Vingt ans après la fin du conflit, les crimes perpétrés et les actes de barbarie sont inscrits dans la mémoire collective. Le processus de réconciliation et la traduction devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone ont certes combattu l’impunité, mais les victimes de la guerre, les blessés et amputés vivent difficilement dans une société où les promesses qui avaient été faites n’ont pas été tenues.

A chaque carrefour, chaque rond-point de la Sierra Leone, des affiches de candidats annoncent que le pays baigne dans une campagne électorale. Face au Président sortant, Julius Mada Bio, l’opposition est en ordre de bataille. La tension est certes vive, mais l’optimisme également. Depuis la fin de la guerre, le pays a connu plusieurs élections démocratiques. Les ravages de la guerre, les atrocités commises de part et d’autre, entre rebelles du Ruf, Kamajors et forces gouvernementales, sont relégués au passé. Mais pour en arriver là, il a fallu passer par un processus de pardon et de réconciliation, mais aussi par le jugement des principaux responsables par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, mis en place par l’Onu. Situé au cœur de Freetown, le tribunal est aujourd’hui un lieu de mémoire de la guerre civile. En attestent le Musée de la Paix, qui documente cet épisode douloureux, et le Mémorial Garden qui porte sur ses murs, les noms de quelques-uns des milliers de personnes qui ont perdu la vie durant le conflit. Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone est la première juridiction spéciale après Nuremberg. Et pour la première fois aussi, un Président en exercice, le Libérien Charles Taylor, pour sa proximité avec les rebelles du Ruf qu’il a armés et soutenus, a été jugé.

Au terme de ce processus, le Tribunal spécial a jugé certains des chefs de guerre. Mais pas tous. Certains sont morts avant ou pendant leur jugement, comme le chef rebelle Foday Sankoh et son lieutenant Sam Bockarie, tandis que d’autres sont arrivés à se fondre dans la nature. «Il n’y a pas eu beaucoup de gens qui ont été jugés coupables, mais le message est passé», estime James Kamara, avocat auprès de la Cour spéciale. Le directeur du musée est de cet avis. Selon Patrick Fatoma, «le tribunal a envoyé un message aux autres pays. Même quand vous êtes Président, vous devez rendre compte». Au total, le tribunal a condamné treize personnes. Et aujourd’hui, cette expérience a contribué à rendre plus résilients la Justice et le modèle de gouvernance du pays. En effet, le système qui a permis durant le procès de protéger les témoins, est utilisé aussi par l’Agence de lutte contre la corruption. `

Des promesses non tenues
Si la Sierra Leone a bien négocié le processus de réconciliation, aujourd’hui, le pays semble avoir oublié une partie des victimes. Ceux qu’on appelle les amputés et les blessés de guerre vivent en communauté dans des cités construites par le Norvegian Refugiee Council. Mais derrière les murs de ces maisons, ce sont des voix remplies de colère et de frustration qui résonnent. Ces communautés, qui reçoivent pour la première fois la visite de journalistes, ne peuvent s’empêcher d’exprimer leur colère face aux promesses non tenues par les autorités. A Kumrabai où le processus de paix a démarré, comme à Grafton ou Kenema, le constat est le même. Les victimes sont laissées à elles-mêmes. La voix triste, Lamine raconte que faute de moyens, ses enfants ont abandonné l’école. Vivant de mendicité pour la plupart, ils sont même obligés de se débrouiller pour avoir des béquilles. «S’il vous plait, on a besoin de nourriture, d’envoyer nos enfants à l’école. Nous souffrons vraiment», lance avec désespoir Seibatu Kallon, une victime amputée. Jeremy a aujourd’hui 4 enfants. Mais sa situation n’est guère meilleure. Ces enfants, qui fréquentent l’école du camp, ne disposent pas d’uniformes contrairement aux autres enfants du pays, leurs parents étant incapables de payer, explique Dominique, amputé de ses doigts et qui dirige le Camp de la Paix. Si la Sierra Leone a retrouvé la paix, les rancœurs liées à la guerre sont encore perceptibles. Et malgré le pardon, l’oubli reste difficile.