«Chaque génération doit, dans une relative opacité, affronter sa mission : la remplir ou la trahir.» Fanon
Comme à son habitude, Ousmane Sonko, dans sa dernière sortie, a attaqué principalement l’Armée, la Grande muette, et la presse, la grande «bavarde». La presse a les moyens de se défendre et n’a pas hésité à le faire avec des réponses des journalistes Mor Amar sur Facebook, Baye Makebé Sarr dans Le Quotidien et Alioune Badara Fall dans Leral, mais par contre, aucune voix ne s’est élevée pour défendre l’honneur de l’Armée, la Grande muette. La dernière fois, il a fallu que notre grand ancien, le Général Seck, sorte de sa réserve pour aller au front et défendre l’honneur de notre Armée que Sonko traitait comme des mercenaires à la solde des Français. Il a encore récidivé dans sa conférence de presse du 26 septembre.
Il peut attaquer Macky Sall. C’est son droit puisque nous sommes en démocratie, mais il n’a pas le droit de salir l’Armée nationale. Macky Sall peut se défendre, ce qui n’est pas le cas de l’Armée. En attaquant l’Armée, qui ne peut répondre par esprit républicain, Sonko se couvre de déshonneur. Ce déshonneur est d’autant plus grand que cette Armée républicaine est un des piliers de l’exception sénégalaise. Il suffit de voir ce qui se passe au Burkina Faso, au Mali et en Guinée. Mieux encore, malgré le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, érigé en dogme dans la Charte de l’Oua/Ua, l’Erythrée et le Soudan du Sud ont eu leur indépendance. Si après plus de 40 ans de combats, le Mfdc n’a pas réussi la partition du Sénégal, c’est parce que comme dit Fanon, ma génération a rempli sa mission en payant le prix fort. Combien de morts ? Combien d’amputés ? Pour que le Sénégal reste indivisible. Les sacrifices de ma génération ont transcendé les régimes politiques. Pour la Casamance, il est bon de rappeler à la jeune génération que nous venons de très loin, afin de les inciter à plus de vigilance mais aussi à plus de sens du devoir face à leur mission. L’Armée doit sortir du champ politique, pour ne pas dire politicien, afin de répondre à un besoin impérieux de défense du sanctuaire national pour lequel je me suis battu pendant ma carrière militaire, longue d’une quarantaine d’années et marquée par un engagement conséquent en Casamance où les faits d’armes et les sacrifices de notre génération continuent d’alimenter les discussions des bataillons d’élite comme le Bataillon des Parachutistes et le Bataillon des Commandos, notamment la première opération de démantèlement des bases du Mfdc par la deuxième compagnie du Batparas que j’ai eu l’insigne honneur de commander sous le feu.
C’est ainsi sur instruction de l’Etat-major que nous avons détruit la base de de Bindialoum, qui était un sanctuaire des rebelles. Deux de mes hommes, de valeureux paras, sont tombés ce jour, préférant ainsi la mort pour la Patrie plutôt que le déshonneur de laisser une parcelle du territoire entre les mains du Mfdc. La mort plutôt que le déshonneur a été le choix de tous ceux qui sont tombés les armes à la main en Casamance, de cette opération de Bindialoum aux dernières opérations au Nord Sindian. 34 ans après, aucune portion du territoire n’est sanctuarisée parce que l’Armée a accepté de payer le lourd sacrifice humain.
Des pays africains confrontés au séparatisme ou djihadisme auraient aimé avoir une Armée comme la nôtre. Quand on a une Armée comme celle du Sénégal, qui s’est couverte de gloire sur tous les théâtres d’opérations du monde, on la respecte, on ne la dénigre pas pour des raisons purement politiciennes. Grâce au courage et au professionnalisme de notre Armée, nous avons toujours eu l’ascendant psychologique sur le Mfdc qui a toujours utilisé les négociations comme continuation de la guerre par d’autres moyens, en demandant et obtenant des rencontres avec le gouvernement sénégalais pour des négociations afin d’obtenir sur le papier, ce qu’il ne pouvait avoir sur le terrain.
Les Armées constituent les populations sénégalaises en miniature. Mais les contradictions sociétales et politiques doivent l’épargner pour éviter le pire à la République si jamais cette institution implosait. Le Général Seck, Number One, a déjà tiré la sonnette d’alarme il y a quelques jours après la sortie de Sonko sur le «retrait» de l’Armée du Mali, à la suite du départ des Français, comme si nous étions des mercenaires. Son silence troublant après la mort de nos soldats tombés dans une embuscade de Salif Sadio en Gambie, sème aussi le doute dans les esprits. Sonko est-il digne d’être chef suprême des Armées ? La question se pose uniquement pour lui, parce qu’il a été le seul homme politique à oser demander l’arrêt des opérations de sécurisation du Colonel Kandé en mars 2021, alors que ces opérations lancées en janvier avaient permis aux populations de retrouver leurs villages après 30 ans d’exil. Il ne sera digne d’être chef suprême des Armées que quand il aura condamné sans équivoque le Mfdc et apporté un soutien public à l’Armée nationale. La loyauté de l’Armée envers le commandant suprême doit être absolue, c’est pourquoi on ne peut se permettre aucun doute sur l’allégeance première du chef suprême des Armées.
Colonel (ER) El Hadji Momath Seynabou THIAM