Le jeudi 29 février 2024, Maïmouna Ndour Faye (MNF), journaliste, fondatrice et directrice de la chaîne de télévision privée 7Tv, a été agressée et poignardée à trois reprises devant son domicile. Cet acte a provoqué une onde de choc non seulement au Sénégal, mais aussi dans le monde entier, car la violence à l’encontre des femmes journalistes est une tendance mondiale inquiétante qui doit être prise en compte pour garantir la sécurité personnelle des journalistes et l’accès des citoyens à une information non censurée.

L’incident, qui s’est produit quelques jours avant la Journée internationale de la femme (Jif), le 8 mars 2024, m’a incitée à dénoncer cet acte ignoble commis à l’encontre d’une collègue journaliste. Pour marquer la Jif 2024, j’ai décidé d’agir et de rédiger un article, en solidarité avec Maïmouna Ndour Faye.

Aujourd’hui, 8 mars 2024, je reste solidaire avec Mnf et j’ajoute ma voix à la condamnation nationale, régionale et mondiale de cette attaque odieuse. Je suis également solidaire des femmes journalistes Absa Hane, Fana Cissé, Isabelle Bampoky, Ngoné Diop, toutes victimes de violences policières lors des nombreuses manifestations qui ont suivi la décision de reporter l’élection présidentielle sénégalaise initialement prévue pour le 25 février 2024.

Aujourd’hui, à l’occasion de la Jif 2024, j’écris pour célébrer les réalisations de Maïmouna Ndour Faye et pour sensibiliser le public aux attaques et à la discrimination dont les femmes journalistes continuent de faire l’objet au Sénégal.

En nous engageant à inspirer l’inclusion, nous sommes invités à agir à l’occasion de la Journée internationale de la femme :

«Lorsque les femmes ne sont pas présentes, nous devons nous demander : «Si ce n’est pas le cas, pourquoi ?» ;

Lorsque les femmes sont victimes de discrimination, nous devons dénoncer les mauvaises pratiques ;

Lorsque le traitement des femmes n’est pas équitable, nous devons agir.
Et nous devons le faire chaque fois, à tout moment.»

Selon Freedom House, «les attaques qui commencent en ligne ne restent pas toujours dans le monde virtuel, ce qui présente un risque sérieux pour la sécurité et le bien-être des personnes visées». Et, selon «L’effroi : Tendances mondiales de la violence en ligne contre les femmes journalistes», un rapport publié en 2022 par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) et le Centre international pour les journalistes (Icfj), 73% des femmes journalistes sont victimes d’attaques en ligne liées à leur travail. Parmi elles, «25% des femmes journalistes interrogées ont déclaré avoir subi des attaques dans le monde réel à la suite d’un harcèlement qui avait commencé en ligne».

Si tous les journalistes sont exposés au risque de telles attaques, les femmes journalistes sont en première ligne face au harcèlement et à l’intimidation en ligne. En tant que victime de harcèlement en ligne, je sais ce que vivent MNF et les autres femmes journalistes qui ont été attaquées. De 2005 à 2019, en tant que journaliste, puis Secrétaire générale et présidente de l’Union de la presse de Gambie (Gpu) et témoin devant la Commission vérité, réconciliation et réparations (Trrc), j’ai été victime d’attaques vicieuses et malveillantes en ligne qui se sont ensuite transformées en intimidations et harcèlements graves hors ligne de la part d’acteurs étatiques et non étatiques. Le fait d’aborder des sujets «sensibles» et de demander des comptes à des personnes en position de pouvoir, comme l’ancien Président de la Gambie, Yahya Jammeh, et ses ministres, a donné lieu à des attaques en ligne visant à me discréditer, à m’humilier et à me réduire au silence. Les misogynes, les apologistes et les partisans de l’ancien Président gambien, Yahya Jammeh, utilisaient fréquemment les médias sociaux et les sites d’information en ligne à cette fin, ce qui a eu de graves conséquences sur ma sécurité personnelle et ma vie professionnelle.

Ce débordement comprend 7 (sept) des 13 (treize) types d’attaques contre les journalistes reconnus par l’Agnu et le Csnu -exil (lors d’une déplacement hors de Gambie, j’ai été déclarée recherchée en mai 2009 et me suis retrouvée réfugiée sur place au Mali), représailles contre des membres des familles (la maison de ma mère a été vandalisée et saccagée à deux reprises en 2011 et 2013 ; le gouvernement a mis en place un Comité d’enquête interministériel sur une Ong cofondée et présidée par ma mère), intimidation et harcèlement (des agents de la sécurité l’Etat ont été placés devant les lieux que je fréquentais, y compris mon lieu de travail et notre domicile), utilisation abusive des lois nationales pour cibler les journalistes (refus d’un passeport par les autorités gouvernementales, inculpation pour l’intention séditieuse 2009, haute trahison, jugement par contumace 2011 et j’ai été l’objet d’une demande d’extradition auprès des autorités maliennes), campagnes de diffamation (diffusion de fausses informations à mon sujet en ligne et à travers les médias d’Etat), attaques contre les locaux des organes de presse (perquisitions illégales au siège du syndicat pendant mon mandat de présidente), surveillance arbitraire illégale et interception de communications (j’ai été suivie physiquement, traquée lors de mes déplacements internes et ailleurs, résultant de mon arrestation à l’aéroport d’Harare, Zimbabwe, en 2013 ; les communications électroniques entre les membres du bureau du syndicat ont été interceptées).

