Depuis 31 ans, je réfléchis aux conditions qui t’ont amenée, toi, sans doute une toute jeune femme, à déposer ton enfant de quelques semaines dans l’enceinte de l’école Hermann Gmeiner, à quelques mètres du Village SOS de Kaolack.
Dans le petit livre que j’ai rédigé, je t’ai prénommée Ndeye car j’ignorais tout de ton identité.

En janvier 1992, celui que je baptiserai Gilles s’est vu soudainement privé de tout lien avec toi. Et pourtant, tu aimais cet enfant, j’en suis absolument persuadée. Tu l’avais nourri avant de le laisser, tu l’avais posé sur un drap, tu avais veillé à ce qu’il soit propre et tu lui avais prévu des vêtements de rechange.
Mais lui, à la minute 1, il vivait dans le confort rassurant de ta présence, de ton odeur, de ta voix, des battements de ton cœur, de ton lait nourricier et à la minute 2, tout cela lui a été soudainement enlevé. Ensuite, des adultes ont pris toutes les décisions qu’ils pensaient être les meilleures pour ce bébé. La police l’a confié au Village, deux ou trois jours plus tard, il a été transféré à la Pouponnière de Dakar et quelques mois après, je suis venue l’enlever à sa vie de bébé à la pouponnière et je l’ai fait voyager vers Bruxelles.

Tous les adultes ont fait ce qu’ils pouvaient pour protéger cet enfant, à commencer par toi, sa mère qui ne pouvait pas le garder. Cependant malgré les efforts de tous, c’est ce bébé qui a vécu tous ces bouleversements, c’est lui qui a été brutalement privé de tous ses repères.

Je ne peux ni ne veux reprocher la moindre chose à qui que ce soit, bien au contraire. Seules deux personnes ont vécu une tragédie ce jour-là : l’enfant et sa mère biologique.

Ce bébé de quelques jours a été, à ce moment précis de son existence, exclusivement une victime et, en raison de son âge, complètement passif. Il allait devoir grandir et se construire avec ce trou béant dans la connaissance de l’identité de ses parents, des conditions de sa naissance et des raisons de son abandon.

Il a toujours su que je n’étais pas sa mère biologique.
J’ai écrit un petit livre pour expliquer ma démarche et ma recherche. Depuis que ce petit ouvrage a été imprimé, je l’ai transmis à un maximum de personnes et certains l’ont transmis à bien d’autres, à un point tel qu’en quelques jours, il est apparu sur plusieurs réseaux sociaux.

Parce qu’il fallait bien commencer mes recherches quelque part, j’ai choisi la ville de son abandon et je me suis rendue à Kaolack où j’ai reçu un accueil plus que bienveillant. Mes nouveaux interlocuteurs ont immédiatement tenu à relayer ma demande sur les ondes locales.

Depuis les démarches administratives d’adoption en 1992, j’avais certaines informations mais elles étaient bien minces et ne me permettaient pas de penser que j’aurais un jour la chance de lancer une recherche pour retrouver la mère biologique de mon fils.

A l’époque, j’étais persuadée qu’il avait été abandonné le jour de sa naissance parce que les documents officiels mentionnaient comme date de naissance, la date à laquelle il avait été déposé. Or, ce n’était pas le cas. Il avait en fait entre deux et six semaines, selon ce que l’on m’a appris il y a 3 ou 4 ans. Cette information changeait tout. Il avait donc partagé la vie de quelques personnes et certaines s’en souviennent peut-être.

Ignorer tout de sa conception, de sa naissance et des raisons de son abandon reste une difficulté quasi insurmontable et quoi que j’ai pu faire pour le rassurer, lui permettre de grandir en confiance, cette question demeure : «Que s’est-il passé, pourquoi ai-je été considéré comme seulement bon à être abandonné ?»
Souvent, alors que Gilles était encore très jeune, je lui avais dit que retrouver sa mère biologique ne serait pas simple mais que s’il le souhaitait, je pourrais tenter des démarches. Il n’était pas demandeur à l’époque. Ce sont des questions qui évoluent avec le temps et l’âge de l’enfant. Petit, il vivait sa vie d’enfant sans problème, il était très souriant, toujours de bonne humeur et son sort ne lui posait pas de question. Puis il a grandi, il a vieilli et il est en âge d’être lui-même père et la question de ses origines vient inévitablement réveiller des inquiétudes et un besoin de comprendre.

Il ne juge pas, il ne critique pas, il souhaite seulement savoir. Je suis sa mère et j’ai l’obligation morale de tout mettre en œuvre pour qu’il puisse recevoir ses réponses et passer aux prochaines étapes de sa vie, plus serein, débarrassé de ces incertitudes et de ces interrogations.

C’est là, Ndeye, que je m’adresse à toi pour que tu remplisses ta part de responsabilité dans les réponses qui doivent lui être apportées. Je suis une femme, j’ai été très jeune et je sais que résister à certaines situations peut être très difficile. Tu n’étais pas seule dans la conception de cet enfant, un homme aussi est intervenu et a peut-être préféré ne pas assumer sa part dans la venue de ce bébé. Ce sont les femmes qui sont à la fois les victimes du géniteur, parfois de leurs propres parents qui peuvent obliger la jeune maman à se séparer de cet enfant, preuve vivante de cette «faute» qui a jeté le déshonneur sur la famille. Cela se produit depuis toujours et partout dans le monde.

