Pr Malick Diagne, chef du département de philosophie à l’Ucad : «Ce n’est pas encore le rush au niveau des licences professionnelles»

Malick Diagne est professeur de philosophie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad). Depuis 2014, il est le chef du département de philosophie de la Faculté des lettres et sciences humaines (Flsh). Spécialiste de philosophie morale et politique, de sociologie politique et communication politique, Pr Malick Diagne dissèque les enjeux liés à l’université et l’enseignement supérieur. Selon lui, les recommandations issues des dernières Concertations nationales de l’enseignement supérieur (Cnaes) doivent être exécutées. Pr, est-ce qu’il y a des étudiants qui viennent vous voir pour parler de leur choix de filière ?
Effectivement, parfois il y a des étudiants qui viennent nous voir par rapport à leurs orientations. Mais de moins en moins aujourd’hui parce qu’ils savent que nous n’avons plus beaucoup de possibilités pour intervenir une fois qu’ils sont orientés, car ils sont au courant que tout se joue maintenant au niveau de la plateforme Campusen. Ce qui fait que les étudiants viennent de moins en moins se plaindre par rapport aux orientations qu’on leur a faites et qui ne vont pas forcément dans le sens où ils le voulaient. Mais nous en avons quand même parfois. Ils viennent souvent très désemparés, cependant on ne peut rien faire la plupart du temps.
Egalement, au lycée, on voyait de bons élèves mais dès qu’ils arrivent à l’université, ils ne se reconnaissent plus. Comment pouvez-vous nous expliquer cette situation-là ?
Pour cette situation, il y a plusieurs facteurs. Mais c’est un problème d’adaptation, à mon avis, par rapport au système d’enseignement parce qu’au lycée, c’étaient des leçons qu’ils recevaient des professeurs, qu’ils essayaient d’assimiler et restituaient. Tandis qu’à l’université, ce n’est plus un problème de leçon à restituer, mais c’est plutôt de la recherche. Et généralement, ils ne comprennent pas, pour la plupart du temps, que ce n’est qu’un cours magistral. Et un cours magistral, ce sont des pistes que le prof donne et le reste, c’est à l’etudiant d’aller faire ses recherches pour compléter justement les informations qu’il reçoit, à travers des indications bibliographiques que souvent l’enseignant donne au début de son cours ou tout le long. Ce qui fait qu’il y a ce problème de méthodologie. Mais encore, il y a des conditions de travail qui font que c’est très difficile pour beaucoup d’étudiants. C’est toujours lié à l’adaptation parce que la plupart aujourd’hui, viennent de petits lycées, de petites bourgades du pays. Ils arrivent ici en pleine ville, dans la jungle dakaroise. Et à l’université, où ils sont plus de 80 000, entre étudiants, enseignants et personnel administratif. Et ça peut les désemparer de fait, qu’ils viennent dans ce cadre-là sans y être préparés. Et c’est ça qui fait que des fois, tu vois certains qui étaient plus ou moins bons au lycée, quand ils arrivent à l’université, ils passent complètement à côté. Bref, il y a tout un ensemble de facteurs, dont le problème d’adaptation lié à la méthodologie dans l’enseignement supérieur.
