Pour rappel, quatre des six sages-femmes ont été placées sous mandat de dépôt le 19 avril, tandis que les deux autres ont été inculpées et remises en liberté, provoquant trois jours de grève de tout le personnel médical.
Astou Sokhna est décédée à la maternité de l’hôpital Amadou Sakhir Mbaye de Louga, plusieurs heures après son arrivée. Ses proches ont accusé le personnel hospitalier de négligence. Outre le volet judiciaire, qui a abouti à l’inculpation pour non-assistance à personne en danger des six sages-femmes, le ministère de la Santé a mené des missions à la suite desquelles le directeur du centre hospitalier a été limogé. Depuis le début de cette affaire, le personnel de santé est mis au banc des accusés, ce qui a provoqué la colère des syndicats du secteur. Le Collectif des travailleurs de la santé et de l’action sociale, pour dénoncer le traitement partial dans cette affaire, a décrété jeudi dernier, une journée sans soins. Cette semaine, ils avaient décrété 48 heures de grève, mardi et mercredi. Du côté des populations, des marches ont été organisées à Louga et Dakar pour exiger la lumière dans cette affaire et que les responsabilités soient situées.
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