Exposition – «Retour au pays Naatal» : Kalidou Sy, artiste inconnu, pédagogue reconnu

Il fut un emblématique directeur de l’Ecole des beaux-arts de Dakar. Il fut un peintre encore plus emblématique dans l’Indiana où il s’était installé. 17 ans après la disparition de l’artiste Kalidou Sy, une quarantaine de ses œuvres sont exposées au Musée des civilisations noires dans le cadre du colloque qui lui est dédié.Par Mame Woury THIOUBOU –
Le tableau est une superposition de couches, suivant une technique prisée par l’artiste sénégalais Kalidou Sy. Et c’est le portrait qu’il fait de sa femme, Eileen Julien Sy. En retour, celle-ci évoque son mari dans les images capturées de façon spontanée par le réalisateur, Joe Gai Ramaka. It’s my man, documentaire de 65 minutes, filmé aux dernières heures d’un colloque organisé par l’université d’Indiana aux Etats-Unis, parcourt les lieux fréquentés par le peintre et sa femme. Dans le silence des rues américaines, ses amis dont le défunt directeur de la Culture de la ville de Dakar, Oumar Ndao, racontent l’artiste. 17 ans après sa mort, c’est le rêve de Kalidou Sy d’exposer à Dakar qui s’est concrétisé et deux de ses toiles entrent dans la collection du Musée des civilisations noires. De son vivant, Kalidou Sy avait nourri ce projet. Il avait même démarré la confection de caissons destinés au transport des œuvres. Mais le destin viendra contrarier ce projet. Sa veuve, Eileen Julien Sy, vient de réaliser ce rêve, les 14 et 15 octobre derniers. Deux jours durant lesquels amis et compagnons de l’ancien directeur de l’Ecole nationale des arts du Sénégal se sont réunis pour lui rendre hommage et se rappeler l’homme. Sous leurs témoignages, émergent les traits d’un homme qui a marqué son monde. «Il était très sénégalais, mais il était aussi citoyen du monde», indique sa femme, Eileen Sy. Directeur de l’Ecole nationale des beaux-arts (Enba) et de l’Ecole normale supérieure d’éducation artistique (Ensea) entre 1986 et 1996, Kalidou Sy est ce peintre qui, pourtant, ne figure sur aucun répertoire d’artistes-plasticiens sénégalais. Selon l’historien et professeur à l’université de Columbia, Mamadou Diouf, c’est seulement quand il décide d’aller s’installer aux Etats-Unis, qu’il redevient un peintre. Auparavant, c’est sa casquette de pédagogue et d’innovateur qui fait sa notoriété. «La personnalité de Kalidou Sy a vraiment touché la création contemporaine», assure le peintre Viyé Diba. Le moment où il prend les rênes de l’Ecole des Beaux-arts, est un moment charnière de l’histoire de cette institution, poursuit le peintre. Et selon le journaliste Baba Diop, ce moment correspond à celui où le Sénégal est en plein dans la période des ajustements structurels. Les budgets sont étriqués et c’est alors que naissent de nouvelles esthétiques. L’école amorce un tournant décisif et l’environnement y prend toute sa place. Les élèves sont invités à interroger le monde qui les entoure et à en sortir les outils de leurs créations artistiques. Parallèlement, la période est celle où l’école de Dakar est à la pointe des réflexions sur le travail artistique. Entre Pape Ibra Tall et Iba Ndiaye, deux courants s’affrontent passionnément. Et selon le Pr Mamadou Diouf, Kalidou Sy incarnait une 3e voie dans cette confrontation des idées. «Le débat sur l’école de Dakar fait rage et les conflits sont là. Mais Kalidou Sy ne prend pas position alors que la question centrale qui anime les débats tournent autour de l’environnement comme centralité de la recherche», souligne le Pr Diouf. Il faut dire que Kalidou Sy a joué un rôle de premier plan dans la réorientation des pratiques artistiques à l’Ecole des Beaux-arts. «Kalidou Sy insistait sur une pratique de l’art basée sur la recherche, élément central dans le process artistique», indique Joanna Grabski, historienne de l’art sénégalais et professeure à Arizona State University. Un courant qui conçoit l’œuvre d’art comme le fruit d’une exploration du monde plutôt que la découverte d’une intuition personnelle. Dans l’école, les étudiants sont donc amenés à mener des recherches et explorer les possibilités formelles de leurs matériaux, en plus de la production d’un mémoire à partir des recherches bibliographiques et de terrain.
«Man from the south» et «Yunuss»
L’homme du Sud, un autoportrait qui évoque également Djibril Diop Mambety et que l’artiste a pensé comme un hommage aux hommes de culture, Yunuss, portrait d’une sorte de Venus sénégalaise aux formes généreuses, sont les deux toiles de Kalidou Sy qui ont été cédées au Musée des civilisations noires. Pour sa veuve, Eileen Julien Sy, l’artiste avait parlé du Village des arts, mais le musée a été préféré parce que les conditions de conservation sont meilleures. A la suite du colloque qui lui a été consacré, Retour au pays Nataal a regroupé une quarantaine d’œuvres de Kalidou Sy pour une exposition dans une aile du musée. L’exposition rassemble principalement des toiles à l’acrylique et à l’argile, des œuvres de sa période «américaine». Dans cet Etat d’Indiana où il a redécouvert sa peinture, Kalidou Sy s’est appesanti sur les matériaux locaux, l’argile locale notamment. Et pour sa veuve, Eileen Sy, Kalidou Sy utilisait ce matériau comme un exercice de réflexion en maintenant et réaffirmant ses racines africaines. C’est sans doute ce qui explique son choix de recourir à des techniques proches de celles du Bogolan malien.
A travers ce colloque, organisé en sa mémoire, diverses facettes de l’artiste et enseignant sont évoquées. La chercheuse américaine, Joanna Grabski, note que le style de l’artiste tient du néo-expressionnisme abstrait. «Sa démarche, amorcée à l’Ecole des Beaux-arts, a pris son sens, mais s’est réalisée aux Usa», dit-elle. Devant ses anciens compagnons et amis, ce sont les traits d’un homme profondément humain et soucieux du devenir du continent qui ont été peints. «La beauté et la dignité dans les choses ordinaires sont la pierre angulaire de sa philosophie pédagogique», souligne l’universitaire américaine qui a donné une communication intitulée Kalidou Sy, artiste pédagogue au Centre artistique mondial de Dakar.
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