Nous constatons également que certains parents pèsent souvent sur le choix de l’orientation de leurs enfants…
Cela a toujours été comme ça. Les parents ont toujours influé d’une façon ou d’une autre, surtout les parents scolarisés, sur les orientations de leurs enfants. Mais ce que l’enfant veut ou le jeune du moins, et ce qu’il va faire ou ce qu’il peut faire à l’université, ça aussi, c’est autre chose. Ce qui fait qu’il y a un manque au niveau de l’accompagnement dans les orientations. Ce qu’on appelle les bureaux d’orientation et les services d’orientation dans les lycées ou peut-être à l’université ou dans un milieu intermédiaire. Les bureaux d’orientation manquent, en tout cas, on sent une certaine inefficacité par rapport à l’aide aux étudiants. C’est vrai aujourd’hui, avec internet et les réseaux sociaux, ils sont plus ou moins informés partout où ils sont au Sénégal. Mais par rapport aux nouvelles filières, aux besoins en termes d’employabilité et d’emploi, je pense qu’à ce niveau, il y a quelque chose à faire. Mais également, le fait que majoritairement, ils font les filières littéraires (L) ; ce qui fait que quand ils viennent, ils sont souvent dans les formations classiques de la Faculté des lettres et sciences humaines (Flsh). C’est tout récemment, depuis 6 ans, qu’on a initié justement des licences professionnelles. Et ces licences professionnelles, jusqu’à présent, ce n’est pas encore le rush au niveau des étudiants. Ce qui fait qu’il y a vraiment un travail à faire au niveau de l’université, de l’enseignement supérieur, mais aussi de l’Etat pour davantage sensibiliser les jeunes et les aider à mieux s’orienter, dès le départ, vers les filières professionnalisantes.
Au niveau du ministère de l’Enseignement supérieur, ne devrait-on pas aussi s’interroger sur les critères d’orientation de certains bacheliers. Car la méconnaissance de certaines filières a également entraîné quelques échecs au niveau de certains étudiants.
A mon avis, les nouvelles matières ne doivent pas poser de problème. Et ça ne peut pas être source d’échec. Par exemple, le Droit, qu’ils découvrent à l’université, ne doit pas être une source d’échec, ce sont des apprenants. Ce sont plutôt les conditions dans lesquelles ils sont mis ou bien les prérequis. Parce que la plupart aussi ne viennent pas avec les prérequis nécessaires. Il y a une réelle baisse de niveau qui est constatée. La plupart des jeunes ne peuvent pas vous faire une phrase correctement : sujet, verbe, complément. A l’oral, encore moins à l’écrit. Et puis, il y a également un manque de culture générale qui fait qu’ils n’ont pas les outils nécessaires pour pouvoir faire une certaine discipline comme le Droit, la philosophie, la sociologie ou encore la psychologie.
Pour cette baisse de niveau, quelle est la responsabilité de l’université ?
L’université ? C’est à l’échelle de la société, mais ce n’est pas l’université qui les prépare à venir. C’est une fois à l’université qu’on constate qu’ils ont déjà un problème de niveau. Et cette baisse de niveau, ce n’est pas spécifique à l’université, c’est dès le cycle primaire. Je pense qu’avec la dégradation du système éducatif, le manque de formation des enseignants, mais également le manque de moyens, la massification, les grèves et perturbations répétitives au niveau de l’enseignement moyen, primaire et secondaire chaque année. Tout ça fait que les jeunes arrivent avec de sérieux problèmes de niveau et une baisse considérable. Ce qui fait qu’à l’université, là où on devait les former, ils n’ont pas les prérequis nécessaires. Alors, on ne peut que constater justement ce manque de niveau et essayer, par des remédiations, de les combler. Ce qui fait qu’à la Faculté des lettres et sciences humaines, l’apprentissage du français est mis en première année. Les questions de méthodologie également, nous le faisons de la première année au master, pour au moins corriger certaines lacunes qui sont là. Toutefois les insuffisances sont déjà là quand ils arrivent à l’université. On ne peut pas se dédouaner totalement, mais la situation est déjà catastrophique lorsqu’ils prétendent entrer à l’université.
Par rapport à cette question de déphasage de certaines filières, ces milliers d’étudiants devraient-ils craindre pour leur avenir s’il n’y a pas de changements ?
