La condamnation de Ousmane Sonko n’a pas été suivie de l’emprisonnement du leader de Pastef dont les partisans ont continué, en marge des troubles d’hier, d’appeler à la fin du blocus devant son domicile et à sa relaxe. Le ministre de la Justice a bien voulu indiquer, pour Le Quotidien, ce que pourrait être la suite des évènements.Ousmane Sonko avait été attrait en Justice pour des incriminations de viols et menaces de mort. Comment analyser qu’il ait été condamné pour des faits de corruption de la jeunesse ?

C’est une démarche classique du juge de pouvoir qualifier, disqualifier et requalifier les infractions. Tous ceux qui sont habitués à l’exercice judiciaire et à la jurisprudence savent que le juge peut être saisi pour une infraction et lorsqu’il écoute tous les protagonistes lors de l’instruction, le juge peut se rendre compte que l’infraction peut faire l’objet d’une disqualification.

Mais la défense de M. Sonko estime que cette incrimination n’avait pas été retenue dans l’ordonnance de renvoi, et donc, que le juge n’aurait pas dû en tenir compte.

L’ordonnance de renvoi peut ne pas viser toutes les infractions susceptibles d’être retenues dans une affaire. L’ordonnance de renvoi, excusez la répétition, renvoie pour une ou deux ou trois infractions. Mais s’il s’avère qu’au cours de l’instruction, du jugement ou de l’audience, le juge se rend compte qu’il y a des éléments qui invalident les infractions qui ont été visées et qui valident d’autres infractions, du fait de son pouvoir discrétionnaire, il peut les requalifier. Donc, ici, le juge a considéré qu’il a été saisi pour viols et menaces de mort, mais que les conditions d’exécution d’un viol n’étaient pas réunies. A partir de ce moment, le juge disqualifie et dit, «d’après mon intime conviction, il n’y a pas eu viol, mais il y a bien eu une autre infraction voisine du viol, qui n’est pas viol, et qui est expressément visée par le Code pénal, et que moi, juge pénal, je retiens». On ne peut pas l’enfermer en disant, «vous ne pouvez pas retenir une autre infraction parce que vous n’avez pas été saisi pour cela». Non, le juge est libre, il a le pouvoir d’appréciation générale du fait de son impérium et de son pouvoir juridictionnel. Et c’est ce qu’il a fait.

Et je pense que le minimum à faire serait de rendre hommage au juge. Il aurait pu s’enfermer dans le viol et déclarer qu’il y a viol. Non, le juge a considéré, dans son intime conviction, qu’il n’y a pas eu viol, mais il y a eu une autre infraction ; d’où la corruption de la jeunesse, qui est prévue par le Code pénal. C’est donc, à la limite, une démarche classique.

Maintenant, on comprend que les avocats mobilisent parfois des arguties pour défendre leur client. Mais c’est une démarche classique.

Mais quelque part ici, ne peut-on parler de camouflet pour le ministère public, d’autant plus que le juge a choisi la peine la plus légère qu’il pouvait donner dans ce cas, à savoir 2 ans de prison ?
Ce qui intéresse le ministère public, ce n’est pas que la personne soit punie, que la personne fasse l’objet d’une lourde peine. Le ministère public cherche simplement à protéger la société contre un trouble. Et lorsqu’il attire l’attention du juge sur ce trouble, il appartient souverainement au juge d’apprécier la sanction qui est à la hauteur du trouble. C’est pourquoi le ministère public dit : «Les éléments que nous avons nous font croire qu’il y a un viol, mais si vous considérez qu’il n’y a pas de viol, nous vous proposons que ce fait social punissable, ou du moins ce comportement qui ne nous paraît pas conforme à l’orthodoxie de la loi pénale, soit sanctionné, et vous proposons de retenir la corruption de la jeunesse.» C’est faire montre de nuance et ne pas s’attacher dogmatiquement à une infraction.

La peine a été prononcée, mais le juge n’a pas délivré de mandat d’arrêt. Quelle pourrait alors être la suite pour Ousmane Sonko ?
Il y a une condamnation pénale qui a été prononcée par le juge de la Chambre criminelle. Cette condamnation a été prononcée dans une situation de contumace, car l’accusé ne s’est pas présenté au procès. Et lorsque l’accusé ne s’est pas présenté à l’audience, cela veut dire que la condamnation peut être exécutée selon l’appréciation des autorités judiciaires, notamment du Parquet, à tout moment. Ensuite, le contumax n’a pas droit à l’Appel, sauf s’il se constitue prisonnier et demande à être rejugé par la même juridiction. C’est une opposition, et non un Appel.

Donc, peut-on estimer que Ousmane Sonko, comme le disent ses avocats, peut être traîné en prison à un moment ou à un autre ?
Il y a une condamnation pénale, et elle a vocation à être exécutée. Et selon l’appréciation des autorités judiciaires, en l’occurrence le Parquet, cette condamnation judiciaire peut faire l’objet d’application à tout moment, selon le bon vouloir du Parquet.

Nous avons vu des partisans de Ousmane Sonko appeler les gens à sortir dans la rue et manifester, dans le but d’infléchir la décision de la Justice. Y’aurait-il une chance que la Justice revienne sur sa décision ?
D’abord, je constate que c’est un énième appel à l’insurrection, et le Peuple sénégalais n’a pas l’habitude de répondre massivement aux appels à l’insurrection. Nous sommes une démocratie mûre, il n’y a jamais eu ici de changement anticonstitutionnel, ni de coup d’Etat, ni de guerre civile, Dieu merci. Le Peuple sénégalais n’est pas un peuple insurrectionnel et en tant que tel, les projets insurrectionnels n’ont pas de chance de prospérer. Cela dit, une décision de Justice a vocation à être exécutoire, à être appliquée. Maintenant, s’il y a des contestations, il y a des voies de Droit pour le faire. Et ici, les voies de Droit pour la contester sont, pour les personnes qui étaient présentes, en l’occurrence la propriétaire du salon, c’est de faire Appel, puisqu’elle était présente. Et elle peut, après l’Appel, faire un pourvoi en Cassation. Mais Ousmane Sonko, qui n’était pas présent, ne peut faire Appel. En revanche, il peut se constituer prisonnier, faire opposition et se faire juger par la même chambre juridictionnelle, ou même par le même Tribunal, avec une composition différente. Mais la décision judiciaire est revêtue de l’autorité de la chose jugée, et ne peut être contestée que par des voies de Droit.

Donc, pour vous, les troubles que nous voyons en ville ne sont pas susceptibles de pousser l’Etat à revenir sur les décisions du juge.
Je ne comprendrais pas qu’un Etat puisse, sous la pression, invalider ses propres décisions de Justice. Encore que l’Etat n’a pas les moyens d’invalider une décision de Justice. Une décision est rendue par un juge de Première instance et ne peut être remise en cause que par un juge d’Appel. Une décision de juge d’appel ne peut être remise en cause que par un juge de Cassation. Et je ne vois pas par quelle magie juridique ou judiciaire, anéantir ses propres décisions de Justice.
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