Je ne porte pas de jugement sur ce qui s’est passé et qui a amené cette grossesse. Il est trop facile de juger sans savoir et inutile après tout ce temps de se permettre de juger une situation ancienne.

Abandonner un enfant n’est pas un délit, c’est le mettre en danger ou le tuer qui est punissable.

Dans cette situation, celui qui n’a aucune responsabilité et à qui on n’a jamais demandé d’opinion, c’est bien le bébé qu’il était. Plus de trente ans après, Ndeye, je te demande avec insistance de sortir de ta réserve et de lui apporter les réponses à ces questions.

Je pense que tu en as l’obligation morale. Si je ne considère pas qu’il y a culpabilité de ta part, tu es et restes celle qui l’a mis au monde et même si tu as fait le maximum pour lui garantir une enfance dans les meilleures conditions et tu as dû en souffrir énormément, tu es la seule personne qui peut lui donner des informations sur sa filiation.

Selon ce que j’ai appris, il semble que tu aurais laissé un petit papier avec une affirmation «Son père est méchant, je ne peux pas le garder.» Peut-être, mais je n’ai jamais vu ce bout de papier et je ne peux donc pas le confirmer. Et Dieu sait où se trouve actuellement ce petit document… J’ai aussi appris qu’il y avait ton nom et celui de l’enfant.

J’ai eu connaissance très récemment de ton identité et je ne la communiquerai pas pour protéger la femme que tu es aujourd’hui.

Gilles n’a pas l’intention d’intervenir dans ta vie actuelle. Tu n’as peut-être jamais parlé de cette mésaventure à ton futur mari, à tes enfants et il ne veut pas te perturber ni venir déranger ton existence actuelle. Il n’est pas question de détruire ce que tu as pu construire après cette séparation. Mais il n’en reste pas moins que tu es sa mère biologique et la seule personne à pouvoir lui donner des réponses.

Pour moi, l’essentiel est que vous puissiez tous les deux vous rencontrer au moins une fois et partager vos itinéraires. Après ces retrouvailles, vous déciderez chacun de ce que vous voudrez faire de cette relation. Cela vous appartiendra à vous seuls.

Je te garantis l’anonymat et le respect de ta vie actuelle. Il n’y aura aucune médiatisation de vos retrouvailles, Gilles ne le souhaite pas et je suppose que tu n’en veux pas non plus. Ce sera respecté.

Il te ressemble peut-être, à toi ou à son père ou peut-être à d’autres personnes de ta famille.

Tu as mis cet enfant au monde, j’ai eu le privilège de le voir grandir. Nous en sommes chacune à notre façon la mère et nous avons des obligations à son égard. La mienne est de te chercher, la tienne est de lui répondre.
Je connais la date de l’abandon, je suppose que tu t’en souviens également. Ton nom de famille figurait sur deux documents mais ce n’était pas officiel. Les informations que j’ai obtenues à Kaolack confirment ce que j’avais pris pour une éventualité.

Même si cette démarche te demande un énorme effort, je te demande de répondre à la demande de notre fils et de lui permettre de fermer cette boîte de questions sans réponse.

Il n’était pas nouveau-né au moment où il a été déposé à l’école. Il a donc été vu, peut-être baptisé, en tout cas nourri, changé, bercé, vu par sa famille ou par des voisins.

Je demande à toutes les personnes qui s’en souviennent de se manifester pour que mon fils puisse retrouver celle qui lui a donné la vie et dont il ne connaît quasi rien.

MERCI à tous ceux qui lui permettront d’atteindre ce but. Il y va de son équilibre personnel et de sa confiance en lui. Il en a besoin et il y a droit. C’est fondamental pour tous. Que ceux qui ont peut-être convaincu cette jeune maman de se séparer de cet enfant sachent que 31 ans sont passés, qu’il ne s’agit plus de juger de situations d’une époque parfois révolue mais seulement de donner à un enfant une part de son identité. J’ai eu connaissance du nom de sa mère. Il a été tellement choqué de l’entendre qu’après cinq minutes, il m’a dit «Maman, tu peux me répéter son nom ?» A 31 ans, il apprenait ce nom et il n’avait pas pu le retenir tant son émotion était intense.

Nous les adultes avons des responsabilités vis-à-vis de nos enfants. Respectons-les pour leur permettre un épanouissement libéré de questions qu’ils ne devraient jamais se poser. La vie n’est pas parfaite, des événements interviennent, mais si nous le pouvons, nous avons l’obligation de répondre aux attentes de ces enfants qui n’ont rien demandé, qui ont été ballottés «pour leur bien» sans doute, mais pour qui il reste des questions.

Ce petit livre est disponible au format .pdf à l’adresse mail : francoise4992@gmail.com. Je l’enverrai à tous ceux qui me le demanderont.
MERCI !
Françoise L.
francoise4992@gmail.com