Ancien Directeur général de la Cinématographie du Bénin, Elavagnon Dorothée Dognon a assuré deux jours de formation des journalistes culturels sur la problématique de la restitution des biens culturels africains dans le cadre des Journées du documentaire artistique de Dakar, la troisième édition du festival de cinéma «Camera 72». Dans cet entretien, M. Dognon indique que le retour des biens culturels est le combat de tout africain et qu’il faut faire en sorte que ces biens culturels retournent à leur place.Le 9 novembre, pour la première fois dans l’histoire des musées français, 26 œuvres du Musée du quai Branly à Paris, ont quitté la France pour être rendues au Bénin. En tant que l’un des organisateurs de cette exposition au Palais présidentiel, quelle a été la réaction des Béninois ?
Je dis d’abord, on doit remercier le Président Patrice Talon, parce que c’était sa décision. Et il faut aussi dire que la décision du développement de la culture d’un pays ne peut pas se faire seulement par le ministre des Affaires étrangères ou bien le ministre de la Culture. Il y a aussi une décision du président de la République ou bien du chef du gouvernement. Et le Président Patrice Talon a mis beaucoup de moyens : techniques, logistiques et financiers. C’était un grand évènement parce que tout le Peuple béninois était débout dans l’unité, pour accueillir leurs biens et pour aussi participer à l’exposition. C’était énorme ! Mais ce qui m’a le plus marqué, c’est surtout l’implication de la jeunesse. C’était le seul moment où la mouvance présidentielle et les opposants se sont entendus. Et avec cette exposition, il y a eu des retombées sur le plan de la formation et la création d’écosystèmes. Le gouvernement n’a pas fait seulement l’exposition et s’arrêter là, il a engagé des réformes. Aujourd’hui, il y a ce qui se fait au Benin, ou les artistes vont seulement produire et les entrepreneurs culturels vont faire la promotion de ces artistes-là. A un moment, il y a un écosystème qui est en train de se mettre en place pour l’industrie culturelle au Bénin.
Aujourd’hui, pensez-vous que le retour de ces biens culturels va changer le rapport que les Africains ont vis-à-vis de leur patrimoine culturel ?
Oui et c’est clair. Ça a réussi parce que tout le monde s’est senti concerné. Le retour de nos biens culturels est le combat de tout africain. On doit tout faire pour que ces biens culturels retournent à leur place parce que ce sont les âmes de nos ancêtres. C’est aussi notre identité et rien ne vaut une identité. Au Bénin, on n’a pas pris ça seulement comme des biens patrimoniaux. Sur le plan spirituel, il faut savoir que le Bénin est un pays qui croit beaucoup. Donc, ça a beaucoup d’impact et ça va avoir toujours de l’impact. Et ce qui est très bien, c’est que le Bénin à l’expérience maintenant. Tout pays qui veut commencer par faire la demande n’a plus besoin de faire le parcours du Bénin parce que le Bénin a l’expertise. Donc, les pays peuvent s’inspirer de l’expérience du Bénin pour aller vite. Le Bénin sait comment on fait la demande, comment on fait rapatrier, comment mettre en promotion et comment faire participer la population. Je pense que c’est très important pour que chaque pays arrive à se mobiliser pour aller chercher ses biens.
Justement, pendant que des biens culturels sont restitués, d’autres continuent à quitter les pays africains de manière illicite ? Comment y remédier ?
Oui. Ça, c’est une lutte permanente. Tout le monde ne veut pas regarder dans la même direction et c’est l’être humain qui est comme ça. Mais on doit tout faire pour que d’une manière ou d’une autre, surtout les journalistes culturels, ils doivent produire des œuvres, qu’il y ait des articles pour éveiller les consciences. C’est pour cela que je propose de créer ici au Sénégal, un réseau des journalistes culturels pour la restitution de nos patrimoines. Donc, c’est une lutte qu’on doit faire. Chacun doit écrire l’histoire en son temps. J’ai toujours dit, nous, en tant qu’Africains, comment participons-nous à l’écriture de notre histoire ? Les gens doivent participer, en dénonçant, en écrivant parce qu’il y a plusieurs manières de participer et de lutter. Et ceux qui font sortir leurs biens, c’est sûr que ce n’est pas du vol. Donc, il faut dénoncer. Et les agents de la sécurité, tout ceux qui sont au niveau du transport que ce soit aérien ou terrestre, doivent participer à la lutte.
Vous êtes à Dakar dans le cadre d’un renforcement de capacités des journalistes culturels sur la problématique de la restitution des biens culturels africains. En tant qu’universitaire et producteur béninois, que pensez-vous du cinéma africain ?
Il faut le dire, l’Afrique regorge beaucoup d’histoires mais on n’a pas encore beaucoup de scénaristes. Il faut être honnête. Mais avec la jeunesse d’aujourd’hui, tout le monde veut faire le cinéma, même les chanteurs. Donc, il y a l’environnement qui est en train d’être créé. Il faut former beaucoup et dans tous les domaines pour créer l’écosystème de l’industrie cinématographique en Afrique et le reste va suivre. Ça a toujours été comme ça, même en Chine, aux Etats-Unis, ils n’ont pas construit leur industrie cinématographique en un jour. C’est un processus et ça va venir. J’ai confiance, j’ai la foi. Il y a des pays qui ont évolué. Par exemple, le Sénégal, c’est bon, Burkina Faso un peu. La Côte d’Ivoire a commencé. Il y a des poches de développement. Ce sont l’entraide, la solidarité et la synergie qui vont nous permettre d’évoluer.
Quels sont les défis à relever ?
Les défis, c’est la formation. Comment travailler ensemble et quelles sont les visions ? Je pense que la formation est capitale. Aujourd’hui, on ne peut plus faire de cinéma comme il y a des années en arrière. Aujourd’hui, le cinéma est devenu une science. Il y a une manière de faire passer le message, de parler. Autre chose, le cinéma, c’est une équipe de production. Il faut s’entraider. La où le Sénégal a émergé, on a qu’à faire un effort pour donner la main au Bénin et ainsi de suite.
Propos recueillis par Ousmane SOW