Le Centre psychiatrique Emile Badiane de Ziguinchor, créé en 1972 et fonctionnel depuis 1974, est un dispositif essentiel dans la prise en charge de certaines pathologies. Mais, il a besoin d’appui et de moyens pour offrir aux patients plus de soins.

«Accordez-moi 10 minutes que je gère les urgences», s’excuse gentiment Dr Adama Koundoul. Comme tous les jours, le psychiatre et directeur du Centre psychiatrique Emile Badiane est débordé par le travail dans cet établissement sanitaire sis à Kénia, un quartier périphérique de la commune de Ziguinchor. Encore appelé Village psychiatrique, on n’y soigne les personnes qui ont des troubles mentaux. «Nous avons 18 cabines, et dans chacune, il y a deux lits, l’un pour le patient et l’autre pour son accompagnant, soit 36 lits en tout», explique Mme Sagna, la secrétaire de l’établissement sanitaire. C’est donc l’une des particularités du centre. Ici, chaque malade est hospitalisé en compagnie de son accompagnant durant toute la durée de l’hospitalisation.

Un mini-laboratoire, une radiothérapie en panne depuis deux mois constituent presque le plateau technique de ce centre qui accueille pourtant toute la population de la Casamance naturelle, mais aussi des patients qui viennent de la Guinée Bissau, de la Guinée Conakry et de la Gambie.

Dans le centre, un endroit spécial attire l’attention du visiteur. Il s’agit de la grande case ronde appelée Bantamba, où les patients et accompagnants se retrouvent tous les mercredis pour discuter entre eux et avec l’assistant social ou faire des séances d’art de thérapie avec un artiste. L’espace, situé au milieu du centre, est vaste, ouvert et entouré de part et d’autre par des citronniers, plantes de pamplemousses, de mandarins ou simplement de jolies fleurs, le tout offrant de décor magnifique, naturel et paisible. Tout le long des couloirs, patients et accompagnants sourient et discutent le plus souvent dans leurs dialectes respectifs.

Outre la salle d’accueil, la pharmacie, le bureau des soins, les urgences, le bureau d’assistance sociale, le centre est aussi doté d’un poste de santé où se font les consultations quotidiennes, mais également les vaccinations tous les mercredis.

La cuisine située à l’extrême du centre est une œuvre de l’Anrac, lancée depuis 2017, mais toujours inachevée. «Chaque année, on relance l’Anrac, alors l’entrepreneur passe faire quelques travaux et il disparaît», se désole notre guide. En effet, appuie le directeur du centre, «on fait des rappels au directeur, il relance l’entrepreneur, ce dernier vient encore juste pour un, deux jours de travaux et disparaît».

Au poste de santé du centre, l’infirmier consulte une patiente stable qui s’intéresse aussitôt à nous à peine notre identité professionnelle déclinée. «A ma sortie d’ici, je vais faire du journalisme. D’ailleurs, nous avons un grand événement de lancement de notre télévision communale au mois de décembre», raconte fièrement F. Diallo, internée depuis deux semaines en provenance du département de Bignona. A l’en croire, elle est victime de maraboutage même si après, elle déclare : «Le médecin dit que je souffre d’un manque de repos. Moi je passe beaucoup de temps sur les réseaux sociaux, je ne dors pratiquement pas et j’étudie beaucoup. Suis étudiante en Ressources humaines et en sociologie en même temps. Je m’intéresse aussi au journalisme, la radio ou la télé», lâcha-t-elle en vrac, maintenant assise sur le lit dans sa cabine, et un peu plus confuse que lorsqu’elle était au poste de santé. Elle est internée avec sa belle-mère.

