Ils ne quémandent pas. Ils réclament un droit. Depuis quinze ans, ils attendent. Et ils n’en peuvent plus d’attendre. Et ils n’en peuvent plus d’entendre des «on y travaille». Et qui n’attendent rien des ministres. Le Président lui-même. Un décret spécial du Président lui-même!Par Moussa SECK –

Ils discutent, mieux, sourient. L’effet des retrouvailles, peut-être. Peut-être, leur âme d’artiste leur fait-elle tout relativiser. La chose sûre, c’est que ces artistes ne sont pas réunis sous le sceau de la réjouissance. Pas de réjouissance dans la posture, le regard et la gestuelle de Moussa Touré. Le cinéaste est projeté dans l’écran d’une salle que scrutent deux portraits de Senghor. Moussa Touré, Awadi, Titi, Halima Gadji, Sokhna Benga… défilent sur écran. Avec eux, défilent des messages comme «sauver les artistes avec la», «c’est notre droit la», «demande urgente pour la mise en œuvre de la», «les comédiens ont besoin de la»…La ? «Rémunération pour la copie privée» ! C’est la phrase constante, qui accompagne la multitude de petites vidéos projetées dans la salle, pendant qu’on met en place les derniers éléments de la conférence de presse.
«Rémunération pour la copie privée», le message constant est écrit en rouge. Aucune réjouissance alors, chez ces artistes. Mais qui se disent «gëj naa la gis». Mais qui discutent. Mais qui sourient. Sourire, malgré…«La rémunération de la copie privée, est la source de perception la plus substantielle pour les ayants droit», renseigne une note. En outre, «elle soutient l’Etat dans sa politique de financement de la culture par la déduction d’un pourcentage de 15% réservé à l’Action culturelle».

30 milliards de perdu
«La loi a été votée en 2008. Les décrets d’application ont été signés en 2017. Une commission a été mise en place donc en 2017 pour justement voir comment on va faire en sorte que ceux qui doivent bénéficier de la copie privée puissent recevoir leurs dus». Les ayants droit, «c’est-à-dire les auteurs (qui ont déjà les droits d’auteur), les artistes-interprètes (qui n’ont rien), les producteurs». Et pourtant, s’étonne Daniel Gomez, «tous les pays de la sous-région qui ont appuyé la copie privée sont venus au Sénégal pour prendre exemple sur le Sénégal». Mieux pour eux et pire pour les artistes sénégalais, «ils ont fait leur texte, ils ont fait leur décret d’application mais surtout, ils commencent à percevoir la copie privée », tandis qu’au pays de la Téranga, «on a perdu plus de 30 milliards». Sachant que «si on appliquait la copie privée, on en aurait pour minimum 2 milliards par an», rien qu’avec les téléphones portables. Cette situation prévaut, poursuit M. Gomez, parce qu’ «on nous a donné une belle loi, de beaux textes» et qu’ «on n’a pas la copie privée». Il image en représentant leur situation comme celle d’individus à qui il a été donné une belle maison, bien meublée, mais sans clé ! Alors, les artistes tapent chez «celui qui a le double d’une clé infalsifiable». On ne demande plus, à savoir si on peut retrouver la clé. Monsieur le Président, donnez-nous cette clé que vous avez, qui est la clé de secours. Faites-nous un décret spécial qui instaure là et maintenant la copie privée», poursuit M. Gomez. Là, l’appel.

S’ils ne veulent parler dorénavant qu’au président de la République, c’est que les artistes n’en peuvent plus des «on y travaille», des renvois entre les ministères du Commerce, de la Culture, des Finances qui tardent à trouver la fameuse clé. Las, les artistes ! «Parce que depuis des années, nous sommes en train de nous battre, en passant par tous les canaux, en passant par toutes les échelles de l’Etat, tous les ministères qui sont parties prenantes», dit l’artiste-interprète, Matar Diouf. Il se désole et s’interroge : qui a intérêt à bloquer ? M. Diouf n’en demeure pas moins convaincu que «c’est lui le problème, c’est lui la solution», en parlant du Président duquel il est attendu un décret spécial !