Je donne mon exemple pour montrer que si elles ne sont pas adressées rapidement, les attaques en ligne contre les journalistes peuvent donner lieu à des idées fausses et à une énorme haine non seulement de la part des civils, mais aussi de la part de l’Etat et de ses agents qui ont recours à des actions injustifiées, menaçant ainsi la sécurité personnelle et la capacité du journaliste à faire son travail.

Il ne s’agit donc pas d’une supposition : si les autorités sénégalaises avaient réagi en temps voulu aux menaces proférées à l’encontre de MNF, cet incident n’aurait pas eu lieu. Je reste convaincue que si les menaces de mort, les attaques verbales et les insultes proférées à travers les réseaux sociaux à l’encontre de MNF avaient été adressées rapidement, cette attaque odieuse contre sa personne aurait pu être évitée. J’espère sincèrement qu’à l’avenir, les autorités sénégalaises et d’autres gouvernements d’Afrique de l’Ouest rédigeront et promulgueront des lois visant à promouvoir un espace en ligne sûr pour tous les journalistes, en particulier les femmes journalistes qui sont confrontées au quotidien à des abus en ligne souvent destinés à supprimer les voix authentiques, audacieuses et critiques en attaquant leur crédibilité. Malheu­reusement, ces actes restent le plus souvent impunis, ce qui enhardit les agresseurs physiques et renforce l’impunité.

Un recul rapide
Selon Rsf, au moins 20 journalistes ont été agressés au Sénégal en février dernier lors de manifestations généralisées suite à la décision de reporter l’élection présidentielle initialement prévue le 25 février 2024. L’attaque contre MNF et les violences policières à l’encontre de Absa Hane, Fana Cissé, Isabelle Bampoky, Ngoné Diop sont toutes liées à la violence préélectorale. On ne dira jamais assez qu’une presse saine et libre est un critère essentiel pour garantir l’intégrité des élections et de nos systèmes démocratiques. En outre, toutes les formes de violence physique à l’encontre des journalistes sont des crimes contre la société, car elles violent la liberté d’expression et, par conséquent, d’autres droits et libertés consacrés par les instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme (Onu).

Les Etats membres de l’Onu sont invités à «faire tout leur possible pour prévenir la violence à l’encontre des journalistes et des professionnels des médias, garantir l’obligation de traduire en Justice les auteurs de crimes contre les journalistes et les professionnels des médias, et veiller à ce que les victimes aient accès à des voies de recours appropriées». Les Etats sont également invités à «promouvoir un environnement sûr et propice qui permette aux journalistes d’exercer leur métier en toute indépendance et sans ingérence indue». Le Sénégal n’est pas une exception, et il est important que le gouvernement du Sénégal prenne immédiatement les mesures nécessaires pour s’acquitter de son obligation d’adopter des mesures efficaces pour protéger les journalistes et renforcer les cadres institutionnels afin de lutter contre la violence à l’encontre des médias et l’impunité.

Selon Article 19, depuis l’adoption du Plan d’actions des Nations unies pour la sécurité des journalistes en 2012, l’Onu reconnaît de plus en plus la nécessité d’adopter une approche holistique pour renforcer la sécurité des journalistes, en adressant l’ensemble des menaces interconnectées et qui se chevauchent souvent. Certaines résolutions de l’Onu ont mis en évidence les menaces sexospécifiques auxquelles sont confrontées les femmes journalistes et reconnaissent les risques accrus auxquels sont exposés les journalistes en période électorale. En examinant de plus près l’agression au couteau de Maïmouna, et les quatre autres femmes journalistes agressées par la police au Sénégal, je me demande si elles ne viennent pas s’ajouter au grand nombre de cas non résolus d’agressions contre des femmes journalistes en particulier.
Il est ironique de constater que pendant la période de dictature en Gambie, de nombreux journalistes ont cherché refuge au Sénégal, qu’ils considéraient comme un havre de sécurité, un passage sûr. La solidarité et le soutien que nous avons reçus de la part de la confrérie des médias, des Osc et des institutions publiques ont été extraordinaires. Le Sénégal était perçu comme une lueur d’espoir et un exemple brillant d’un pays où la liberté d’expression et d’opinion était en marche. Moins d’une décennie plus tard, il est choquant que la réputation d’un pays que nous avions cité comme modèle pour la liberté de la presse et la liberté d’expression en Afrique, se soit détériorée au point de voir des femmes journalistes au Sénégal attaquées par des agents de l’Etat ; de voir une femme journaliste couchée dans son propre sang, accompagnée des ricanements, moqueries et railleries des autres Sénégalais sur les réseaux sociaux.

