Après la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, c’est toute la carte sécuritaire de l’Afrique qui est à redessiner. Le Tchad, le Cameroun, le Niger le Nigeria, le Burkina et le Mali sont secoués par des attaques terroristes, qui menacent d’autres Etats côtiers comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, le Togo. Avec le départ de la Minusma prévu en décembre, la situation risque de s’aggraver si l’Afrique ne réussit pas à mettre en place son propre modèle de préservation de la paix. Le Cheds, qui fête depuis jeudi ses 10 ans, est une réponse stratégique aux changements dans la sous-région.Par Pape Moussa DIALLO –

La chute du régime de Kadhafi en 2011, a exposé plusieurs pays africains, notamment du Sahel et le bassin du lac Tchad, à l’insécurité. C’est un cordon de sécurité qui a cédé. Dans sa chute, des bandes armées, notamment des mouvements djihadistes, ont envahi le Sahel. Lourdement armés et organisés, ces terroristes prennent le pouvoir sur une bonne partie de la bande sahélo-saharienne. La situation dans le bassin du lac Tchad et dans le Sahel est préoccupante et nécessite la mobilisation de toutes les forces vives pour faire face à ces groupes armés qui, de jour en jour, deviennent surarmés et méthodiques. Le Mali, le Niger et le Burkina sont au bord de la rupture à cause des assauts meurtriers des djihadistes. Les appareils sécuritaires sont à terre. Et les armées ont pris le pouvoir à Bamako et à Ouagadougou. «Ce qui se passe aujourd’hui dans le Sahel est l’une des résultantes du bombardement de la Libye. Les Occidentaux ne nous ont pas écoutés. Mieux, ils n’ont pas écouté nos chefs d’Etat», assure Cheikh Tidiane Gadio, fondateur de l’Institut panafricain de stratégies. L’ancien ministre des Affaires étrangères avait répété cette vérité lors d’une rencontre internationale, tenue au mois de mai, sur «les défis politiques, capacitaires et opérationnels de la mise en place d’une force de paix africaine sous mandat onusien». La création de son institut en 2012, a coïncidé avec l’envahissement du Mali par des bandes terroristes, finalement éconduites par une intervention militaire française. Il dit : «Nous avons très tôt alerté et dit que l’Afrique devrait se rendre compte de la multiplication des menaces et dangers qui guettent le continent.»

Madaour Sylla, juriste et chercheur en études et pratiques des relations internationales, lie cette situation à des facteurs endogènes et exogènes. Pour le premier point, il évoque le «manque» de volonté politique de certains Etats. Ceux du Sahel font partie des Etats les plus pauvres du monde. «Ils ont d’autres priorités d’ordre existentiel, avant même de faire face à la question sécuritaire qui demande beaucoup de moyens et d’outils techniques», explique-t-il.
Pour le deuxième aspect de la question, le juriste s’appesantit sur l’appui des partenaires techniques et financiers pour faire face à la menace. «Il y a une intervention à géométrie variable de la part des Nations unies qui semblent accorder plus d’importance à ce qui se passe en Ukraine que la situation sécuritaire dans le Sahel», dit-il. Et il ose une comparaison : «Si la guerre en Ukraine est plus importante que la situation sécuritaire dans le Sahel ? Le comportement des Nations unies sur la situation sécuritaire au Sahel n’est pas du goût des acteurs et leaders africains.»

Cheikh Tidiane Gadio embouche la même trompette : «Quand le G5 Sahel a demandé 400 millions de dollars, on le lui a refusé. Les partenaires, au premier chef desquels les Nations unies, avaient promis une contribution de 60 millions de dollars au G5 Sahel, avec des conditionnalités à l’appui. Aujourd’hui, l’Ukraine a reçu 67 milliards de dollars.»

