C’est ce week-end que se tiennent à Dabia Odédji (dans le département de Matam), les 48 heures culturelles des descendants de Abdoul Bocar Kane (association Taaniraabé Abdoul Bocar). Des journées culturelles dédiées à leur aïeul qui a écrit une page de l’histoire du Fouta à travers sa résistance à la colonisation française. Mais malgré sa longue résistance aux colons français (plus de 30 ans), Abdoul Bocar Kane et son œuvre sont rangés dans les annales de l’oubliette de l’histoire du Sénégal et dans les manuels et cours d’histoire enseignés dans nos écoles.Par Demba NIANG  –

C’est à Dabia Odédji où est né en 1831, Abdoul Bocar Ali Doundou Séguélé, comme l’appellent les griots du Fouta, que les descendants du résistant anti colonial organisent les 10 et 11 décembre 2022, des journées culturelles pour commémorer leur aïeul autour du thème : «Abdoul Bocar Kane de Dabia et ses compagnons : 30 ans de résistance à la colonisation française.» Un événement qui sera marqué par la présence du ministre de la Culture et du patrimoine historique, Aliou Sow, le maire de la commune de Dabia, Yaya Abdoul Kane, et d’autres personnalités politiques, religieuses et coutumières. Durant ces deux jours, sa longue résistance aux colons français sera revisitée avec des chercheurs qui ont écrit sur le résistant Abdoul Bocar Kane. Guerrier né, Abdoul Bocar Kane doit sa longue résistance à la colonisation à son génie diplomatique et son intelligence pour mener à bien ses batailles.

Abdoul Bocar Kane entre alliances et traités pour résister
Comme Lat Dior Diop avec son refus de la construction du chemin de fer Dakar-Saint Louis, Abdoul Bocar Kane, devenu Jaagorgal Boosséya (chef du Bosséa), s’opposa à l’installation des lignes du télégraphe entre Saint-Louis et Bakel. Un moyen de communication en son temps, qui permettait aux colons d’étendre leur empire. Mais pour réussir son combat contre l’avancée des Français dans le Sénégal et dans le Fouta, avec la résignation des chefs coutumiers et religieux du Toro, du Lao et du Yirlaabé, Abdoul Bocar Kane s’allia avec d’autres résistants comme lui. Avec Samba Hawa et Bocar Sada du Boundou, Abdoul Bocar Kane a réussi à vaincre des chefs du Fouta acquis à la cause des colons français, comme l’attaque du village de Horndoldé, le 29 septembre 1890, qui a vu la mort de Siik Mamadou Mamoudou, un chef fraîchement installé par les Français. Et c’est cette attaque avait fini de jeter de l’huile sur le feu entre le Jaagorgal Booseya et le gouverneur Dodds. Mais c’est son alliance avec Alboury Ndiaye, roi du Djolof, contraint à l’exil, qui est plus populaire que toutes les autres. Malgré les relations peu amicales entre les deux, Abdoul Bocar Kane offrit au Bourba Djolof en exil, l’hospitalité, et combattit avec lui contre leurs ennemis communs, les Français. A kaédi, où il se rendait avec ses troupes pour organiser ses offensives, il s’allia avec la communauté maure pour mener sa résistance. Et c’est un membre de cette communauté, Woul Ethman, qui l’assassine le 4 août 1891, alors que les Français avaient déjà mis à disposition une rançon à toute personne qui ramènerait Abdoul Bocar Kane, mort ou vif. Avant de replonger dans une résistance sans fin contre les colons, le résistant, natif de Dabia, signa un traité avec les Français en 1885. Un traité qui a permis l’installation de poteaux télégraphiques, en contrepartie d’une meilleure rémunération des ouvriers et le versement d’une rente mensuelle. D’année en année, Abdoul Bocar Kane, devenant de plus en plus gênant, son élimination permit de parachever la conquête du Fouta, point stratégique pour l’avancée des Français vers le Mali.

Trente ans de résistance
Arès la conquête de l’ouest du Fouta, les Français se sont heurtés à Abdoul Bocar Kane dans leur avancée vers la partie Est du royaume du Fouta. Entre 1850, année de sa prise de pouvoir à la tête du Bosséa, et 1891 (année de son assassinat), Abdoul Bocar Kane a tenu tête aux Français. Il s’attaqua aux chefs du Lao et du Yirlaabé (cantons de l’ouest du Fouta) pour avoir collaboré avec les Français. A ces chefs, il envoya cet avertissement resté gravé dans les mémoires et que les griots du Fouta aiment déclamer : «Il n’y aura pas d’accord entre nous tant que vous donnez aux infidèles la permission de diviser le pays en forts. Ceux qui refusent cette permission comme nous, sont nos amis. Ceux qui sont avec les infidèles, qu’ils acceptent qu’ils sont nos ennemis.» Ailleurs, il a été l’auteur de la résistance la plus longue contre les Français. Durant ses 30 ans de résistance, Abdoul Bocar Kane s’est frotté avec 18 gouverneurs français. De 1880 à 1885, Abdoul Bocar Kane et les Français se sont livrés d’intenses batailles, des batailles qui ont conduit à une signature de traité pour l’installation de la ligne télégraphique passant par son territoire, le Bosséa (actuel département de Matam). Trahi par ses alliés maures, les derniers mots du chef pulaar sont : «Lahi laha illallah» (Il n’y a de Dieu qu’Allah en arabe). Pour avoir réussi à mener une résistance en un temps record face aux Français au Sénégal et retardé la conquête définitive du Fouta, Abdoul Bocar Kane, tant chanté par les griots, mérite une fenêtre dans l’histoire du Sénégal car aujourd’hui d’éminents chercheurs ont produit un document sur sa résistance. Ce week-end sera une occasion pour ses descendants de montrer le sens de son combat.
Correspondant