Violences en Rdc : Trente ans de conflits vus par des photographes africains

A travers le travail de photographes congolais et sud-africains, le Prix Bayeux des correspondants de guerre retrace, dans une exposition, trois décennies de violence dans les régions de l’Ituri, du Nord et du Sud-Kivu.
Le Prix Bayeux a choisi de confier à Maria Malagardis, journaliste à Libération, la lourde tâche de résumer, dans une exposition, 30 ans de conflits sanglants dans l’Est de la Rdc. Très vite, une évidence s’est imposée à la grande reporter, qui couvre pour le quotidien français la région des Grands Lacs : «On voulait raconter le conflit d’un point de vue africain. Les photos ont toutes été prises par des photojournalistes du continent, le Sud-Africain Guy Tillim et quatre photographes congolais : Moses Sawasawa, Esther N’sapu, Ley Uwera et Dieudonné Dirole», explique-t-elle. Construite sous forme thématique et non pas chronologique, l’exposition regroupe une cinquantaine de clichés et traite à la fois de la question des groupes armés, des mouvements de déplacés, des violences sexuelles, du travail des enfants dans les mines de cobalt, mais également de la vie quotidienne dans cette région qui compte plus de 95 millions d’habitants. «C’est une crise qu’on réduit souvent à des affrontements entre groupes rebelles et armées régulières, ou aux forces onusiennes. C’est la problématique centrale, bien sûr, mais ce n’est pas la seule», explique la grande reporter.
Les organisateurs ont choisi d’intituler l’exposition L’envers du paradis. «On voulait montrer que dans ce qui peut apparaître comme un enfer de violence et de peur, les citoyens de cette région continuent quand même à garder espoir et développent des stratégies de résistance, que ce soit à travers les arts, les festivals…», explique Maria Malagardis. Avec ce travail, elle souhaite s’adresser aux visiteurs occidentaux, qui connaissent parfois très peu l’Est de la Rdc : «Ces gens qui vivent si loin de nous ont finalement les mêmes aspirations : vivre heureux, avoir des enfants, s’aimer, gagner de l’argent, réussir leur vie.» Documenter la vie qui continue malgré la guerre, c’est aussi ce que tente de faire la photojournaliste Ley Uwera, qui a fait le voyage depuis Goma. Elle nous raconte l’histoire de l’une de ses photos, prise à Beni dans le Nord-Kivu, en 2016. «Je venais d’arriver dans la ville, une zone très touchée par l’insécurité, pour couvrir le massacre de nombreux civils, tués la veille. Soudain, j’ai vu ces demoiselles d’honneur sur la moto. J’ai voulu les prendre en photo pour montrer ce contraste entre le massacre et le mariage qui se déroulait. C’est une zone dont beaucoup pensent qu’elle est invivable. Mais malgré tout ce qu’il s’y passe, les gens continuent à vivre.»
Ley Uwera, comme sa collègue Esther N’sapu, a grandi avec la guerre. Les jeunes trentenaires se rendent régulièrement ensemble sur le terrain. «Travailler en tant que femme et free-lance n’est pas facile. Les gens ne sont pas habitués à voir des femmes photographes. On te traite de tout : de prostituée, de femme sans valeur, de quelqu’un acheté par les Blancs. (…) A la campagne, quand les gens voient la caméra, ils te fuient», explique Esther N’Sapu. «C’est souvent difficile de convaincre les gens d’être pris en photo. On nous demande parfois de l’argent. Je vais toujours vers eux pour leur expliquer ma démarche et leur demander l’autorisation de les prendre en photo. S’ils refusent, je laisse tomber», confirme Ley Uwera. Les deux photographes travaillent parfois avec des organisations humanitaires et partent souvent sur le terrain avec des équipes de sécurité.
«La réalité est cachée pour une simple raison : c’est trop dangereux d’y aller»
Car les conditions de travail sont de plus en plus compliquées et dangereuses pour les journalistes, en nous montrant une photo prise dans le massif de Masisi, dans le Nord-Kivu, Esther N’Sapu explique : «Réputée pour sa production de lait et de fromage que l’on consomme dans de nombreuses villes congolaises, cette région est aussi convoitée par des groupes armés et des groupes d’auto-défense, à cause de la mine de Rubaya. J’y ai fait un reportage en 2019, à l’époque où la région était encore un peu calme. Aujourd’hui, c’est très difficile d’y accéder à cause de la présence du M23.» «Finalement, si vous regardez cette exposition, vous verrez qu’il y a très peu de photos de morts et de massacres. Au premier étage, il y a des photos d’enfants mutilés, qui sont assez violentes, mais qui ne disent pas la réalité. La réalité, elle est occultée, elle est cachée et pour une simple raison : c’est que c’est trop dangereux d’y aller», explique Maria Malagardis, qui reçoit quotidiennement des photos et vidéos d’habitants de la région. «Quand on est journaliste, il y a une dimension assez vertigineuse d’un conflit relayé sur les groupes WhatsApp par les vidéos et les photos de citoyens ordinaires, alors que les journalistes eux-mêmes sont empêchés de le faire, même à Goma», déplore-t-elle.
Rfi