Moi, je le considère comme un faux débat cette histoire par rapport aux filières professionnelles. Je pense que le débat n’est pas lié aux filières et diplômes. Je pense que c’est plutôt la qualité de la formation. Si les gens sont bien formés dans leur domaine, je pense qu’ils parviendront à trouver un emploi. Jusqu’à une époque récente, en philosophie, il n’y avait pas de chômeur. Les gens y parvenaient quand même. Il y avait même un déficit même au niveau de l’enseignement et dans les autres domaines où on fait appel aux diplômés de la philosophie. Mais toujours est-il que je pense que le grand problème, c’est par rapport à la qualité des formations. Et que c’est bien beau de parler de filières professionnalisantes mais selon moi, c’est plus un slogan que la réalité par rapport à ce que nous devons voir pour nos universités. L’université aussi a une vocation, mais elle n’est pas forcément professionnelle. L’université, c’est un lieu de construction, de diffusion du savoir, qui est également fondamentale, et d’innovation dans le devenir d’une société ; d’autant plus qu’aujourd’hui, nous sommes plus que jamais dans une société de l’innovation, de la science et du savoir.
Aujourd’hui, la Flsh est la seule faculté ayant un département de philosophie parmi les six universités du Sénégal. Pourquoi cette situation persiste ?
C’est une longue histoire, le fait qu’il n’y ait qu’un seul département de philosophie au Sénégal. D’abord, c’est lié à une histoire en particulier, à cette discipline-là, qui était très sélective et qui a fait que pendant longtemps, il y avait très peu de profs, une dizaine. Et il n’y avait pas de possibilité de dupliquer, comme ça a été fait au moment de la création de l’université Gaston Berger de Saint-Louis. La preuve, il y a un projet de département de philosophie qui date de plus de 10 ans, à l’université Assane Seck de Ziguinchor, avec une antenne à Kolda, et qui ne s’est jamais concrétisé. Je sais également que l’université de Thiès est dans cette même disposition, celle de mettre en place un département de philosophie. Et c’est en bonne voie. En tout cas nous, à notre niveau, nous essayons de les aider tant soit peu, pour pouvoir mettre en place un deuxième département parce que nous, effectivement, on sent ce poids. La philosophie, qui était censée être réservée à des groupes plus ou moins restreints par rapport aux autres filières classiques des Lettres et sciences humaines, on se retrouve avec plus de 1000 étudiants en première année. D’ailleurs, nos collègues qui nous viennent de l’étranger, quand ils viennent ici et qu’ils voient les conditions dans lesquelles nous travaillons ou le nombre d’étudiants que nous avons dans les amphithéâtres, ils sont impressionnés. La principale explication, il y avait un déficit de profs de philo, aussi bien dans le moyen-secondaire qu’à l’université. Ce qui fait que nous, quand on arrivait comme jeunes enseignants, on avait que deux ou trois professeurs de rang A. Quand ils sont partis à la retraite, il y a un moment où on avait même du mal à avoir un professeur de rang A pour encadrer nos étudiants en thèse. Surtout avec la disparition du professeur Sémou Pathé Guèye, qui était vraiment l’un des poumons, des animateurs, des principaux encadreurs des doctorants. Nous avons senti vraiment ce vide là et c’est ce qui a fait que pendant longtemps, on a eu un déficit de docteurs dans beaucoup de spécialités de la philosophie, notamment en épistémologie, en logique, en esthétique, en philosophie africaine et en philosophie ancienne et médiévale. Déjà à Dakar, on a du mal à avoir des spécialistes, et encore prétendre un département dans une autre université. C’est vrai qu’aujourd’hui, nous avons eu à recruter une vingtaine de nouveaux enseignants. Nous avons également fait soutenir un bon nombre d’étudiants et nous sommes en train d’en faire soutenir d’autres. En tout cas, il y a assez de docteurs pour pouvoir ouvrir un autre département dans une autre université sénégalaise. Nous le souhaitons et sommes prêts à les accompagner, surtout le projet de département de philosophie au niveau de l’université de Thiès. Parce que Thiès a l’avantage d’être à proximité de Dakar. Ce qui fait que nous, à partir de Dakar, nous pourrons aller les aider à mettre en place ce département, de façon quotidienne ou hebdomadaire, ce qui ne serait pas le cas de Kolda, c’est très loin.
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Peut on supprimer l’animalité en l’homme?