Le lecteur qui tombe sur le titre s’interroge sûrement sur le pays dont il est question dans cette chronique. Brett O’Keefe est un personnage d’une série télévisée américaine, Homeland, produite et diffusée entre 2011 et 2020 par Showtime, qui revient sur la politique extérieure et intérieure des Etats-Unis d’Amérique en matière de défense. Au centre de l’intrigue, il y a une agent de la Cia du nom de Carrie Matthison, souffrant de trouble bipolaire et servant d’une illustration du caractère plus ou moins schizophrène de la politique étrangère américaine, surtout dans le Moyen-Orient. La fiction tire sa racine d’événements précis et laisse un sacré récit sur les effets de la politique étrangère américaine sur le Moyen-Orient, son impact sur le fonctionnement intérieur des Etats-Unis et de certaines institutions, elle donne également une confrontation objective de l’agenda terroriste et de toutes les logiques insurrectionnelles qui en découlent. C’est aussi un parfait bijou cinématographique qui mérite d’être vu et revu.

La stratégie de lutte contre le terrorisme en œuvre dans toute la série finit par occasionner un retour de bâton sur le sol américain avec la présence d’ennemis domestiques dont le nommé Brett O’Keefe. O’Keefe fait son apparition dans les saisons 6 et 7 de Homeland, incarnant tous les habits des gourous du contre-discours. C’est un homme de médias, il baigne dans le populisme sans état d’âme. Il est responsable d’un groupe de communication proposant des émissions de grande écoute, des interventions en direct sur différentes plateformes et détient une armée digitale faite de faux-comptes sur les réseaux sociaux dont la mission est de cibler l’opinion publique. Son rôle est de se faire voix dissidente au concert national, en tentant de bafouer tout ce qui est sacré et surtout en prônant un renversement de l’establishment politique et sécuritaire. Cerise sur le gâteau, il est Australien et n’est pas citoyen américain.

Il se fait des affidés dans les milieux ultra-conservateurs et anti-establishment qui finissent par se décréter son armée d’auto-défense pour protéger une voix libre. Les péripéties d’un Alex Jones, fondateur du média conspirationniste «Infowars» et acteur de la Droite radicale américaine, qui avait fini d’être banni sur la plupart des réseaux sociaux et condamné à payer plus de 960 millions de dollars en compensations pour préjudice moral et diffamation aux familles de victimes du massacre en 2012 de l’école Sandy Hook, sont le corollaire réel de l’arc narratif de l’agitateur Brett O’Keefe. Alex Jones avait fait dans le négationnisme éhonté en refusant l’existence du massacre de Sandy Hook ! De la désinformation sans sourciller, tout en insultant tout ce qui bouge, au service d’un agenda politique précis… Ça rappelle bien un pays. Les scores électoraux glanés par Donald Trump grâce à la jonction destructrice de Breitbart de Steve Banon et Infowars de Alex Jones, entre autres plateformes, ont pu mettre la puce à l’oreille de beaucoup de politiciens populistes.

Qu’est-ce qui lie Brett O’Keefe au Sénégal et qu’est-ce qui en fait un pays où il aurait la liberté de prospérer ? Tout ! Les médias traditionnels laissent progressivement la place à des manufactures digitales d’informations populistes et à des propagandistes sans aucune forme de contrôle et de retenue. Nos chaînes télévisées et radios finissent même par se livrer à ce jeu en accueillant sur leurs plateaux, de pompeux chroniqueurs qui, par enchantement divin, ont leur mot sur tout. Du pétrole au fonctionnement de la Justice, en passant par les performances de l’Equipe nationale et la gestion des ressources publiques, rien n’échappe à nos juges de la bonne conscience. Les chaînes conspirationnistes se multiplient sur les différents réseaux sociaux, produisant un contenu qui, avec la force de la viralité, se transmet à une vitesse folle. Combien de fois recevons-nous sur nos téléphones du contenu des plus loufoques, mais que la majorité de la population gobe sans retenue ? Les efforts faits dans la déconstruction du faux et de la désinformation sont encore timides et la tâche est titanesque au vu des dégâts de l’heure. De plus, l’éducation à l’usage responsable du numérique se heurte à beaucoup d’obstacles dont l’analphabétisme.

Les agitateurs, communément appelés «liveurs», ont fini de s’ériger en source d’informations à laquelle le public se réfère pour des éclairages ou de l’information en profondeur sur des sujets-clés. Ils peuvent être à des milliers de kilomètres, raconter tout le bordel qui sort de leurs esprits, le public acquiescera juste parce que c’est un contre-discours fait dans une logique de défiance. Allons-nous faire le choix de laisser s’affaisser tout un édifice national que des années d’efforts et de sacrifices pour la cohésion ont permis de bâtir ? La formule des troubadours de cette ère du numérique est connue : attaquer les mécanismes d’information de l’ancien monde en jetant le discrédit sur eux, proposer une façon nouvelle de consommer l’information et être les acteurs de cette offre, prôner un discours faussement savant pour prétendre révéler ce qu’on cache à la masse, se faire épauler par tout un dispositif de portage bien huilé sur les plateformes numériques. Alex Jones et Brett O’Keefe ont juste donné un plan de jeu, leur stratégie est pleinement exécutée sous nos cieux pour servir divers agendas dans la plus grande indifférence. Ce n’est pas pour rien que le Département d’Etat américain a alerté le 4 novembre dernier, sur l’envergure de la propagande dans tout le continent africain, sous couvert d’activisme de panafricanistes bien loquaces sur les réseaux sociaux. Prions que nos pouvoirs publics dans une démarche schizophrène, comme celle de la politique étrangère dépeinte dans Homeland, se soucient à sa juste valeur du danger des armées de minions qui ont fini de conquérir toute notre sphère numérique et l’espace politico-médiatique.

Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn