La célébration, le 28 septembre 2023, de la Journée internationale de l’accès universel à l’information dans le monde a été une étape décisive qui semble inscrire les progrès en matière de démocratie et d’ouverture des pays dans le monde. En septembre 2015, les Nations unies ont lancé les Objectifs de développement durable. Au titre de l’Objectif 16. 10. 2, les Etats membres de l’organisation se sont engagés à adopter et mettre en œuvre des garanties constitutionnelles, réglementaires et/ou des politiques pour l’accès du public à l’information.
Au niveau de l’Union africaine dont la Cadhp a adopté une loi-type pour l’Afrique sur l’accès à l’information, vingt-sept (27) Etats disposent d’une loi d’accès à l’information. La région de l’Afrique de l’Ouest est en avance avec une dizaine de pays ayant déjà adopté une telle loi. Seuls quatre (4) pays de la sous-région dont le Sénégal, n’en disposent pas encore à ce jour. A l’ère du numérique, de la lutte contre la désinformation et les coupures d’internet dans la plupart des Etats africains, l’accès à l’information devient un impératif de gouvernance. Ce droit fondamental est au centre des préoccupations du citoyen qui veut accéder aux données de gouvernance dans un gouvernement inclusif, pour une gestion transparente. C’est d’ailleurs en ce sens que la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (Cadhp) a adopté, en 2016, une résolution sur le droit à la liberté d’information et d’expression pour l’internet en Afrique, face à «une pratique émergente des Etats d’interrompre ou de limiter l’accès aux services de télécommunication tels qu’internet, les médias sociaux…».
Au Sénégal, le processus d’élaboration du projet de loi d’accès à l’information traîne depuis plus de 15 ans ; et ce malgré l’inscription de «l’adoption d’une loi d’accès à l’information et de ses textes subséquents» en tant que premier engagement de l’Etat du Sénégal dans le Plan d’action national-Pgo 2021-2023. En plus du retard à déplorer, ce processus se caractérise par de profondes incertitudes et un manque d’inclusion notable.
Un processus en éternel recommencement
Depuis plus de 15 ans, des organisations de la Société civile, notamment Article 19 et le Forum civil, font le plaidoyer pour l’adoption d’une loi d’accès à l’information au Sénégal, garantissant un accès effectif à l’information administrative.
Durant les années 2015-2017, le ministère chargé de l’Intégration africaine et de la promotion de la bonne gouvernance, appuyé par certaines organisations de la Société civile, a travaillé d’arrache-pied pour élaborer un projet de loi sur l’accès à l’information. Cependant, la dernière mouture sur laquelle les acteurs s’étaient accordés, a profondément changé une fois dans le circuit administratif, ce qui a valu de vives réactions de la Société civile impliquée dans le comité mis sur pied à cet effet.
Ce plaidoyer sur le droit à l’information s’est appuyé au plan international sur les conventions internationales et africaines qui considèrent l’information comme un moyen permettant de garantir la participation citoyenne, la transparence, et de lutter contre la corruption notamment. Il en est ainsi de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (Dudh), de la Convention des Nations unies contre la corruption avec son article 10 intitulé «Information du public», de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, de la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption en son article 9 intitulé «Accès à l’information», du Protocole de la Cedeao sur la lutte contre la corruption, de la Directive de l’Uemoa n°01/2009/CM Uemoa, portant Code de transparence, faisant référence aux questions budgétaires et financières, entre autres.
Au plan national, l’article 8 de la Constitution du Sénégal reconnaît et consacre le droit à l’information plurielle. La loi n°2006-19 du 30 juin 2006 relative aux archives et documents administratifs constitue le texte de base pour l’accès à l’information au Sénégal. Mais, il faut dire que cette loi présente des manquements criards quant à l’organisation et l’aménagement du droit d’accès à l’information.
Malgré cet arsenal, l’effectivité de l’accès à l’information ne pourrait se faire que par l’existence d’une loi spécifique qui protégerait les agents administratifs, les journalistes, mais également donnerait aux chercheurs et aux populations la possibilité de demander aux administrations et toute entité en charge d’un service public, les informations dont elles disposent. Les multiples initiatives des Osc pour proposer une mouture qui respecterait les standards internationaux et co-écrite avec l’Administration n’ont jamais prospéré et ont disparu ou profondément changé une fois introduite dans le circuit administratif.
Ainsi, au cours de quinze (15) années, différents projets co-rédigés sont devenus lettres mortes pour l’Etat du Sénégal.
