Ils ont prolongé leur rencontre de 24 heures dans l’espoir de trouver un point d’accord minimal. Le délai a juste servi à pondre une Déclaration finale, qui ne note aucune avancée sur aucun point. Mais, chut, il ne faut pas fâcher le pays-hôte en parlant d’échec !

La 13ème session du Conseil des ministres de l’Organisation mondiale du commerce (Omc), qui s’est clôturée à Abu Dhabi, la capitale des Emirats arabes unis (Eau), le 1er mars dernier, n’a pas été un échec. Ni la Directrice générale Mme Ngozi Okonjo Iweala ni les dirigeants émiratis ne l’auraient pas accepté. La preuve, ils ont produit une Déclaration générale qui reproduit les points d’accords minimaux. Mais en aparté, tout le monde convient que la désillusion a été grande, en ce sens que sur tous les points sensibles où cette session a été attendue, aucune avancée majeure n’a été effectuée. Cela, malgré une clôture retardée de 24 heures, pour essayer de trouver un accord à la dernière seconde.

OMC – Pêche industrielle : Le Sénégal vote contre les subventions

Beaucoup d’espoirs étaient nourris sur le fait que des leçons avaient été tirées quant aux décisions renvoyées lors de la conférence Cm12 de Genève, notamment sur le Traité sur l’interdiction des subventions pour la pêche. Si des pays comme le Sénégal et autres ont déposé leurs lettres de ratification, portant le nombre des pays ayant ratifié à plus de 72, il en reste tout de même une quarantaine pour rendre le traité contraignant pour tous. Et aucun des grands pays détenant une importante flottille de pêche n’a encore ratifié le document. Or, sur ce point par exemple, un pays comme le Sénégal dont l’écosystème côtier est fortement menacé, aimerait bien un accord qui lui permette de protéger encore plus efficacement sa pêche artisanale et son industrie halieutique à peine balbutiante. Le ministre du Commerce, Abdou Karim Fofana, l’a d’ailleurs résumé en indiquant que des pays comme le nôtre «défendent l’idée qu’il faut protéger la pêche artisanale et laisser un espace politique pour réglementer la pêche dans leur zone économique exclusive».

Le Sénégal voulait sécuriser son approvisionnement en riz
Un autre sujet important pour le Sénégal aura été les restrictions aux exportations agricoles décidées par certains pays gros producteurs, et qui créent des pénuries alimentaires dans d’autres. Abdou Karim Fofana toujours a déclaré : «Nous estimons qu’il y a assez de production alimentaire pour pouvoir nourrir le monde. S’il n’y a pas de restriction sur base de pénurie artificielle, on doit pouvoir règlementer le commerce mondial et faire en sorte que chaque pays puisse détenir les denrées alimentaires nécessaires à son marché intérieur.» Mais connaissant les arcanes des négociations au niveau international, le ministre sénégalais a passé une bonne partie de son séjour à Abu Dhabi en des rencontres bilatérales avec ses homologues des pays connus pour être de grands producteurs de céréales, en particulier le riz. Il a tour à tour discuté avec des ministres du Cambodge, du Pakistan, de la Thaïlande et de l’Inde, entre autres. A la base de ces discussions, garantir au Sénégal un accès privilégié aux stocks de riz dont sa population a besoin.

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Toutefois, même sur ce point où la plupart des pays se sont montrés assez sensibles, aucun accord n’a été trouvé. La déclaration finale, dans un langage sibyllin, a enregistré le manque d’accord en ces termes : «Nous reconnaissons les défis à court terme auxquels sont confrontés les membres, en particulier les membres en développement, y compris les Pma, qui doivent faire face à des crises mondiales et internes, notamment des catastrophes causées par des risques naturels. Nous encourageons les organes compétents de l’Omc à poursuivre les travaux sous la conduite des membres, en vue de renforcer la résilience et la préparation aux catastrophes. Les discussions pourront porter sur la manière dont les Accords de l’Omc peuvent renforcer les cadres de gestion des crises, ainsi que sur la façon dont ils contribuent à prévenir de nouveaux risques, à réduire les risques existants et à accroître la résilience…» Comme dirait un célèbre chroniqueur de Dakar, un accord est certainement renvoyé aux calendes… émiraties…

Mais la plus grande fracture a été sans doute la question du commerce électronique.
Au moment où les Etats-Unis se préparent à une élection présidentielle pleine d’incertitudes, il est inimaginable que l’Admi-nistration Biden accepte de voir taxer les transactions opérées par exemple sur Amazon ou sur d’autres plateformes comme Spotify, entre autres. Pour autant, beaucoup de pays conviennent qu’il y a un gros manque à gagner en termes de droits de douanes sur le commerce en ligne. Beaucoup de gens achètent maintenant en ligne ce qu’ils allaient acheter dans des supermarchés, et ces ventes ne sont pas taxées.

Il n’y a pas de Tva ou de droits de douanes dans les pays où ces biens et services sont consommés. Après un moratoire de plus de 26 ans, plusieurs pays estiment qu’il est temps que le commerce électronique commence à générer des droits de douanes ou des taxes pour des pays de consommation. D’ailleurs, des pays comme l’Indonésie ou l’Afrique du Sud n’entendaient pas céder sur ce point. Et il se disait que le Brésil pouvait s’allier à eux. Mais comme dit plus haut, si les Etats-Unis et leurs alliés européens ne se joignent pas à ces pays, il y a peu de chances que les choses puissent évoluer.

Diversification de ses fournisseurs en riz : Le Sénégal se tourne vers le Cambodge

Et sur toutes ces questions, il n’y a eu aucune évolution à Abu Dhabi. Mais, comme la plupart des négociateurs, celui du Sénégal n’a pas voulu voir le verre à moitié vide. Le ministre Abdou Karim Fofana a espéré lors de la journée officielle de clôture : «Nous notons qu’il y a des avancées, et que sur des sujets comme la détention des stocks publics à des fins de sécurité alimentaire, nous sentons les grands producteurs avoir une écoute attentive vis-à-vis des pays en développement, et ça c’est une grosse avancée.» Et il pensait que les questions relatives à la pêche et au commerce électronique nécessiteraient d’autres rounds de négociations.
Malheureusement, il s’est montré pas trop optimiste.

Par Mohamed GUEYE – mgueye@lequotidien.sn