Le Centre psychiatrique Emile Badiane de Ziguinchor est spécialisé dans la prise en charge de la santé mentale des individus, mais l’établissement fait également la promotion de l’hygiène et la santé mentale de la population, particulièrement celle de la Casamance à qui il est destiné. Créé en 1972, il a commencé à fonctionner en 1974, sous le statut de village psychiatrique dirigé par un infirmier spécialisé en psychiatrie jusqu’en 1998. «Quand cet infirmier est parti à la retraite, il n’a pas été remplacé et pendant cette période-là, le centre a été fermé, les bâtiments étaient en ruine», explique l’actuel administrateur du centre. Il a fallu le naufrage du bateau Le Joola, pour que l’Etat le réhabilite pour prendre en charge les personnes impactées. «L’Etat envoyait chaque mois, un psychiatre depuis Dakar pour venir prendre en charge les rescapés et les familles des victimes. En 2006, l’Etat, par le biais de l’Anrac (Agence nationale pour la relance des activités économiques de la Casamance), a entamé la reconstruction du centre suivant ce modèle-là. Fin 2008, l’Etat a officiellement affecté un psychiatre, c’était mon prédécesseur, et depuis lors, le centre est rouvert et fonctionne jusqu’à aujourd’hui», indique Adama Koundoul. Sa structure fonctionne sous le modèle de centre psychiatrique, de façon officieuse, puisqu’officiellement, ça reste toujours un village psychiatrique aligné au même statut que les postes de santé. «Officieusement, c’est devenu un centre psychiatrique aligné au même titre que les centres de santé parce qu’aujourd’hui, c’est dirigé par des médecins, ce n’est plus dirigé par des infirmiers comme avant», explique l’administrateur qui dirige ce lieu depuis 2010 comme 2e psychiatre à côté de son prédécesseur jusqu’en fin 2013, date à laquelle il est seul à la tête du centre.

Témoignages des accompagnants
Ici les malades ont une certaine liberté. Ceux qui viennent d’arriver et qui sont en état de crise ne sortent pas du cadre hospitalier. Toutefois, ils ont cette liberté de bouger dans l’hôpital. «Quand le patient commence à être stable, on l’autorise à sortir même du cadre hospitalier accompagné par son accompagnant. Il peut sortir avec son accompagnant, avec la permission du médecin, aller en ville, faire ses achats et revenir», confie Dr Koundoul.

«Je ne respectais pas mes rendez-vous, alors j’ai rechuté. Là je me sens bien. Le personnel connaît bien son travail. Mieux, nous vivons en famille car nous avons noué d’excellentes relations avec les autres malades, leurs accompagnants et le personnel soignant», témoigne S. Sané internée depuis 12 jours en compagnie de son fils pour dépression et trouble anxieuse.

Venue accompagner son fils Ibou D., la mère loue les services rendus par le centre, lesquels lui ont permis de récupérer son fils qu’elle croyait perdre à jamais. «J’ai amené mon fils partout, depuis qu’il est malade, sans succès. J’ai gaspillé beaucoup d’argent, notamment chez les marabouts, car on nous a fait croire qu’il a été ensorcelé. C’est un de ses amis qui était complètement fou jusqu’à… qui m’a demandé d’amener mon fils ici car lui, il a été soigné dans ce centre. Mais depuis que nous sommes ici, Dieu merci, il est guéri. Mon internement avec lui m’a permis de comprendre beaucoup de choses, de connaître mieux mon fils», salue cette mère de famille, la cinquantaine révolue. Elle était en palabre avec les autres patients et leurs accompagnants dans une des cours du centre. Avec ses nouveaux amis accompagnants, la mère de Ibou plaide le renforcement des moyens du centre, mais surtout sa capacité d’accueil, vu le rôle qu’il joue au sein de la population. «Ici ce sont l’inconfort et l’insuffisance du plateau médical qui posent problème. Sinon le personnel est qualifié et très sympathique. Vivement que les autorités appuient ce centre qui redonne, au-delà de la santé, la foi, mais surtout la raison aux malades et à leurs parents», témoigne Rosine, une autre jeune dame accompagnante en provenance du département d’Oussouye.