Un processus non inclusif
Il faut reconnaître que la bonne volonté des différents acteurs de la Société civile de proposer et de prétendre disposer d’un projet de loi, qui prendrait en compte les droits fondamentaux des populations et les standards a minima fixés par la loi-type pour l’Afrique sur l’accès à l’information, n’a jamais été matérialisée. Au contraire, elle a toujours été dépeinte comme une volonté de fragiliser la stabilité des administrations en les mettant en danger. Cela semble attester du réflexe ancien aux antipodes de la démocratie de vouloir administrer dans la cachotterie ou le secret ; qui est, semble-t-il, une véritable culture administrative. A titre d’exemple, en 2017, le processus ayant facilité une mouture commune du projet de loi et modifiée ensuite unilatéralement par l’Administration a valu une correspondance d’Article 19 adressée au ministre d’alors, pour protester contre les dispositions problématiques inscrites dans le projet.
Suite au plaidoyer continu de la Société civile, confortée par les consultations nationales dans 13 régions du Sénégal ayant permis d’inscrire l’adoption de la loi d’accès à l’information dans le Pan-Pgo 2021-2023, le projet a été relancé par l’Administration cette année. La dernière mouture du projet de texte portant loi d’accès à l’information a été envoyée aux Osc membres du Comité national Pgo et introduite dans le circuit bien avant que le délai pour leurs observations ne soit écoulé. Ainsi, les nombreuses observations de la Société civile n’ont jamais été prises en compte dans ce nouveau processus. Cela illustre le peu d’intérêt de l’Administration pour l’inclusion et la participation de la Société civile. A cela s’ajoute l’atelier organisé par la Direction de la promotion de la bonne gouvernance (Dpbg) en mai 2023 à Saly, pour discuter du projet de loi sans partager avec les différents acteurs présents à cet atelier les évolutions du texte ; ce qui atteste du caractère non inclusif voulu et d’une volonté d’agir dans le secret.
Un projet de loi non conforme aux standards internationaux
L’actuelle mouture du projet de loi sur l’accès à l’information au Sénégal, qui a reçu, sous réserve de certaines observations, l’avis favorable de l’Assemblée générale consultative de la Cour suprême tenue le 30 mai 2023, ne correspond ni aux standards internationaux ni aux principes et directives de l’Ua sur l’accès à l’information. D’une part, le projet de loi prévoit une Commission nationale d’accès à l’information (Cnai) dont la composition ne garantit nullement son indépendance. Nos observations suggèrent que cette commission devrait être composée d’experts indépendants et ne soit pas attachée dans son fonctionnement à une institution relevant de l’Exécutif, mais puisse disposer de l’autonomie et rende directement compte au public. D’autre part, le projet de texte demeure problématique du fait de la formulation extrêmement vague des exceptions, c’est-à-dire des informations non communicables. Ces nombreuses exceptions s’opposent au principe de la divulgation maximale consacré par la Déclaration de principes sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique de 2019. Admettant que certaines informations sensibles puissent nécessiter une protection, la limitation du droit d’accès à l’information doit être nécessaire et proportionnelle.
Le secret autour du projet de loi n’augure pas de bonnes nouvelles
Le secret gardé autour du projet qui devrait servir à garantir un droit constitutionnel et le manque de consultation des différents acteurs constituent une mauvaise publicité de ce projet qui, en l’état, ne reçoit pas l’adhésion des acteurs de l’information et de la Société civile.
Au moment où le Sénégal, membre du Pgo, risque la suspension par une note de 63% encore bien en deçà du seuil minimum requis de 75%, il est temps de mettre fin à ce processus interminable, par l’élaboration d’un projet de loi impliquant les acteurs de la Société civile et conforme aux standards internationaux. L’adoption d’une loi d’accès à l’information reste une obligation consentie par l’Etat du Sénégal, suite à son adhésion volontaire au Partenariat pour un gouvernement ouvert, et matérialisée par une disposition pertinente de sa Constitution qui consacre ce droit fondamental. De surcroît, la réalisation de l’objectif 16.10.2 des Odd l’y appelle.
Le Président Macky Sall, qui arrive en fin de mandat, devrait œuvrer, avec son gouvernement, à léguer à la postérité cet héritage dans le cadre d’un gouvernement ouvert pour consolider la démocratie, la transparence, la participation citoyenne, la lutte contre la corruption et la redevabilité dans la conduite de l’action publique.
Organisations signataires
-Article 19 Sénégal et Afrique de l’Ouest
– FORUM CIVIL
-Action pour la Justice Environnementale AJE
-CONGAD
– Organisation JONCTION
– LEGS-Africa
– ONG 3D
– Plateforme des Acteurs non Etatiques du Sénégal (PFAnE)
– Afrikajom Center
– Ligue Sénégalaise des droits de l’Homme (LSDH)
-Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (RADDHO)