Les talibés sont ce que sont les marabouts, le reflet de leur personnalité. Ils épient les moindres gestes qu’ils esquissent, leur port vestimentaire, leur façon de communiquer. Nos femmes suivent à la lettre leurs épouses qui, il faut l’avouer, sont tout sauf la réplique de la sainte Mariame, mère de Insa. Peut-être que les lunettes de soleil du Mollah en forme d’œillères l’empêchent de voir ces belles dames, ces fanatiques assises à ses côtés. Des «driankés» 2.0, à la chevelure factice, aux ongles artificiels, à la peau dépigmentée trahie par l’échancrure d’un grand boubou «khappati», qui exposent ce qu’elles ont de beau pour attirer le regard des hommes à la barbe bien entretenue et dont le bonnet est majestueusement visé sur la tête et qui, de temps à autre, leur font un clin d’œil. Le gamou de Niaga ne ressemble-t-il pas au carnaval de Bissau ? Peut-être que le déchaînement de la foule et le claquement de doigts gênent l’initiateur de cette nuit célébrée sur les bords du Lac Rose, au point que le folklore qui s’y déroule passe inaperçu. Evidem­ment, la foule fait écran. Elle fait obstacle si bien que le Mollah du prêche ne voit pas plus loin que Mollah Morgun des réseaux sociaux.

Pendant les rassemblements religieux, le livre coranique ne fait guère l’objet d’enseignement de la part de ceux qui se le sont approprié. Tout est maintenant question de mercantilisme religieux. Les marabouts 2.0 tordent les versets du Livre Saint, les dénaturent dans le seul but d’être dans les bonnes grâces des rois du temporel. Alors, pour hypnotiser leur foule, les adeptes de la fainéantise font reprendre leurs narratifs et émotions à un public complètement acquis à leur cause. C’est l’érection d’un paravent en sanctuaire pour des activités mondaines, loin du monde canonique.

L’image que les princes confrériques reflètent n’a rien de reluisant par rapport à cette belle vitrine divine que nous a léguée le dernier des Prophètes (Psl) à travers le Coran et les hadiths. Hélas ! Cet écran nouveau de l’islam que les vendeurs de rêves allument, projette de façon comique ce que nous pourrions qualifier de «feuilleton de la guerre des foules», à travers une velléité manifeste de massification qu’ils ont savamment organisée alors qu’ils n’ont pas encore assimilé les connaissances ésotériques qui devaient les affranchir autant qu’ils sont de l’ignorance bourrelle des sociétés humaines. Ce sont eux-mêmes, directeurs de conscience des jeunes chauvins de ce pays, qui se crêpent le turban par medias interposés. Un championnat confrérique, challenge du meilleur rassemblement de disciples, voit le jour dans un pays où l’apanage de la jeunesse s’est réduit en psalmodie. Et, c’est déplorable ! De mémoire de Sénégalais, on n’a jamais eu un quelconque écho faisant état de dénigrement entre les fondateurs de nos confréries, artisans de la paix des cœurs qui justifie notre commune volonté de vivre ensemble. Toute leur communication partait du Coran, avec des exemples tirés des hadiths, et revenait sur le Coran. Le nombrilisme était banni du langage de ces formateurs qui cherchaient uniquement à faire découvrir Dieu et non l’homme, individu périssable. Des interprétations avec un désintéressement inouï. Les principes de la loi coranique primaient sur tout pour ainsi dire.

Aujourd’hui, les petits-fils de Cheikh veulent faire de nous, ou du moins ont déjà fait de nous des robots déguisés en talibés, des chairs à canon, pour ne pas dire des enfants de chœur, prêts à exécuter les ordres les plus désobligeants, les plus inadmissibles. Des libertins religieux qui ont du mal à discerner la fatwa du «fataya». Nous talibés, inconscients tels des anges, nous nous constituons en foule uniquement pour assouvir leur instinct de prédateur de croyance. Nous avons affaire à un concentré d’individus immatures qui peut exploser à tout moment. La masse atteinte de fanatisme est gravement dangereuse. Elle a les mêmes humeurs du guide en bandoulière. Seule la mort et les malheurs sont l’œuvre du Bon Dieu, le bien est une prouesse de leur guide. C’est dire donc que la formation sur le plan théologique, qui devait amener les disciples à connaître Allah, laisse la place au formatage de l’homme qui en sort avec un cerveau complètement lavé. Une personne atteinte de cécité cervicale s’inféode alors à la société, avec toutes les conséquences néfastes que ses agissements peuvent engendrer.

Selon qu’il est porteur de voix ou modèle de société, les dégâts peuvent être catastrophiques si un directeur de conscience inconscient se bute. Alors donc, l’autoformation en théologie de ceux qui se sont autoproclamés chefs religieux peut s’avérer dangereuse pour une société, surtout que l’écrasante majorité de la jeunesse qui les suit aveuglément ne fait pas le distinguo entre ce qu’exige le Coran et ce que risquent d’enfanter les envolées lyriques du guide dont la finalité n’est qu’un comportement grégaire d’une foule. Et c’est pourquoi d’ailleurs l’on nous fait savoir que les foules ne mènent pas vers Dieu mais vers leur guide. Nous convoquons Gustave Le Bon dans sa psychologie des foules pour mieux comprendre ce phénomène : «Dès qu’un certain nombre d’êtres vivants sont réunis, qu’il s’agisse d’un troupeau d’animaux ou d’une foule d’hommes, ils se placent d’instinct sous l’autorité d’un chef, c’est-à-dire d’un meneur. Dans les foules humaines, le meneur joue un rôle considérable. Sa volonté est le noyau autour duquel se forment et s’identifient les opinions. La foule est un troupeau qui ne saurait se passer de maître. Le meneur a d’abord été le plus souvent un mené hypnotisé par l’idée dont il est ensuite devenu l’apôtre. Elle l’a envahi au point que tout disparaît en dehors d’elle, et que toute opinion contraire lui paraît erreur et superstition.»

Voilà donc l’explication du tableau noir qu’offre l’islam confrérique des petits-fils de Cheikh d’aujourd’hui.

Cheikh DIOUF
Professionnel de l’information documentaire