A propos d’industrialisation…

Lettre ouverte à maître Doudou Ndoye, Avocat à la cour, ancien ministre, ancien candidat à la présidence de la République, acteur politique.
Bonjour, Maître,
Je réside dans une petite ville du Nord-Sénégal, où la presse écrite, éditée principalement à Dakar, ne parvient guère…
Ceci m’oblige à me rabattre le plus souvent sur la télévision ou plus rarement sur le net pour m’informer.
Il y a une dizaine de jours (exactement le mardi 12 décembre), en regardant les informations passant sur la bande d’une chaîne, j’ai presque sursauté en lisant cette déclaration qui émanerait de vous : «L’industrialisation n’est pas une solution pour le Sénégal», signé Me Doudou Ndoye.
Je pense que cette télé n’a fait que reprendre une information puisée dans un journal écrit ou en ligne. Donc, s’il n’y a pas une mauvaise interprétation de vos propos, l’information est vraie.
Si elle est vraie, je la trouve, pour ma part, tout simplement ahurissante et scandaleuse, surtout venant d’un intellectuel de votre niveau et d’un homme aussi expérimenté que vous.
Ainsi donc, Maître, vous plaidez pour que nous, Africains, restions d’éternels primitifs, d’éternels consommateurs de biens produits par les peuples blancs et jaunes.
J’aurai compris, si vous aviez proposé un autre modèle de développement industriel, inventé pour une fois par les Africains, et très différent du modèle en cours depuis le milieu du 19e siècle et qui a engendré les dégâts environnementaux que tout le monde connait et vit actuellement.
Mais, en ce début du 21e siècle, renoncer au développement industriel, c’est renoncer à la prospérité économique et sociale, c’est renoncer à l’indépendance économique, politique, et surtout sécuritaire.
En effet, les armes sophistiquées, qu’elles soient physiques, chimiques, biochimiques, etc. sont produites par des machines, par l’industrie lourde ou légère des armements. Elles ne le sont pas par l’artisanat, la science- fiction, la magie ou autre chose… Ce sont ces armes sophistiquées qui font que des puissances étrangères nous imposent leur domination.
Depuis 1945, grâce à la création des Nations unies, le monde vit dans une paix relative, qui ne doit cependant tromper personne.
Malgré les belles résolutions, la plupart des pays du monde qui ont réellement leur destin en main, appliquent strictement ce vieil adage romain : «si vis pacem, para bellum…» (si tu veux la paix, prépare la guerre…).
Faibles dans tous les domaines, vous voulez que nous continuions à compter éternellement sur le reste du monde pour notre approvisionnement en produits manufacturés et sans doute sur la France pour continuer à assurer notre défense.
Si vous aviez proposé un développement industriel original qui respecte strictement les normes environnementales, même les plus sévères du monde, j’aurais applaudi. Mais non, vous affirmez de façon claire que l’industrialisation n’est pas une solution pour le Sénégal…C’est vraiment le comble ! Votre affirmation est presque un affront pour les milliers de jeunes Sénégalais qui fuient leur pays, faute d’emplois.
Dans un pays «normal», qui avance vite, ce qui n’est pas le cas du Sénégal depuis 1960, la modernisation de l’agriculture et l’industrialisation massive sont des voies incontournables pour générer des dizaines voire des centaines de milliers d’emplois, formels et durables. Seuls ces emplois peuvent absorber la plus grande partie de la main d’œuvre non qualifiée ou peu qualifiée, exactement celle que nous avons dans notre pays.
Comme le montre le cas de l’Inde avec l’ingénierie informatique, les services, même s’ils apportent une très forte valeur ajoutée, ne créent cependant pas beaucoup d’emplois et il s’agit souvent d’emplois très qualifiés.
Quant aux millions d’«emplois verts» promis par la révolution environnementale, il s’agit bel et bien d’emplois, soit agricoles, soit industriels, ou en tout cas très proches de ces deux secteurs, pas autre chose.
Le régime soi-disant socialiste, qui a dirigé pendant quatre (4) décennies (1960-2000) notre pays, n’a ni développé l’agriculture ni amorcé un quelconque développement industriel.
Entre 1960 et 1980, quand les habitants de l’Asie du Sud-Est (Corée du sud, Hong Kong, Singapour, Taiwan, etc.) travaillaient comme des forcenés pour sortir de leur pauvreté et combler leur retard par rapport à l’Occident, au Sénégal, on faisait de la poésie et du théâtre, on chantait, on dansait beaucoup plus que de raison (rencontres et récitals de poésie à n’en plus finir, y compris dans les écoles, relayés par les médias, festival mondial des arts nègres, théâtre national Daniel Sorano, Mudra Afrique, etc.)
