«Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs», Article 27 de la Constitution sénégalaise

Depuis l’élection présidentielle de 2019, se pose, au Sénégal, un débat récurrent sur l’éventuelle candidature du Président actuel à l’élection présidentielle de 2024. Ce débat n’aurait jamais dû avoir lieu, car le Président ayant affirmé solennellement à maintes reprises que son mandat actuel est son second et dernier, et l’a écrit dans son livre Au cœur du Sénégal. En outre, la Constitution a déjà tranché la question, en disposant à l’alinéa 2 de son article 27 : «Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs.» Un mandat de sept ans et un autre de cinq ans font deux mandats consécutifs dans le cas du Président actuel. Les termes de la Constitution sont très clairs et ne sauraient souffrir d’équivoque. Juridiquement et moralement, le Président actuel n’a pas le droit de se représenter en 2024. Le ni-ni est par conséquent injustifié, de même que les arguments juridiques fallacieux qui l’autoriseraient à se représenter en 2024.
Le Sénégal possède des institutions solides et qui fonctionnent relativement bien. Dans ce cas, qu’est-ce qui justifierait qu’une personne se croit indispensable au point de se dire que l’Etat ne fonctionnerait pas sans elle ? Rien.
Le Sénégal doit continuer d’être à l’avant-garde de la démocratie. S’il ne peut faire plus, il ne doit pas faire moins. Il ne doit pas suivre l’exemple de la Côte d’Ivoire ou de la Guinée ; cette dernière a subi un coup d’Etat. Il doit, au contraire, être un des phares de la démocratie en Afrique. Si Macky Sall se présente à un troisième mandat, cela entraînera une instabilité du pays. S’il gagne, il n’aura pas la légitimité de diriger, et la légitimité est aussi importante que la légalité. S’il perd, il aura la honte de la défaite et le rappel odieux de ses paroles d’alors.
Trop souvent, j’ai l’impression que le Sénégal est en train de dégringoler dans l’échelle démocratique. Il y a eu, dernièrement, trop d’affaires qui donnent l’impression que la Justice est instrumentalisée ou que des histoires sont inventées de toutes pièces. Il y a eu trop de morts suspectes jamais élucidées et sans volonté manifeste étatique qu’elles soient élucidées (Mancabou, Sambou…). Il y a eu trop et souvent une utilisation injuste de la force, comme la barricade de la Cité Keur Gorgui lorsque Sonko doit comparaître devant la Justice. Il y a eu trop d’histoires qui semblent avoir été créées de toutes pièces. Le Sénégal de 2023 ressemble à ces mots de Victor Hugo : «Police partout, Justice nulle part.»
Pour revenir à la candidature de Macky Sall, cela nous amènera à des années en arrière avec Abdoulaye Wade. Sa décision d’alors de se présenter à un troisième mandat a terni son héritage : aurait-il décidé de se retirer et d’organiser des élections transparentes, il figurerait parmi les grands présidents africains. C’est la même chose qui arriverait au Président actuel : s’il décide de se présenter en 2024, il verra sa réputation ternie.
Ce n’est pas seulement au pouvoir qu’on peut faire des choses, les présidents africains ont besoin de savoir que le pouvoir est un mandat du Peuple, et ce mandat n’est pas éternel. Cela pose le problème de la classe politique : être politicien n’est pas un métier. Si on regarde les leaders politiques sénégalais, peu d’entre eux ont un métier connu. La plupart pérorent dans les médias à longueur de journées. Pourquoi les sociétés étatiques doivent-elles être dirigées par des politiciens ? Une autre conséquence de ce questionnement est la grande place qu’occupe la classe politique. Cette place doit être diminuée, «réduite à sa plus simple expression», parce qu’aujourd’hui les politiciens sont devenus une nomenklatura, qui n’ont à cœur que leurs intérêts, qui n’ont aucune conviction, aucun principe, qui renieront leurs dires d’hier pour justifier leur ralliement d’aujourd’hui.
Quand je lis les médias sénégalais, j’observe encore plus la grande place qu’occupe la politique dans notre pays. Un pays ne se développera pas par la politique ; un pays se développe par l’éducation, la science, la technologie, l’entrepreneuriat, la culture. Les médias devraient plus évoquer ces sujets et moins des sujets politiques.
On doit penser à la place qu’on laisse dans l’histoire. Beaucoup de leaders qui auraient pu avoir droit à un mandat supplémentaire se sont abstenus de le faire : c’est Washington qui a décidé de se retirer après deux mandats, c’est Mandela qui décida de ne pas briguer un deuxième mandat. Cette décision de ces leaders leur a valu une place de choix dans la postérité, un respect de leurs compatriotes et du monde entier. Ils avaient compris que nul n’est indispensable : l’Etat continuera de fonctionner parce qu’il est une continuité.
Même si l’Etat ne fonctionnait plus, cela serait un échec pour un leader dont l’une des responsabilités fondamentales est de préparer sa succession. Cela revient à former des personnes capables de continuer l’œuvre qu’est la construction d’un Etat. Une génération accomplit sa part, puis une autre la continue : cet héritage est perpétué parce que chaque génération voulant faire plus que la précédente. C’est cela qui a permis la construction et le développement des grandes nations. C’est cet esprit qui doit nous animer collectivement, nous les Sénégalais.
La question du troisième mandat est un débat inutile parce que non nécessaire. Le Président actuel ou n’importe quelle personne n’est indispensable. L’Etat est au-dessus de nos personnes et il est un patrimoine commun à la Nation. Aussi serait-il opportun de mettre fin à ce débat et de travailler pour le développement du Sénégal. Le Sénégal est plus grand que n’importe quel Sénégalais, le Sénégal est plus grand que n’importe quel politicien.
J’ai toujours cru que le Sénégal n’est pas à sa place ; il doit dépasser son stade actuel. Le Sénégal ne doit plus demander de l’aide, il doit en dispenser. Le Sénégal doit dépasser le stade où l’on pérore si le Président peut se présenter à un troisième mandat, il doit le régler définitivement et passer à autre chose ; il suffit qu’il déclare, conformément à ses paroles d’hier, qu’il en est à son dernier mandat et qu’il organisera des élections libres, inclusives et transparentes.
La construction d’un Sénégal prospère, qui donne la chance à toutes les Sénégalaises et tous les Sénégalais de s’épanouir, est l’urgence aujourd’hui. Aussi Monsieur le Président, mettez fin à ce débat, pensez à la trace que vous laisserez à la postérité, à l’émulation que vous ferez. A défaut, vous pourriez gagner et vous n’aurez pas la légitimité -on vous rappellera toujours vos déclarations antérieures- ou vous pourriez perdre, et ce serait un déshonneur, la parole donnée est sacrée pour une autorité. Cet intérêt du Sénégal, qu’il continue d’être un exemple, justifie que vous ne vous présentiez pas à l’élection présidentielle de 2024 et que vous organisiez des élections libres et transparentes. Vous sortirez par la grande porte et vous mériteriez de figurer au panthéon des grands de ce pays. Le Sénégal le mérite, eu égard à tout ce qu’il vous a donné.
Moussa SYLLA