Migration choisie : Une voie sans vagues

Originaire de Kolda, Mamadou Alpha Diallo est arrivé en France en avril dernier, grâce à un contrat de travail et à l’accompagnement d’un cabinet (3B Conseils Rh) spécialisé dans le recrutement d’une main-d’œuvre dans le cadre d’une migration légale. Il travaille comme mécanicien d’engins poids lourds dans une entreprise française. Comme lui, beaucoup de jeunes ont réussi à rallier la France via ce système, ce qui montre que d’autres voies migratoires, expurgées de risques liés à l’émigration irrégulière qui est en train de décimer une partie de la jeunesse, restent possibles.
Les statistiques ne valent rien. Sur le chemin des îles Canaries et des Etats-Unis via le Nicaragua, ce sont des milliers de jeunes qui se sont jetés sur les routes de l’émigration irrégulière. A leurs risques et périls, ils sont à la recherche d’un ailleurs meilleur. Loin du tumulte des vagues, il y a aussi des gens qui ont réussi leur rêve européen grâce à la voie légale et sûre.
Taille moyenne, démarche un peu nonchalante, Mamadou Alpha Diallo fait partie de ceux qui ont emprunté cette voie dénuée de risques. Taquin, il est bien assis sur ses pieds et défend ses convictions. Ce trentenaire, originaire du quartier populaire Château d’eau de Kolda, a failli prendre la mer pour rejoindre les côtes européennes. Mécanicien et chauffeur, il a eu la chance de bénéficier des conseils du cabinet 3B Conseils Rh, qui lui a permis de regagner l’Europe depuis avril dernier pour un travail de mécanicien d’engins lourds. D’emblée, il lance : «Ma venue en France m’a ouvert les yeux sur beaucoup de choses.» Revenant sur son voyage, il lance : «J’ai pris le temps de bien me renseigner pour éviter de commettre des erreurs.» C’est l’exemple-type que la migration régulière reste toujours une réalité, en dépit évidemment des restrictions sur les visas. Il dit : «A la suite d’un appel à candidatures, j’ai été reçu à 3B Académie, implantée à Kolda, où j’ai pu bénéficier d’une formation mais aussi d’un entretien avec son fondateur, M. Boubacar Biro Ba. C’est grâce à son cabinet que j’ai pu voyager. Tout a été fait par le cabinet, après avoir franchi toutes les étapes. Je suis venu en France légalement, avec un visa.» Une fois sur le sol français, ce dernier n’a pas chômé. Il informe : «Je travaille depuis que je suis arrivé et j’ai un Contrat à durée déterminée (Cdd) de six (6) mois. Mais avant, j’ai fait un stage de 15 jours.» Tout comme le fondateur de 3B Conseils, le jeune Mamadou Alpha entretient déjà le rêve de revenir pour investir et/ou réinvestir les acquis au bercail. «Mon ambition n’est pas de rester en France. C’est de repartir après pour investir chez moi, à l’image de 3B Conseils», dit-il.
«J’ai tourné le dos
à l’émigration
irrégulière»
Le jeune Koldois n’a pas manqué de s’indigner du comportement de certaines personnes qui viennent dans le cadre de la migration de main-d’œuvre et qui s’évaporent dans la nature à l’issue de leur contrat. «Un tel comportement ne rend pas service aux autres jeunes. Cela ne permet pas de donner la chance à d’autres jeunes pour venir, parce que cela crée une rupture de confiance», argue-t-il. A en croire ce dernier, cela est souvent motivé par certaines personnes restées au pays qui influencent les jeunes à ne pas rentrer à la fin de leur contrat. Ce qu’il trouve «dangereux», d’autant qu’il dit : «Quand tu n’as pas de papiers, il est difficile de rester vivre en France. Tu es obligé de te cacher.» Pour lui, cette vie ne mérite pas d’être vécue en Europe, en France particulièrement. Par ailleurs, Mamadou Alpha est attristé de voir tous ces jeunes qui périssent en mer, sachant que lui-même a failli emprunter le même chemin. «Mon premier choix a été de partir en aventure, et le deuxième m’engager dans l’Armée sénégalaise. Pour l’Armée, j’ai même fait le recrutement. J’ai obtenu le papier vert. C’est par la suite qu’on m’a découragé pour me dire que je devais rester auprès de mon papa.» Avec le recul, il se rend compte du risque qu’il a failli prendre au péril de sa vie. Il exhorte les jeunes à faire comme lui et d’éviter les sentiers périlleux de l’émigration irrégulière. Qu’elle soit par voie maritime ou terrestre.