Vous connaissez sans doute la fameuse fable de la Fontaine «la cigale et la fourmi» que nous déclamions au lycée dans nos «récitations». «La Cigale ayant chanté tout l’été, se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue…Elle alla crier famine chez la Fourmi, sa voisine, la priant de lui prêter quelques grains pour subsister jusqu’à la saison prochaine …»
Au finish, les fourmis asiatiques ont pris le dessus sur les cigales sénégalaises et africaines et menacent même les Européens et les Américains qu’ils talonnent actuellement.
La preuve : la Chine est devenue l’usine du monde et inonde la planète de ses produits, bien ou mal faits. Désormais, au lieu de se contenter de laisser les importateurs sénégalais venir tranquillement chercher leurs marchandises chez eux, les Chinois, ambitieux, conquérants et gloutons, ont choisi de les amener eux-mêmes jusque chez nous.
Le gigantesque «China Mall», installé il y a quelques mois à Dakar, va tuer à petit feu ces importateurs et leur ôter le pain (le riz !) de la bouche.
Ceci est aussi valable pour la cinquantaine de grandes surfaces françaises, indiennes et autres, installées principalement dans les régions de Dakar et de Thiès, bientôt dans tout le Sénégal.
Ces grandes surfaces vont tuer à petit feu les commerçants détaillants, les vendeurs de marché et autres ambulants, et les conduire progressivement à la misère. La recrudescence récente de l’émigration-suicide est sûrement, en partie, liée à cette prolifération de grandes surfaces.
De 1981 à 2000, notre pays a été dirigé par Monsieur Abdou Diouf dont vous avez été le ministre de la Justice.
C’est peut être la période la plus sombre de l’histoire économique du Sénégal…
Pendant vingt (20), surtout de 1981 à 1994, notre pays a vécu la déflation, la stagnation, le marasme et le recul économiques dont le summum a été la dévaluation du franc Cfa en 1994.
Le Président Abdou Diouf, qui clamait partout, haut et fort, urbi et orbi, que le franc Cfa ne serait jamais dévalué, a pourtant vu cette monnaie être dévaluée sous ses yeux, en sa présence, sans qu’il ait pu lever le plus petit doigt, preuve que notre pays n’est pas réellement indépendant. Une dévaluation drastique de 50%, a été opérée sous prétexte de sur-évaluation du franc Cfa, ce qui était en partie vrai, au vu de la croissance dérisoire des pays de cette zone et l’état de déliquescence de leurs économies.
La décence la plus élémentaire aurait voulu qu’il démissionne.
Mais non. Comment démissionner quand on n’a pas la culture de la démission ?
Surtout, comment démissionner, quand on est président de la République, dans un régime hyper présidentialiste, où, après Dieu et le tuteur français, on est le seul maître à bord, avec des compétences exorbitantes.
Comment démissionner sans risquer de subir les foudres de sa famille, de ses amis, des gens de son clan, de son parti, de sa région ?
Comment démissionner : le pouvoir et ses privilèges sont tellement agréables !
Fatigué par quarante ans de régime soi-disant socialiste, le Peuple a choisi de s’en débarrasser en mars 2000.
De 2000 à 2023, notre pays est donc passé entre les mains de «libéraux» représentés par le Président Abdoulaye Wade et son fils spirituel, le Président Macky Sall. Ces deux personnalités n’ont pas fait beaucoup mieux que leurs prédécesseurs, même s’il faut reconnaître, objectivement, qu’ils ont accordé plus d’importance à la chose économique que ces derniers. Ils se sont lancés dans une politique fumeuse, hasardeuse, coûteuse et ruineuse de construction «d’infrastructures» basée principalement sur l’emprunt.
Cette politique suicidaire a fini de faire du Sénégal un désert agricole et industriel et un pays surendetté (75% du Pib) où le coût de la vie est devenu exorbitant.
Le Sénégal est aujourd’hui un pays qu’on peut parcourir sur des dizaines, parfois des centaines de kilomètres, sans rencontrer une seule exploitation agricole ni une seule usine dignes de ce nom.
La déclaration très récente de Monsieur Mamadou Djigo, actuel directeur de l’Anat (Agence nationale d’aménagement du territoire), «l’industrialisation des territoires peut mettre fin à l’émigration clandestine», est on ne peut plus pertinente et explicite.
La question qu’on peut bien se poser est celle-ci : comment peut-on attendre 2023, c’est-à-dire plus de soixante ans après notre accession à la souveraineté internationale, pour songer à industrialiser les territoires du Sénégal ?