Honte à qui pense Fesnac tandis que les artistes meurent…
Depuis quinze ans qu’ils attendent, les ayants droit ont vu des collègues partir, des situations se détériorer et persister la question de savoir si l’artiste vit de son art, au Sénégal. «Malheureusement, il dira non, si le président de la République n’a pas répondu à l’appel», fait remarquer Matar Diouf. Ce dernier s’offusquera aussi qu’on puisse avoir la tête à la fête, lorsque des artistes meurent sans ne jamais toucher leur droit. Référence est faite au Festival national des arts et de la culture (Fesnac) par M. Diouf et par Didier Awadi. Ce dernier crie que «c’est un scandale d’aller faire du folklore au Fesnac» avec la situation stagnante concernant la rémunération pour la copie privée. Ce, en proposant que cette énergie qu’on envisage investir dans du folklore le soit dans la question qui réunit les artistes ce 26 décembre. Et, après cela seulement, «allons fêter la copie privée au Fesnac » ! «Scandale», dit Didier et «un manque de respect pour les artistes que d’aller faire la fête…», si on priorise fête a bien-être de ceux sans qui fête il n’y a pas. Didier lançant son cri du cœur, rappelle que la question a été débattue avec l’ancien ministre Abdoulaye Diop, débattue avec l’actuel, débattue devant le Président, à la Présidence même avec M. Diop… Débattue avec le Premier ministre, aussi. Avec les députés, aussi. Depuis et comme toujours, «rien»!

Les artistes ne veulent pas être des George Floyd de la culture, ainsi que dit par Daniel Gomez. Ainsi que dit par Matar Diouf aussi, ils ne veulent pas vivre d’aides comme durant la période Covid qui, selon lui, devrait être une leçon pour se rendre compte de l’importance du droit qu’ils réclament. Et tous devraient s’y mettre, surtout ceux que Yoro Ndiaye désignent comme les «grands», et dont l’implication ne se sent pas réellement. Ces grands, qui s’assoient avec le Président dont la voix peut peser, de qui M. Ndiaye et compagnie attendent plus que le silence qui les caractérise. Futur, legs, génération future, environnement propice pour exprimer son art seront évoqués par le chanteur Yoro Ndiaye. Qui interpelle comme ses prédécesseurs le Président Macky Sall et les candidats à la prochaine Présidentielle. Qu’ils soient donc clairs, sur ce qu’ils proposent en termes de politique culturelle !
Depuis quinze longues années qu’ils attendent, les artistes ne sont-ils pas en train de perdre ? «Non, l’Etat nous doit 30 milliards à ce jour. C’est comme ça, ce n’est pas de notre faute, nous, on ne les a pas perdus», dit Daniel Gomez. Vidéos, lettre adressée au Président, conférences de presse (celles de Dakar, Kaolack, Ziguinchor, Sédhiou, Thiès de ce 26 décembre) sont pour le moment les actions posées par le comité de veille des artistes à ce jour. De grands rassemblements sont à attendre si rien ne bouge. Si rien ne bouge, une plainte contre l’Etat est à attendre. «Ce serait dommage», d’en arriver là avec l’Etat, souligne Daniel Gomez qui espère qu’on n’en arrivera pas là. Les deux portraits de Senghor qui décorent la salle de conférence de presse auront entendu. Peut-être…

Rémunération pour Copie privée

«La Rémunération pour Copie privée est une redevance prélevée sur les supports et appareils d’enregistrement destinée à compenser les ayants droit pour l’exception de copie privée de leurs œuvres. Elle est consacrée par la loi 2008-09 sur le droit d’auteur et les droits voisins au Sénégal dans ses articles 103 à 109. Elle est distribuée aux auteurs, artistes interprètes (Comédiens, acteurs, musiciens, danseurs) et producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes à raison d’un tiers par catégorie, après déduction de la fraction de 15% pour le financement de projets culturels. Au Sénégal, la Commission Rémunération pour Copie Privée est présidée par le ministère chargé de la Culture avec comme membres : le ministère du Com­merce, la Douane, les Associations des commerçants et des consommateurs et les ayants droit. Elle définit le modèle de perception, le taux de perception, la liste des supports et appareils assujettis. Elle effectue également le suivi évaluation de la gestion des perceptions et des études d’usage concernant les pratiques de copie des utilisateurs. La Douane est chargée de sa perception aux frontières basée sur un pourcentage de 2,5% sur la valeur CAF des supports pour un reversement à la Sodav chargée de la redistribution aux avants droit. Pour la lère année, la Commission a arrêté la liste suivante : les supports d’enregistrement de type compact dises (Cd) tels les Cdr et Rw data, Dvd Ram, Dvd R et Dvd Rw data -les téléphones mobiles multimédias- les ordinateurs portables ou de bureau -les tablettes tactiles multimédias avec fonction baladeur, avec ou sans clavier détachable (mais non attaché)- les cartes mémoires non dédiées -les clés USB non dédiées-les disques durs externes- les baladeurs multimédias tels les lecteurs/enregistreurs mp3 ou mp4.»