Pour M. Gadio, le destin de l’Afrique est en jeu. «Aucun pays africain n’a les moyens de bâtir une armée qui lui permette de gérer cette situation», assure M. Gadio. Que faire ? Selon lui, il est nécessaire de bâtir des convergences, de mutualiser les forces et d’ériger des bases militaires un peu partout en Afrique. «Quand les Etats-Unis ont une coalition de plus de 60 pays pour lutter contre le terrorisme, en Afrique, on voit des Etats qui parlent de stratégie nationale de lutte contre le terrorisme. C’est dire qu’on n’a encore rien compris», se désole-t-il. Pourtant, il y a la Force africaine en attente créée par l’Union africaine, qui est en théorie opérationnelle depuis 2016. «Il faut arrêter l’attente et passer à l’action. Il n’y a rien à attendre. Les terroristes foncent droit sur nous. Ils sont là», alerte-t-il. De manière plus concrète, il propose aux Etats africains d’aller vers la création d’une force continentale pour faire face aux terroristes et mettre fin à leur funeste projet. Si certains leaders africains parlent toujours de menace sécuritaire dans le Sahel, Cheikh Tidiane Gadio tempête : «On a dépassé le stade de menace.» Pour étayer son propos, il explique que les bandes armées sont «partout en Afrique. Dans le Nord, au Centre, dans le Golfe de Guinée, le Sahel, et ambitionnent de conquérir la façade maritime».

Les forces occultes, qui prennent d’assaut le Sahel, ont un «agenda très clair», renseigne Cheikh Tidiane Gadio. Ils (les terroristes) auraient en ligne de mire, les forêts africaines, les ressources hydriques, les ressources naturelles, minières et gazières, etc. Tenant compte de la gravité de la situation qui prévaut dans le Sahel mais aussi dans le bassin du lac Tchad, la posture et le comportement de l’Union africaine et même de la Cedeao en contrarient plus d’un. «L’inertie» de ces organisations continentale et régionale suscite beaucoup de commentaires au regard de la situation sécuritaire délétère en Afrique. «Lorsqu’on veut être ensemble et forts ensemble, il faut être fort individuellement», rappelle Madaour Sylla. «On sait tous que l’Union africaine n’a pas les moyens de sa politique», ajoute-t-il.

Par rapport à cette Force en attente de l’Union africaine, Ladislas Nze Bekale, chef de l’Unité de gestion des installations à la Direction des opérations au niveau de la Commission de l’Ua, explique que le Conseil de paix et de sécurité de l’Ua est ouvert à la Société civile pour avoir un dialogue constructif qui puisse aider à faire avancer les choses. Sur le Fonds de la paix opérationnel depuis 2017, il estime qu’il «va atteindre les 400 milliards de dollars de contribution cette année». «Pourquoi depuis plus de 10 ans, on n’arrive pas à tenir un sommet de l’Union africaine sur le terrorisme», s’interroge Cheikh T. Gadio. En plus d’avoir proposé l’institution d’une force panafricaine, il révèle que le défunt Président tchadien, Idriss Déby, allait surprendre beaucoup de gens. Comment ? «Il était prêt à démissionner de son poste de Président du Tchad pour diriger la force panafricaine», révèle M. Gadio. Il rappelle que Déby, tué au front, était surnommé «le verrou du Sahel».

Face à l’enlisement des mécanismes de paix et à la crise de consentement qui affecte les missions déployées sur le continent africain, le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a reconnu, lors de son intervention du 18 février 2023 au 36e Sommet des chefs d’Etat de l’Ua à Addis-Abeba, la nécessité d’une nouvelle génération de missions «d’imposition de la paix» et d’opérations antiterroristes, dirigées par les forces régionales.

Aujourd’hui, des efforts supplémentaires doivent être faits par les leaders africains, et un sursaut patriotique pendant qu’il est encore temps. De 2009 à 2022, 40 mille personnes ont été tuées au Nigeria sans que personne ne s’en indigne. «Un attentat de 15 morts à Paris ou ailleurs en Europe, c’est un évènement mondial et chacun s’indigne de son côté et s’empresse à présenter ses condoléances. 40 mille personnes sont tuées au Nigeria et c’est l’indifférence totale. Personne n’en parle», s’offusque Cheikh Tidiane Gadio.