Les quantités de productions agricoles et industrielles actuelles sont peu significatives.
Celles des productions agricoles ne méritent pas de figurer dans les statistiques de la Fao, hormis peut-être pour l’arachide et le poisson. Pour ce dernier produit, jusqu’à quand ? Les asiatiques et les européens étant en train de prendre les dernières ressources disponibles, il est évident que les quantités de prise seront de plus en plus dérisoires si on ne met pas rapidement fin aux accords et aux licences de pêche. Les productions industrielles quant à elles, ne méritent pas de figurer dans les statistiques de l’Onu et de l’Onudi, hormis «les industries extractives» qui, comme l’indique bien leur nom, ne sont pas des industries de production au sens propre. Il serait bon que les militants du Plan Sénégal «Emergent» retiennent ceci : l’émergence ne se décrète pas, elle se constate. Dans les premiers pays émergents du monde, les quatre dragons asiatiques (Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taiwan), on travaillait très dur et en silence, sans faire trop de publicité. Ce sont des diplomates, des experts, des journalistes, des touristes, en somme toutes sortes de visiteurs qui ont constaté, parfois étonnés et émerveillés, que ces pays avaient accompli des pas de géant en seulement quelques années, sans bruit, dans la discrétion.
Ceci est par exemple valable pour la ville-Etat de Singapour, qui a réglé son problème en vingt ans (1959-1979).
Les militants du PS «E» sont bien trop bavards.
Leurs élucubrations et leurs fanfaronnades sur un Sénégal qui ferait partie des pays ayant la plus forte croissance au monde ne peuvent occulter les données peu reluisantes ci-après.
Malheureusement, en ce mois de décembre de l’année 2023, le Sénégal appartient toujours bel et bien à ces trois catégories maudites :
-1. Les quarante six(46) pays les moins avancés du monde (Pma)
-2. Les quarante (40) ou cinquante (50) pays les plus pauvres du monde (Ppp)
-3. Les pays pauvres très endettés (Ppte)
Au total donc, depuis 1960 : Ups + PS et co-gouvernants + Pds et alliés + Apr et alliés = 63 ans de mal gouvernance, de médiocrité, de gabegie, d’ «enrichissement sans cause» de la classe politique et administrative (indice de corruption 43 considéré élevé et mauvais) et de domination étrangère qui ont conduit notre pays à une impasse…
Notre jeunesse, à qui il est devenu impossible de faire entendre raison, a désormais choisi la voie mortelle du tout ou rien : ou j’ai ce que je veux ou je tente autre chose, même si je devais y laisser ma vie (plus de 50 000 morts depuis 2006, selon le sociologue Serigne Mor Mbaye).
Nous allons dans deux(2) mois vers une élection cruciale.
Ceux qui, pendant ces soixante-trois (63) dernières années, n’ont pas mené notre pays bien loin, au point qu’il figure, depuis trois (3) décennies, parmi les «ndaarés» du monde, veulent encore se maintenir au pouvoir, rien que pour garder et accroître leurs privilèges. Il est temps que les Sénégalaises et les Sénégalais se réveillent et confient enfin leur destinée à d’autres personnes, susceptibles de donner à notre pays un autre élan, une autre trajectoire, qui pourrait nous sortir de la situation tragique que nous vivons actuellement.
Parmi ces personnes, Monsieur Mamadou Lamine Diallo, leader du mouvement Tekki, brillant ingénieur et économiste, patriote engagé. Nous soutenons fortement cette personnalité, mais, en républicains disciplinés et respectueux du jeu politique, nous attendons sagement les résultats des parrainages et le début de la campagne électorale pour le crier haut et fort. Ce qui n’est le cas du camp du pouvoir Apr/Benno… Fidèles à leurs mauvaises habitudes, ils ont commencé depuis des mois, leur campagne électorale déguisée, sous forme de tournées économiques, de visites de terrain, de visites de courtoisie, etc.
Cela ne pourra empêcher à leur candidat d’être recalé le 25 février 2024, si les Sénégalaises et les Sénégalais, majeurs et détenteurs d’une carte électorale valide, sortent en masse et votent en masse pour les autres candidats.
Nous souhaitons qu’ à l’issue de ces joutes électorales, les destinées de notre pays soient enfin entre les mains de vrais patriotes, compétents, courageux et honnêtes, qui pourront le mettre sur les rails de l’indépendance, de la croissance et du développement, pour le sortir définitivement des bas-fonds des classements internationaux.
Veuillez agréer, Maître, l’expression de ma très haute considération.
Oumar KANE – Libraire
Membre du mouvement Tekki