Par Mohamed GUEYE – La subvention de l’énergie va doubler, pour atteindre la faramineuse somme de 300 milliards de francs Cfa, selon les chiffres de la nouvelle Loi des finances rectificative (Lfr) adoptée hier à l’Assemblée nationale. Le gouvernement, qui l’a demandé, a justifié cette augmentation par la forte flambée des prix des hydrocarbures sur le marché international. Ladite flambée a pour soubassement la guerre en Ukraine, entre la Russie et le monde occidental.
Situation ne pouvait être plus difficile pour le Sénégal. Alors que la lutte contre le Covid-19 et les effets de cette maladie sur les économies du monde avaient déjà mis à mal les recettes publiques, le conflit ukrainien est en train de secouer les fondements de l’Etat en décidant de ses priorités.
Avec les encouragements du Fmi et de la Banque mondiale, le Président Macky Sall a mis en place une politique d’appui social destinée à venir en aide aux ménages les plus vulnérables, frappées par les conséquences des politiques qu’elles ne contrôlent pas. Afin d’atténuer les effets économiques du Covid, il avait fait distribuer en début de 2021, des produits alimentaires (riz, huile, sucre) ainsi que du savon, à l’intention d’un million de ménages environ. Malgré des dérapages financiers, cette politique avait apporté un certain soulagement à des personnes dont certaines avaient perdu leurs revenus, du fait des mesures de confinement prises pour contrer la pandémie.
Il y a quelques jours, ce sont plus de 542 mille ménages qui ont reçu cette fois-ci, non des vivres, mais de l’argent, à raison de près de 80 mille francs Cfa par ménage. C’est plus de 43 milliards que l’Etat a dû mobiliser pour cet exercice. Il est vrai que la moitié venait de la Banque mondiale qui, depuis longtemps, a toujours voulu faire du Sénégal son labo d’expérimentation de la politique de Cash transfer qu’il voudrait transposer dans d’autres pays après le nôtre.
On peut comprendre que les caisses du Trésor ne sortent pas indemnes de cette saignée tous azimuts.
Car les enseignants, le plus gros effectif de la Fonction publique, et le personnel hospitalier, ont entre-temps décidé qu’il était temps pour eux de cesser de regarder avec envie les fonctionnaires du ministère des Finances, les magistrats et les professeurs d’université, mieux lotis. L’Etat a donc dû faire des efforts à leur endroit, qui se chiffrent, dans la Lfr 2022, à 100 milliards de Francs Cfa.
Or, on sait tous que les recettes de l’Etat ne sont pas extensibles à souhait. Surtout que les recettes fiscales sont à la baisse. Il est donc urgent de changer de cap et de mener une politique à la mesure de nos moyens. N’oublions pas que les fonctionnaires au Sénégal, ne représentent qu’une infime partie des salariés. Il est donc indécent, au regard des besoins du pays, que ce petit nombre de gens accapare, à son propre compte, l’essentiel des ressources de la Nation.
Les politiques de distribution d’argent, surtout prêté par les institutions de Bretton Woods, ne sont pas un moyen efficace de sortir de la pauvreté. Les Brésiliens, qui sous Lula en avaient été les initiateurs, s’en sont rendus très vite compte. Tous ceux dont la situation s’était améliorée avec les bourses familiales, sont retombés dans la précarité quand Jair Bolsonaro a décidé d’en finir avec cette politique. Et au Sénégal, malgré tout l’argent que Macky Sall a consacré à cette politique, le taux de pauvreté est toujours à deux chiffres, selon les données de l’Ansd.
Les différentes subventions, le gouvernement le sait, car le Fmi le lui répète depuis des années, épuisent le Trésor public sans pour autant remplir la mission qui leur est implicitement destinée. Les 300 milliards de soutien à l’énergie et à l’électricité ne vont pas empêcher l’augmentation des frais de transport, car les transporteurs sont aussi des consommateurs. Si le pain et le riz augmentent, les tarifs de transport vont fatalement suivre. Et pour ce qui est de l’électricité, la Senelec sait que ses plus gros clients ne sont pas les ménages, mais les industries, en particulier celles du secteur extractif. Ces dernières profitent des baisses subventionnées par l’Etat, alors qu’elles pourraient allègrement payer leur courant deux fois plus cher que maintenant.
Il en est de même de tous les autres produits subventionnés. Ceux qui en profitent le plus ne sont pas ceux pour qui ces mesures ont été prises, mais ceux qui pourraient payer plus. En s’obstinant à appliquer une politique contreproductive, l’Etat s’enferme dans un cercle vicieux. Il se prive d’argent pour des politiques pouvant réellement en finir avec la pauvreté. Et pour combattre la pauvreté, il subventionne les moins pauvres, et doit par conséquent, continuer sa politique de subventions…
Or, rien n’empêcherait d’appliquer une certaine vérité des prix, surtout dans le domaine de l’énergie. Ce serait d’ailleurs le moyen le plus efficace d’accélérer le mix énergétique tant vanté, en subventionnant un peu plus les centrales solaires et le petit matériel pour les ménages. La même chose pourrait être essayée dans l’agriculture. Il serait temps, ici aussi, que les trouvailles de l’Ita, dans la production de pain à base de céréales locales, soient vraiment mises en œuvre. Et pour cela, cesser de subventionner la farine de blé serait la première étape.
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