Boubacar Biro Ba, installé en France depuis des années, a fondé le cabinet 3B Conseils Rh accompagnement Sénégal/France. Il tente d’encourager la migration légale par l’emploi et l’entreprenariat. Il explique : «Le constat est parti de l’analyse du bassin économique français, notamment dans la région Occitanie en France. J’étais directeur d’agence d’intérim où je mettais en poste plus de 120 personnes par jour. On était confronté à un sérieux problème de recrutement, pour ne pas dire assez troublant, parce qu’on n’arrivait vraiment pas à recruter de la main-d’œuvre.» Installé en France et au Sénégal, le cabinet sert de «lien» entre les deux pays, notamment en matière d’emploi et d’intégration. Ce n’était pas tout pour accompagner ce processus. «Alors, on a créé 3B Académie à partir d’une constatation très simple. Lorsque vous quittez le Sénégal pour aller travailler à l’étranger, il vous faut des préalables. L’environnement n’est pas le même et les réalités sont tout autre. Lorsque le travailleur arrive en France, il se rend effectivement compte qu’il est dans un nouvel environnement, qui contraste avec d’où il vient. Il peut perdre ses habitudes et parfois c’est compliqué.» Il ajoute : «On l’a mise sur pied pour former les jeunes avant qu’ils ne viennent travailler en France, savoir comment s’intégrer en société une fois en France d’une part, et d’autre part, former des jeunes qui, même s’ils arrivent en France, qu’ils puissent nourrir leur propre projet de retour pour accompagner le développement de notre pays.»
Circulation de la main-d’œuvre
Sans le savoir, il y a une forme de coopération de main-d’œuvre entre le Sénégal et la France par une nouvelle approche novatrice. «Je me suis toujours dit que pour lutter contre le phénomène de l’émigration irrégulière des jeunes en Afrique, notamment au Sénégal, il faut favoriser, mettre en lumière la migration régulière. La migration régulière participe au développement à la fois du pays de départ et celui d’accueil. Elle contribue aussi au développement de la personne et à son épanouissement. Elle doit être promue, encouragée et facilitée», explique Boubacar B. Ba. C’est un pari. «Pour moi, il fallait y travailler pour permettre aux jeunes Sénégalais désireux de pouvoir se rendre en France régulièrement pour y travailler, avoir une bonne sécurité sociale, mobiliser des sous et revenir investir chez eux. Aussi, leur offrir la possibilité de voyager, comme tous les autres citoyens du monde. C’est leur droit. Pour moi, avec une telle approche, on peut solutionner la problématique de l’émigration irrégulière qui décime la jeunesse africaine», dit-il.
L’émigration irrégulière a explosé cette année, provoquant la saturation des sites d’accueil au niveau des îles canaries. Depuis début octobre, plus de 8 mille 500 migrants sont arrivés, «un record», indiquent les autorités espagnoles. Depuis janvier, plus de 23 000 migrants ont débarqué au niveau de l’archipel espagnol, soit une hausse de près de 80% par rapport à la même période de 2022. La majorité des arrivants sont originaires du Sénégal secoué par cette vague migratoire ponctuée de décès tragiques avec des naufrages d’embarcations, et de décès dus à de mauvaises conditions de voyage et climatiques.