Je suis surprise par le recul rapide de l’environnement dans lequel les médias sénégalais opèrent actuellement et également choquée par le rétrécissement continu de l’espace civique au Sénégal et l’intolérance radicale à l’égard des journalistes, en particulier des femmes, des médias et des opinions divergentes, presque au niveau de ce que les journalistes et la Société civile gambiens ont subi sous le régime de Jammeh. Pour ces raisons, je me dois d’apporter mon soutien et ma solidarité à mes consœurs et confrères des médias au Sénégal, à ceux qui se sont tenus fermement à nos côtés lorsque nous en avions besoin, en nous fournissant la protection, les ressources et le soutien émotionnel dont nous avions besoin pour retrouver notre équilibre.

Un leader courageux, tenace et transformateur
Je dois préciser que je ne connais pas et n’ai pas rencontré MNF, mais ma famille suit de près son émission L’invité de MNF, qui nous permet de mieux comprendre les positions des acteurs étatiques, non étatiques et politiques sénégalais qu’elle reçoit régulièrement. Toujours bien habillée, professionnelle, posant des questions et des questions de suivi pertinentes, elle donne l’impression d’être bien préparée et est toujours courtoise à l’égard de ses invités. J’ai été émue aux larmes en lisant le témoignage de Madiambal Diagne dans Les Lundis du 4 mars 2024 où il déclare : «MNF se remet de ses graves blessures. Des amis souhaitent lui organiser une convalescence dans un lieu plus tranquille mais, combative plus que jamais, elle refuse systématiquement, tenant à retourner reprendre immédiatement l’antenne, faire le boulot qu’elle a choisi et pour lequel elle a risqué sa vie. J’admire ton courage et ta ténacité, ma chère !»

Je suis soulagée que Maïmouna n’ait pas succombé à ses blessures, comme certains de ses détracteurs l’ont demandé sans honte après son agression. Est-elle tenace ? Oui ! Est-elle courageuse ? Oui ! Mais aucune histoire ne vaut la vie d’une journaliste. Les agresseurs en ligne de MNF avaient l’intention de la réduire au silence et de lui nuire, leur harcèlement en ligne a créé l’effet de refroidissement désiré, ce qui a conduit à son agression physique. Le fait qu’elle ne soit pas découragée et qu’elle reste concentrée sur sa mission est une raison supplémentaire pour que l’Etat agisse rapidement afin de «fournir des réparations à la victime», puisqu’il n’a pas cherché à «prévenir» l’attaque, malgré des menaces en ligne répétées, et à «protéger» MNF contre ses agresseurs en ligne. J’appelle les autorités sénégalaises à faire en sorte que cette odieuse agression au couteau ne reste pas impunie. Je lance le même appel pour que les auteurs des attaques contre les quatre autres femmes journalistes soient traduits en Justice.

Les recherches menées dans le cadre de cet article m’ont permis de conclure que MNF a défié la politique de l’équité par rapport aux quotas lorsqu’il s’agit de femmes occupant des postes de direction dans les médias. Dans une industrie des médias dominée par les hommes, patriarcale et sexiste en Afrique de l’Ouest, MNF, qui est entrée dans la profession de journalisme en tant que stagiaire en 2006, a réussi à franchir de nombreux obstacles, brisant ainsi de nombreuses barrières qui caractérisent la vie quotidienne des femmes journalistes au Sénégal, pour devenir la première femme propriétaire d’une chaîne de télévision, 7Tv, en 2018. Ceci a été précédé par le lancement de son site d’information AZ actu en 2017, et une société de création de contenu et de services de communication, 3M Universel.

MNF est le symbole d’une femme leader. Elle est perçue comme affirmée, courageuse, distinguée, innovante et tenace. On doit l’acclamer et non la laisser se faire attaquer par des agresseurs. Il est de la plus haute importance que nous encouragions des femmes championnes, des leaders transformatrices et que nous les soutenions, car elles contribuent efficacement à la création d’emplois, à l’émancipation des femmes, au développement durable et à une société où chacun peut s’épanouir dans un environnement sûr et sécurisé.

Ndey Tapha SOSSEH est une journaliste gambienne résidant au Mali. Ancienne présidente du Syndicat de la presse gambienne Gpu ; ancienne coordinatrice de l’Union des journalistes d’Afrique de l’Ouest (Ujao) et de la Cenozo (Cellule des journalistes d’investigation Norbert Zongo). Elle est formatrice en médias et possède une vaste expérience dans la formation en sûreté et sécurité des femmes journalistes, et les risques multiples auxquels elles sont confrontées dans et en dehors des salles de rédaction.

Ndey Tapha est également rédactrice en chef de la page anglaise du Quotidien.